11/ RÉVÉLATION : LANA

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Nous nous sommes tous réunis avant que Matt et moi prenions la route. J’avais besoin de l’avis des autres pour savoir par où commencer. Evidemment, Monsieur je sais tout trouvait ça inutile ; il avait déjà sa propre opinion. Moi, ça me rassurait qu’ils connaissent notre itinéraire.

Nous avons donc décidé de prendre le restaurant comme point de départ. Après tout, c’est là que nous avons perdu de vue nos familles. Nous allons essayer de trouver leur parcours et de les suivre. Et de les rattraper, si c’est possible.

Mes pensées sont interrompues par le calme qui règne quand Matt coupe le moteur de sa Mustang. Nous sommes arrivés sur le parking.

Je regarde si je vois ma Logan quelque part, sans espoir, car elle n’était pas là la dernière fois que nous sommes venus. Par contre, les deux voitures de mes amis sont toujours à la même place. Elles sont intactes. Au moins, si tout redevient normal, ils pourront les récupérer. Mais je rêve…

Je rejoins Matt qui m’attend près de son véhicule, prêt à intervenir, comme toujours.

Nous nous dirigeons lentement vers l’entrée de la salle. Il tient fermement son pistolet et ma main est refermée sur la tsuka de mon katana, même s’il est rangé dans son fourreau. Il me fait signe d’ouvrir ; il veut entrer en premier.

Rien n’a changé à l’intérieur. Les verres cassés lors de la panique sont toujours au sol, les tables renversées n’ont pas été redressées… Et toujours pas âme qui vive. Même pas de zombies ! Quel gâchis toute cette nourriture avariée qui recouvre le buffet ! Ça sent mauvais. C’est plein de vers et une multitude de mouches tourne autour. Et dire que l’on va bientôt manquer de vivres !

Nous visitons ensuite la cuisine, où l’odeur est aussi terrible. Les employés ont déserté en même temps que tout le monde, ce soir-là.

Mais que fait Matt ? Je n’en crois pas mes yeux ! Il vient de mettre deux bouteilles de Champagne dans son sac !

- Tu as quelque chose à fêter ?

- Pas pour l’instant. Ça viendra avec ta famille.

Il me sourit comme un gamin pris en faute et parvient à m’attendrir ; je réponds à son sourire. Je pense malgré tout qu’il aurait mieux fait d’emporter des boites de conserve.

- Il n’y a rien, ni personne ici. Ils ont pris ta voiture, nous sommes au moins sûs de ça.

- Ils ont certainement cherché à rentrer.

Nous nous rendons compte tout de suite que la circulation sur la deux voies est anormale. Jamais un bouchon n’a débuté dès le rond-point ! Nous quittons la Mustang, Matt râlant parce qu’il a déjà perdu une voiture. J’ai remis mon sabre dans mon dos, mais vue la taille de la lame, je risque d’être bloquée par les véhicules arrêtés. J’attrape mon Glock.

Nous commençons à avancer le long des voitures. Des cadavres reposent au sol, la gorge déchiquetée, une mare de sang autour d’eux. Je ne me sens pas bien. Pas bien du tout. J’ai juste le temps de murmurer le prénom de mon compagnon avant que mes jambes se dérobent. Heureusement qu’il est rapide, il m’empêche de tomber dans cette boucherie.

- Ça commence bien ! grogne-t-il en relâchant mon bras.

- Je ne m’attendais pas à ça ! Ça ne te fait rien à toi ?

- Tu dois t’attendre à tout. Au pire. Je t’ai formé physiquement, mais je n’ai rien d’un psy ; pour ça, je ne peux rien pour toi. Tu vas devoir t’y faire.

- M’y faire ? Tu es un grand malade si toi tu arrives à te faire à ça !!! crié-je en le poussant, agacée par son ton rude et son manque de compréhension.

- Le malade perd patience et il va continuer d’avancer, que tu suives ou non.

Il me laisse en plan et poursuit son chemin.

Cessera-t’il un jour de m’énerver ? Un point pour lui : il a réussi à me faire penser à autre chose pour que je me reprenne. Je le suis, je ne me vois pas rester seule ici. De plus, nous avons des recherches à mener, bien plus importantes que nos petits différents.

