25/ UNE PETITE DANSE : SANDRINE

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J’ai la solution. Nous allons devoir agir vite. Je vais leur faire part du déroulement des opérations quand nous nous réunirons tous ce soir pour le souper. J’espère qu’ils comprendront. Ma fille ne se joindra pas à nous. Elle est contre mes décisions et essaye de me persuader de prendre encore un peu de temps pour trouver d’autres moyens. Je la comprends, mais le temps presse. Combien de temps tiendrons-nous encore avant que nous ne succombions à la maladie, à la famine ou aux malaformes ?

Mais la moindre des choses est que j’informe Matt de ce qui nous attend. Il mérite de savoir avant les autres. Je dois partir à sa recherche sans tarder.

Je le déniche dans un arbre, à l’arrière de la maison. Il y était accroupi, épiant je ne sais quoi. En fait, c’est lui qui m’a surprise quand il a surgit prestement pour me barrer la route.

Cet homme m’effraie toujours. Je n’ai pas oublié qu’il est un démon dont je dois rester méfiante. Il est capable de se montrer sans pitié. Je lui fais un signe des mains que j’espère apaisant. J’imagine que lui aussi doit me craindre, car en fin de compte, je lui ai fait plus de mal que lui ne m’en a fait…

- Je suis en train de devenir fou, me dit-il.

Je lui réponds que tout va s’arranger avant de lui faire le récit de mes recherches. Il se montre tantôt sceptique, tantôt curieux, ce qui me réconforte, malgré son regard incertain.

C’est un être torturé par son côté démoniaque et par son humanité. Il hésite entre le bien par lequel il vient de découvrir les ravages de l’amour et le mal qui lui offrirait une vie si facile. À moi de le convaincre une bonne fois pour toutes. Et le meilleur moyen de l’empêcher de faire marche arrière, c’est d’exposer nos plans devant les autres. Devant Lana, car il refusera de la décevoir encore une fois.

Le moment est venu de se réunir autour de la grande table de la cuisine et c’est en silence que Matt et moi regagnons la maison.

Il n’y va pas par quatre chemins. Tant mieux, cela signifie surement que sa décision est ferme et définitive.

- Sandrine a des révélations à faire.

Elles ne vont pas plaire à tout le monde, mais nous n’aurons pas d’autre choix. Auront-ils suffisamment foi en moi ?

- Dans quelques jours, tout sera terminé. J’ai encore quelques préparatifs à faire, mais Matt et moi devons nous tenir prêts.

- Pourquoi as-tu choisi mon frère en tant qu’assistant ?

- Elle ne m’a pas choisi, je me suis proposé.

- Et j’ai mes raisons pour l’avoir accepté, tout comme il a les siennes pour être venu me trouver. J’ai décidé de ne pas entrer dans les détails. Nous vous tiendrons informés de ce que nous prévoyons au fur et à mesure. Voilà ce que vous avez besoin de savoir pour l’instant : je vais avoir recours aux rituels et aux incantations ; je vais aussi pratiquer la magie noire. Donc moins vous participerez, et moins vous en saurez, mieux cela permettra la réalisation de notre projet. Le reste viendra plus tard. (J’obtiens l’approbation du regard de mon partenaire).

- Tu vas faire des trucs risqués d’après ce que j’ai compris. Ce n’est pas malhonnête de votre part de nous laisser dans l’ignorance ? Nous avons le droit de savoir à quoi vous vous exposez et peut-être nous par la même occasion !

- Je répète : moins vous en saurez, mieux cela vaudra…

Je suis interrompue par Matt :

- J’approuve Sandrine ; pour le bien de tous, il n’est préférable de vous prévenir qu’au dernier moment, quand vous n’aurez plus la possibilité de vous opposer.

- Nous opposer ? Qu’entends-tu par-là ?

- Vous allez prendre peur quand vous connaitrez les risques que nous allons encourir tous les deux et vous essayerez de nous en dissuader. Ce qui viendra entraver le bon déroulement de ce que nous entreprendrons.

- Tout cela me semble beaucoup trop dangereux !

- Lana ! La magie noire est dangereuse, les vampires sont dangereux. Et les malaformes, qu’en penses-tu ? Ce n’est plus qu’une question de temps pour que nous mourions tous. Nous devons faire quelque chose ; c’est pour cette raison qu’on nous a permis d’entrer ici à ma fille et moi ! J’aurai pu commencer le travail avec Matt, sans vous en avertir. Nous ne l’avons pas fait, par correction, par respect. Ne nous le faîtes pas regretter, s’il vous plait. Maintenant, nous vous avons expliqué notre point de vue. Nous ne changerons pas d’avis, inutile d’insister.

- Bien, je propose de fêter ça ! Sandrine a trouvé une épilogue à ce chaos, vénérons là ! Vive notre sorcière !