Il longe les deux files de voitures ; je marche de l’autre côté, entre les véhicules et le terre-plein qui nous sépare des deux voies inverses.

Alors qu’on approche d’une AX, un homme sort par la portière ouverte, les bras tendus vers moi et la bouche grande ouverte. Un malaforme ! Je fais un bond en arrière en visant sa poitrine et presse la détente. Raté ! Il avance toujours, je recule encore. Je sors mon katana, attaque la créature par une garde de face et pique. Le monstre s’écroule, transpercé en plein cœur.

Malgré la monstruosité de mon acte, je ressens une petite pointe de fierté ; je ne me suis pas laissée surprendre. J'ai oublié ma peur et réagi. Matt regarde les nuages, les mains dirigées vers moi. Il doit remercier le ciel pour mes nouvelles capacités.

- Tu n’aurais pas dû tirer ! S’il y en a d’autres, ils ont entendu ! Tu l'as raté, en plus ! me sermonne-t-il.

- À quoi ça sert que j’ai le pistolet à la main si je ne peux pas m’en servir ?

- Tu avais le temps de sortir ton sabre, il était seul !

Drôles de félicitations. Elles me laissent un goût amer dans la bouche.

- Ça t’arrive d’être aimable et de dire des choses gentilles ? riposté-je, lasse et une nouvelle fois déçue.

- Je ne suis pas quelqu’un de gentil ! Tu le sais, non ? répond-il, d'une voix plus calme.

- Parfois tu en es capable.

J'ai droit à son regard exaspéré. Les lèvres pincées, il répond tout de même :

- Je fais semblant. On continue notre dispute de mômes ?

- Non, plus vite on partira d’ici, mieux ce sera.

Je redresse les épaules et m'apprête à enjamber le corps de la créature, mais il me bouscule et passe devant en marmonnant :

- N’en sois pas si sûre.

Nous reprenons notre marche en silence. Je peste en secret contre cet homme qui a le don de me mettre hors de moi. Il est vraiment insupportable ! Et je vais devoir partager plusieurs jours encore avec lui !

- Tu t’es bien débrouillée avec le malaforme. Je n’ai pas pu t’entraîner au tir, c’est normal que tu ne l’aies pas touché. Mais tu es devenue rapide et précise avec le sabre, c'est bien.

Je suis agréablement surprise, mais toujours en colère. Je n'ai pas envie de lui parler, le minimum suffira :

- Merci.

Nous nous rapprochons du pont, petit à petit. Le bouchon semble démarrer bien avant. Dans les deux sens. Nous passons des camions, des 4X4, des pick-up, des voitures. Une moto est venue s’encastrer sous une Golf ; le pilote est là, coincé, du sang partout autour de lui, mais vivant. Il tend les bras vers Matt en grognant. Son cou est déchiqueté ; non, il n’est déjà plus vivant. Mon compagnon le regarde, sans esquisser le moindre geste. Puis il reprend sa route ! Je sors mon sabre et l’abat sur le cou du motard dont la tête tombe lourdement dans la flaque rougeâtre.

Comment Matt a-t-il pu ignorer cette chose ? Un vivant ignorant aurait pu tenter de l'aider et se faire déchiqueter ! Je le regarde avec fureur. Il s'est arrêté, m'attend, le dos tourné vers l'horizon de voitures qui nous fait face.

- Tu attendais quoi ? l'admonesté-je.

- Je ne sais pas. Je suppose que j’ai eu pitié de lui.

- Ah bon ? Toi, éprouver de la pitié ? Laisse-moi rire ! J’ai abrégé ses souffrances ! C’est ça, la pitié ! Tu te rends compte qu'il aurait pu mordre quelqu'un d'autre si on l'avait abandonné dans cet état ?

- Laisse tomber, on continue.

À nouveau, il reprend sa route, sans s'assurer que je le suive.

Un peu plus loin, j’aperçois le haut d’une voiture bleue. Avec des barres, comme la mienne. Ce pourrait-il que ce soit ma Logan ? J’avance, lentement, puis de plus en plus vite. C’est elle ! Encore une grosse flaque de sang près du véhicule qui se trouve juste derrière. Mon cœur va se décrocher tant les battements sont rapprochés et forts. Matt, du côté passager, me préviens qu’un corps git au sol. Je dois aller voir s’il s’agit de quelqu’un que je connais, même si je sais que je ne supporterai pas de voir le cadavre d’un proche. Ça résonne dans ma tête. C'est une femme que je n’ai jamais vue. Son teint grisâtre est presque transparent et sa gorge arrachée. Comme le motard…

Je me tourne vers ma voiture. L’arrière est défoncé. En regardant par les vitres, je suis soulagée de constater que l’intérieur est propre. Mais ils n’ont pas fermé les portières, ils les ont juste repoussées. Le capot est complètement maculé de sang, le pare-brise aussi. On dirait que quelqu’un cherchait à s’y agripper. Matt m’appelle de l’autre côté ; la fenêtre avant est tâchée d’empreintes ensanglantées, elle aussi ! Oh non, des images intolérables me traversent l’esprit. Mes jambes flageolent, ma poitrine se compresse.

- Où sont-ils ? je murmure.

- D'après moi, les gens derrière eux ont voulu s’enfuir et ont ainsi détourné l’attention des créatures, qui se sont jetées sur eux. En se jetant dans la gueule du loup, ils ont offert une échappatoire à ta famille.

Motivée par l'espoir, j'entreprends une fouille de ma voiture, alors que Matt monte la garde. Je reconnais le rehausseur de mon petit. Je trouve la sacoche de Bob au pied du siège passager, à l’avant. C'est un bon présage. Sur la banquette arrière, Joël, le fils de Val a perdu sa gourmette ! Joël ? Dans la panique, ils se seraient enfuis tous ensembles ? Ma Logan est grande, il est fort concevable qu'ils aient réussi à s'y serrer. Ça expliquerait pourquoi les deux autres voitures sont restées devant le restaurant.

La scène m'apparaît avec un tel réalisme qu'un regain de courage me traverse.

Surexcitée, je demande l'avis de Matt quant à la direction qu'ils ont dû prendre après cette nouvelle attaque.

- À leur place, je serais allé me cacher dans la forêt, répond-il du tac au tac. J'aurais poursuivi mon but, puisqu'il était trop risqué de revenir sur nos pas. J'aurais cherché à rentrer chez moi au plus vite, là où je me sens en sécurité.

Son visage est grave lorsqu'il se tourne vers moi et me fais signe de le suivre sous les arbres.

Il insiste pour profiter de la couverture du feuillage et reprendre quelques forces en faisant une pause, mais je préfère continuer. La nuit tombe d'un seul coup, alors à l’abri dans les bois, on n'y verra plus rien. On sera obligé de s'arrêter.

Il accepte mes revendications et ouvre la marche. Nous avançons, sans bruit. Notre progression nous mène à la rivière salée. Je propose de traverser, nous avons encore le temps.

- On avancera trop lentement avec nos vêtements trempés ! s'énerve-t-il en shootant dans des pierres. Quand bien même on y arriverait, tu veux camper au bord de l'eau ? Avec les moustiques pour compagnons ?

- Que proposes-tu alors ? je riposte, agacée par son inévitable esprit de contrariété.

- Il y avait une petite clairière un peu avant. On va y retourner et faire un feu. Ça se passera bien, ne t’inquiète pas. On n’a croisé aucune créature de la journée.

*****

- Regarde ce que j’ai attrapé ! jubile Matt, des boules de plumes dans chaque paume.

- Des oiseaux ?

Je suis incrédule. Comment est-il possible qu’un homme puisse attraper des oiseaux à mains nues ?

- Oui, ils dormaient, j’ai réussi à en attraper deux quand je cherchais du bois. Ça nous permettra d’économiser ce qu’on a emporté dans nos sacs.

Notre campement est vite prêt, nous n’avions que nos duvets à déplier. Matt m’a laissée allumer le feu et s’est installé un peu plus loin. Il a préparé les oiseaux, mais m’a laissé les cuire. J’ai l’impression que le feu l’effraie. Bref, nous pouvons enfin nous assoir et nous restaurer. Nous mangeons en silence, je ne suis pas tranquille, à l'affût du moindre bruit. Enfin, je mange. Lui me regarde.