Matt tente de détourner leur attention en débouchant une bonne bouteille de vin. Il va même jusqu’à demander à Jonathan de sortir sa guitare. Mais ils sont tous trop hantés par les questions demeurées sans réponses. J’ai trop peur qu’ils se braquent tous. Lana n’acceptera jamais, et elle parviendra à les rallier tous à sa cause. Et ça, il en est hors de question.

Carole me toise d’un regard noir et profond. J’ai l’impression qu’elle tente de lire en moi ; je dois rester de marbre. Cependant, j’acquiesce à l’interrogation muette de son frère qui ne sait qui il peut écouter. Pour ma part, je pense que nous méritons tous une bonne pause détente ; nous sommes ici à l’abri, encore en sécurité, et un peu de musique nous redonnerait du baume au cœur.

La boisson et les airs apaisants que nous joue Jonathan, remplissent bien leur rôle. L’alcool anesthésie nos esprits affligés, tandis que la musique tranquillise nos nerfs et nos muscles épuisés. Nous écoutons en silence, assis en cercle sur le tapis du salon, quand ma fille fait son apparition. Elle a été attirée par le son des douces mélodies. Je l’invite à s’installer à mes côté et passe mon bras autour de sa taille. Alors je commence à chanter, en nous balançant doucement de droite et de gauche. Samantha me sourit et m’imite, bientôt suivie par le reste du groupe. Quel merveilleux moment de partage ! Nous formons à présent une chaine telle une corde imperceptiblement secouée par une brise légère. Matt vient rompre cette douce quiétude en se relevant pour m’inviter à danser. Je l’observe tout d’abord, stupéfaite. Mais pourquoi pas ? Nous commençons à tournoyer au milieu des autres, et nous sommes bientôt rejoints par Bob et sa femme, puis Clem et Lana. Mon cavalier profite alors des notes d’une nouvelle mélodie pour proposer un échange de partenaire. Nul besoin de citer le prénom de ma remplaçante… Elle hésite et son mari ne semble pas trop confiant, mais c’est à elle d’accepter ou décliner l’invitation. Et elle finit bien entendu par céder. C’est dommage, Matt se révèle être un danseur particulièrement talentueux. C’était plutôt agréable de se laisser porter par la musique et guider par cet homme habile. Je commence à mieux comprendre Lana. Deviendrai-je folle moi aussi, à penser de telles choses ? J’ignore quelle nouvelle idée saugrenue il peut bien avoir derrière la tête, mais son petit jeu pourrait se révéler très dangereux pour la suite des évènements. Mais que je puis-je dire ? Si j’interromps leur précieux enlacement, qui sera sans doute leur dernier, il risque de se braquer, de me le faire payer, ou pire encore. Ils sont très proches. L’une de ses mains la maintient contre lui, comme s’il craignait qu’elle ne s’écarte. L’autre est cachée par ses cheveux, dans son cou. Son cou dont il ne parvient pas à détacher les yeux ! Je vois déjà ses deux canines, de chaque côté de ses lèvres. Il va la mordre ! Devant nous tous ! Par chance, je ne suis pas la seule à avoir compris. Carole s’est redressée pour se jeter sur eux et les séparer.

- Stop, Matt !

Il a déjà saisit sa sœur par le cou et entrainée contre le mur, le visage déformé par la rage. Il grogne et respire bruyamment. Je crois qu’il lutte contre lui-même. Il a dû desserrer son étreinte car elle parvient à articuler quelques mots :

- Matt, quoique tu aies décidé de faire, fais le ailleurs !

Quand il la relâche pour nous faire face, il s’est ressaisit. Son regard est redevenu inexpressif, mais surtout, il a rangé ses crocs !

- Il vaut mieux que je vous évite. Je vais m’isoler ; Sandrine restera mon unique interlocutrice. Demain, je m’occuperai des dépouilles qui encombrent la rue. Je m’excuse pour mon comportement. Pardon d’être ce que je suis.

Il passe devant nous, hautain comme à son habitude, et marque une pause devant Lana, sans la regarder, sans même un mot, ne lui offrant que son profil. Puis il prend la direction des escaliers. Elle, elle a baissé la tête. Elle prend une profonde inspiration, fixe un point devant elle et le rappelle :

- Il faut qu’on parle, toi et moi. Seuls. Suis-moi, s’il te plaît.

Elle ne lui adresse même pas un coup d’œil ; elle se dirige vers la porte d’entrée, raide comme un piquet, indifférente à nos airs ébahis. Elle ne prend pas la peine de l’attendre, certaine qu’il va lui obéir.

Lui, par contre, revient tranquillement, fier comme un coq, un sourire de triomphe sur les lèvres.

- Toi, tu ne bouges pas ! hurle Carole en se ruant sur Clément. Le pauvre esquissait déjà un pas pour les suivre. La démone scrute le plus jeune des enfants, toutes dents dehors ; heureusement, le petit ne remarque rien ; il comprend mal la situation ; il est préoccupé de voir sa mère s’éloigner. Son père, par contre, a parfaitement saisi. Nous autres aussi, d’ailleurs.

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