- Tu n’as pas faim ? lui demandé-je en désignant la seconde feuille de bananier sur laquelle repose le volatile grillé.

- Non. Je me contente de peu, répond-il sans me quitter des yeux.

- Tu ne dors pas, tu ne manges pas, comment peux-tu tenir ?

- J’ai amené une bouteille de champagne, on va faire un jeu.

Changement de sujet plutôt abrupt. Ça a le mérite d'être clair : ferme-la et lâche-moi avec tes questions.

- Tu crois vraiment que j’ai envie de jouer ? Et de me saouler ? rétorqué-je, perplexe.

- Ça en fait des questions ! Mais ça tombe bien, c’est le but du jeu ; questions-réponses, pas de joker, si tu ne réponds pas, tu bois. Chacun son tour, je commence. Facile : quelle était ta vie jusqu’à maintenant ?

- Nous y voilà. C’est l’heure des révélations. Ok. Tu la connais ma vie : une famille, un mari, des enfants, un travail, une maison, une voiture, des amis… C’est ça la vie ! Apporter de l’amour, et en recevoir ; avoir de quoi vivre, des choses à partager ; c’est ce que tout le monde recherche ! À mon tour, je te renvois la question.

- M’amuser, profiter de tout ce que m’offre la vie. À moi : entre toutes tes occupations, quand as-tu le temps de penser à toi et de rire avec les autres ?

- Quand je ne travaille pas, je passe de superbes moments avec ma famille et mes amis ; autour d’un bon repas par exemple, on fait des jeux, on rit beaucoup. Ou à la plage, aux compétitions sportives… Quelle est la particularité des portraits de tes ancêtres ?

Matt attrape la bouteille et bois une gorgée de champagne.

- C’est tout ? Tu ne veux pas en savoir plus sur moi ?

- Je pense que tu es trop imbu de ta personne, trop égoïste pour partager avec une femme et des enfants. De plus, ça te créerait des obligations et des responsabilités ; tu ne pourrais pas conserver tes secrets. Tout ça n’est pas compatible avec un gamin qui ne pense qu’à s’amuser, comme toi. Tu veux ne penser qu’à ta propre personne et c’est pourquoi je ne comprends pas l’aide que tu nous apporte.

Petit sourire en coin ; serais-je si perspicace ?

- Je ne vois pas pourquoi je devrais me contenter d’une seule femme alors que je peux coucher avec n’importe laquelle. Elles sont toutes à mes pieds !

- Comment ça, elles sont toutes à tes pieds ? Ton arrogance est répugnante !

- Arrête de faire semblant ! Tu n’es pas différente des autres. Si je t’embrasse, tu ne me repousseras pas.

- Dans tes rêves ! Pourquoi nous aides-tu ?

Il est préférable de changer de sujet, car si je hais son assurance, je dois reconnaitre qu'il est très séduisant.

- Parce que ça m’occupe. Les distractions se font rares par les temps qui courent. Quelle est la pire chose que tu aies faite pour t’amuser ?

- Tes questions sont ridicules. C’est quoi un malaforme ?

- Plus tard.

Je lui pose toutes les questions auxquelles il avait promis de me répondre. Il préfère reprendre une rasade à chaque fois.

- Je ne joue plus. Ça ne sert à rien, encore une fois, tu n’en fais qu’à ta tête. Tu n’es pas honnête, tu refuses de m’informer alors que ça nous aiderait sûrement.

- Ça ne t’aidera pas de savoir, crois-moi. Je... ne suis pas prêt à parler.

Il marque une nouvelle hésitation, bois encore et reprend :

- j’ai cru qu’en jouant ce serait plus simple. Les seuls avec lesquels j’ai abordé ces sujets sont les membres de ma famille et quelques autres comme nous.

- Comme vous ? Tu en rajoute encore au mystère qui vous entoure ! Arrête, s’il te plait. J’en ai assez !

Alors qu’il lève de nouveau la bouteille à sa bouche, je me jette sur lui et la lui arrache à la volée, la propulsant plus loin. Il se redresse avec cette agilité qui me surprendra toujours, m’attrape par le col de mon tee-shirt et me maintient contre un arbre. Il va me frapper. J’essaie de le repousser mais il est trop fort.

- Tu vas te calmer tout de suite si tu ne veux pas attirer de monstres. Il y en a qui errent dans le coin, j’en ai aperçu tout à l’heure.

- Ok, je ne dis plus rien. Mais lâche-moi ! j'articule en appuyant sur le mot lâche.

- Tu m’as bien compris ?

- Tu vas me frapper si je ne me tais pas ? Tu as déjà essayé de taper sur des femmes ? Ça devrait te faire kiffer de montrer ta puissance !

Même s’il plisse les yeux et baisse la tête, son bras m’immobilise toujours contre l’arbre, empêchant mes pieds de toucher le sol. J’entends aussi la profonde inspiration qu’il prend pour contenir son exaspération. Que s’apprête-t-il à faire ? Il m’avait dit de ne plus jamais tenter de le frapper, mais il me pousse à bout, à croire qu’il le fait exprès ! Sa bouche vient se coller sur la mienne. Je ne peux pas bouger, il a coincé mes bras contre mon corps, qu’il enlace. Mes lèvres parviennent à lui échapper par un mouvement giratoire de mon visage.

- Tu me fais mal ! Arrête ça tout de suite ! Matt ! Qu’est-ce qui te prends ?

- Tais-toi.

Il recommence ! Mais cette fois, il s’acharne encore plus, ses dents viennent cogner les miennes. Puis il les utilise pour tirer sur ma lèvre. J'ai l'impression qu'il mord ! L’une de ses mains remonte maintenant le long de mon dos. J’en profite pour essayer de le repousser, mais il ne bouge pas d’un millimètre. Ou plutôt, il se rapproche encore de quelques centimètres. Ses doigts caressent ma nuque, glissent dans mes cheveux, tandis qu’il suce mon cou. Plus j’essaie de l'arrêter, plus il se colle contre moi. Il m'ecrase ! Je sens la rugosité du bois dans mon dos, contre mon crâne. Mes cheveux s'emmêlent autour des aspérités de l'écorce. Je vais lui faire sentir ce qu’il me fait endurer en lui rendant la pareille. À mon tour, je cherche ses lèvres, mais il a dû reprendre ses esprits ; il halète contre mon épaule et s’écarte d’un bond, en me tournant le dos.

- Reste où tu es ! Ne m’approche pas, m'ordonne-til d'une voix sourde.

Ce type n’est décidément pas net. Je l’informe de mon intention de regagner mon sac de couchage. Je progresse lentement, les jambes flageolantes, le coeur battant la chamade, sans cesser de le surveiller du coin de l'oeil. J’éprouve à ce moment un mélange de honte, de pitié pour ce fou qui m’accompagne, d’incertitude et de peur. Pour qui me prend-il ? Il a sûrement répondu à un moment d’égarement, c’est tout. Malgré la sauvagerie de ses actes, il a tout de même réussi à déclencher ma libido. Et ça ne me plait pas du tout ! Je dois repousser cette idée complètement idiote et hors de propos, pour me concentrer sur ma mission.

Mais il en a encore décidé autrement, puisque je l'entends me parler :

- Je te demande pardon.

Je ne bouge pas et fais semblant de dormir.

- Tu n’as pas le profil, je n’aurai pas dû, insiste-t-il.

Là, il me provoque, c’est certain. Que je n’ai pas le profil, c’est une évidence. Un type comme lui ne peut apprécier que des jeunes femmes du genre blondes, de gros nénés, bouche pulpeuse et surtout anorexique. Certainement pas des femmes mariées et mères de famille ! Pas le profil, ça veut dire quoi ? S’il pense par là à ses préférences perverses, il a entièrement raison, je n’ai pas le profil. De plus, je n’ai jamais rien dit ou fait qui puisse lui laisser croire qu’on puisse coucher ensemble ! J’espère que mon mutisme l’agace profondément.

- Je sais que tu ne dors pas, poursuit-il encore.

- Tu m’as demandé de me taire ; c’est ce que je fais, je murmure.

- J’ai un truc à faire. Je n’en ai pas pour longtemps.

- C’est quoi ça aussi ? m'énervé-je en me redressant tant bien que mal dans mon sac de couchage.

Je l'aperçois, debout devant l'arbre contre lequel il s'est enivré. Il semble hésiter, mais je ne lui laisse pas le temps de s'enfuir. Je continue :

- Sans arrêt ton « truc à faire », encore un mystère. Mais je m’en moque. Après tout, c’est ta vie.

Immobile, il regarde le tronc de l'arbre. Je ne vois pas son visage. Mais je remarque ses poings serrés et ses muscles tendus. Lorsqu'il se tourne enfin vers moi, mes yeux n'arrivent pas à suivre son déplacement ! Il se téléporte ! Je n’y crois pas une seule seconde, mais pourtant… Que fait-il au bout de mon duvet, et pourquoi tire-t-il dessus pour m’en faire sortir ? Me voilà allongée sur les feuilles mortes sans ma couverture pour me cacher.

- Tu veux des réponses, prépare-toi à en avoir une. Où en étions-nous ?

Il me relève et me soulève pour me coller encore à l’arbre. J’essaie une fois de plus de lui échapper, mais sa langue explore déjà ma bouche. Ses dents pincent ma lèvre inférieure. Je le pousse de toutes mes forces, sans succès. J’essaie de dégager mon bassin d’un côté, puis de l’autre, en vain. Je crois que mes mouvements le stimulent au lieu de le calmer. Au bout de quelques minutes, j’abandonne ; je fais la morte, les bras ballants ; il va se lasser et se décaler, comme tout à l’heure. Mais non, au contraire, sa main retrouve ma nuque. Il arrache mon tee-shirt d’un coup sec. Je tente de crier « non », mais ma lèvre est toujours prisonnière et je ne parviens à émettre qu’un pauvre petit son qu’il doit prendre pour un miaulement de plaisir… Il se frotte tellement à moi que je dois forcer pour aller chercher un peu d’air. Ce qui l’excite encore un peu plus et accentue sa frénésie. Il embrasse maintenant ma gorge en même temps qu’il me pétrie un sein ; puis l’autre. Je ne touche toujours pas le sol ; sa force a quelque chose d’angoissant et rassurant à la fois ! Et est-ce ce froid qui émane de lui qui glace ainsi sa peau ? Il devrait pourtant avoir chaud, transpirer… Sa bouche effleure ma poitrine. J’ai envie malgré moi qu’elle me lèche les tétons ; mais il semble écouter les battements de mon cœur, me respirer. Je ne peux plus ignorer les picotements dans mon bas ventre. Je défaille, ma volonté m’abandonne. Je sors son polo de son jean, passe mes mains dessous et dessine les muscles de son dos, sans oublier de titiller sa poitrine quand il se redresse un peu. Ma raison m’abandonne complètement quand son sexe dur revient se frotter contre moi. Une vague de désir me submerge et je l’entoure de mes jambes, pour le sentir encore plus près. Je le veux !

Il me laisse glisser le long du tronc d’arbre pour s’attaquer à mon pantalon et je profite de cette courte distance pour déboucler sa ceinture. Il enlève mon pantalon en frôlant mes hanches, puis mes jambes. Il hume ma moiteur puis sa bouche revient à la mienne. J’entreprends à mon tour de lui ôter son jean. À ma grande surprise, il ne porte rien en dessous, pas de slip ou de boxer ! Je suis tentée par ce membre qui me taquine. J’ai envie de jouer moi aussi, de le faire patienter encore, de le gouter. J’entreprends de masser son érection mais Monsieur n’ai pas d’accord ; il repousse mes mains en grognant et enlève son polo. Qu’il est beau ! D’une main, je caresse ses tablettes de chocolat tandis que mes autres doigts se referment sur son sexe. Je ne vois pas son visage, enfoui entre mes seins, mais je l’entends râler. Je n’en peux plus, ma respiration se saccade. L’écorce m’écorche le dos mais je sens à peine la blessure ; je n’ai plus qu’une seule idée : me donner à lui, ne plus faire qu’un avec lui, libérer mes sens avec lui et en même temps que lui, surtout en même temps…

Il retire encore mes mains et me pénètre. Brutalement. La sensation est semi agréable, un mélange de douleur intérieure, profonde, et de caresses quand il me fouille. En même temps, il m’embrasse violemment, comme la première fois. Il me fait mal, je crois qu’il me mord la lèvre. Je reconnais le gout du sang. Je grimace et essaie de tourner la tête pour me soustraire mais il me maintient fermement la nuque.

Nous nous embrassons, nous caressons, nous mordons, lui plus brutalement que moi. Il marmonne, encore et encore, tout comme je ne cesse plus de gémir. Ma respiration s’accélère toujours, il grogne plus fort. Sa bouche quitte la mienne pour aller se coller à mon cou. Sa main sous ma fesse me fait descendre sur lui, me remonte, le replonge en moi. Ses doigts sur ma nuque agrippent mes cheveux et les tirent en arrière. Ma tête aussi du même coup. Je suis à sa merci, complètement offerte ; mon sang est en ébullition, des milliers de picotements envahissent mon corps. Mais j’en peux plus, je sais que ce sera l’extase lors de sa prochaine morsure. Il relève la tête, prend une profonde inspiration et plante ses dents dans ma chair, sous mon oreille. Tout explose en moi avec la sensation de mon sang qui s’échappe. Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien, je ne sens plus que la puissance de cet orgasme qui enflamme mon corps en parfaite communion avec celui de mon partenaire, de ce cataclysme qui nous transporte. Je me perds dans cette avalanche de sensations, si bien que je dois m’accrocher. Mes ongles essaient d’agripper ses épaules, ils cassent, provoquant au passage un spasme de plus.

Nous ne remuons plus. Ses lèvres n’ont pas bougé, il ronfle contre mon cou. Mes forces m’abandonnent. Enfin, il s’agenouille. Je ne peux toujours pas bouger, mes jambes l’entourent toujours et mes bras pendouillent mollement autour de son cou. J’ai l’impression qu’il retire son sexe quand il me laisse tomber au sol. Je suis vidée. Il s’écarte et me tourne le dos pour s’en aller je ne sais où.

Je suis allongée parmi les brindilles, les feuilles mortes, la terre… Mes membres restent inertes, mon esprit flotte au-dessus de moi, impuissant et dédaigneux face à ma faiblesse. Ma peau est sale, meurtrie, mais ma plus profonde douleur est provoquée par mon âme souillée, encrassée par des actes autant inavouables qu’inacceptables, et pourtant si agréables, enivrée par un être sans cœur et sans pitié. Je ne veux pas mourir, je veux juste dormir. Pour mieux me réveiller de ce cauchemar.

Longtemps après, il réapparaît. Allongée en position fœtale, je le vois me toiser de toute sa hauteur. Il n’a pas revêtu son polo, juste remonté son jean qu’il a omis de fermer. Il va m’achever cette fois, c’est sûr.

Au lieu de cela, il me prend dans ses bras et me porte jusqu’à mon duvet où il me dépose délicatement.

Avant de sombrer dans un sommeil profond, il me semble l’avoir entendu parler.

- Dors, petit ange. Je veille.

Mon sommeil est encore plus agité que d’habitude. Je me débats avec un malaforme dont le visage n’a rien de monstrueux puisqu’il s’agit de celui de Matt. Sa morsure n’est pas douloureuse ; au contraire, elle fait monter le désir en moi, un désir de plus en plus puissant. Mon esprit nous observe ; les traits de Matt ont changé, ils sont devenus hideux et couverts de sang, et il m’a tellement vidée que mon corps est presque translucide.

C’est à ce moment que je m’éveille ; mon cœur cogne tellement fort qu’il pourrait bondir de ma poitrine. D’ailleurs n’est-ce pas le cas ? Non, je suis encore entière, même si je me sens très fébrile. Je n’ose pas ouvrir les yeux. Il ne m’a pas donné d’explications, il a préféré me montrer. J’ai peur de lui maintenant qu’il n’a plus à se cacher de moi. À moins qu’il regrette et soit parti. Je ne sais pas ce qui me terrifie le plus : qu’il m’ait abandonnée ici, toute seule ou représenter maintenant son repas. Quoiqu’il en soit, je suis dans le pétrin. Et il fait encore nuit !

- Je sais que tu es réveillée.

Merde ! Finalement, il est resté. Comment dois-je réagir ? Bon, il ne semble pas agressif. Heureusement, il est adossé à son arbre, (notre arbre, quelle folie !), et ne vois pas mon visage. Ne lui montre pas que tu as peur ! Compose-toi une attitude.

Je sors de mon duvet à reculons, difficilement et me tourne vers lui, lentement, en regardant les feuilles mortes sur le sol.

Je lui fais maintenant face, mais impossible de le regarder. Je l’entends se lever et approcher. Ne le laisse pas te mordre encore ! Il tourne délicatement ma tête et je sens son souffle dans mon cou. Non, pas ça ! Je suis sous son emprise, il me contrôle, comme un jouet, un pantin. Sa main attrape mon menton qu’il me force à redresser.

- Regarde-moi. Je t’ai demandée d’avoir confiance en moi. Tu voulais savoir qui je suis, tu as ta réponse, je n’en ai pas d’autre.

- Tu vas me faire mal ? demandé-je d'une voix pleurnicharde, les larmes aux yeux.

- Non ! Je ne mords pas autant normalement. J’aurai dû arrêter plus tôt, mais j’étais… C’était… violent…

- Les vampires se nourrissent de sang. Tu aurais surtout dû me le dire, pas me le montrer. Mais finalement, c’est mieux pour toi, ton repas te suis partout, n’est-ce pas ?

Il retourne s’appuyer à l’arbre. Ma déception et mon amertume reprennent le dessus, mais je dois à tout prix ne pas le provoquer en employant un ton aussi dédaigneux. Même s’il me semble calmé.

- Tu ne comprends pas. Nous vivons parmi vous depuis des siècles sans ternir votre petit monde d’humains. Quand nous nous nourrissons, nous faisons en sorte que ça ne se voit pas et que les gens oublient. J’ai essayé de te parler, mais tu aurais cru que je te menais en bateau pour éviter de répondre. Et puis, je me suis dit que ça serait plus marrant.

- Plus marrant ? hurlé-je, indignée. Tu sais ce que ma conduite représente pour moi ? Je vais devoir vivre avec ce que j’ai fait ! J’ai du mal à assimiler. C’est impossible ; c’est un cauchemar. Je dois me réveiller !

Je m’effondre, en larme. D’un seul bon, il est à côté de moi. Si je ne connaissais pas sa nature, je croirais qu’il est désolé.

- Je sais que c’est dur. Mais ça ne change rien, crois-moi. Ce qu’il s’est passé ne se reproduira pas ; j’ai eu tort, je te l’accorde. Souviens-toi que je t’avais prévenue de ne plus jamais essayer de me frapper. Bref, nous allons continuer les recherches, tu vas te ressaisir et rester la femme forte que je connais. Et je vais rester l’emmerdeur qui t’énerve. Tu veux en savoir plus ?

- Non. Pas maintenant. Je veux que tu me fasses oublier.

- Non.

- S’il te plaît ! Je veux oublier !

- Tu voulais une réponse, tu l’as. Si j’efface ce souvenir, tes questions reprendront… Et contrairement à toi, moi j’ai suffisamment confiance en toi pour savoir que tu n’en parleras à personne. Sujet clos. Autre chose ?

- Ta sœur, ton frère, sont-ils eux aussi… ?

- Oui, ils sont comme moi.

- Vous êtes nombreux ? Je risque d’en rencontrer d’autres, qui suceront mon sang jusqu’à ce que je meure, non ?

- Les vampires existent, tu le sais maintenant. Mais tu ne crains rien ici. Ces êtres craignent l’eau. Ils ne se risquent pas à venir sur une île entourée de mer et d’océan. Ils préfèrent les grands continents où ils peuvent se nourrir discrètement.

- Mais pourquoi… ?

- On en rediscutera plus tard.

- Parle-moi des malaformes, s’il te plait.

Il soupire, et :

- Allons-y. Pour faire court, ce sont des vampires ratés.

- Donc des mort-vivants, des zombies.

- Pas tout à fait. Ils ne mangent pas de chair humaine. Ils boivent du sang, humain ou non.

- Mais pourtant tous ces cadavres avec la gorge déchiquetée…

- Ils n’ont pas d’intelligence. Ils ont juste gardé quelques attributs vampiriques. Ils sentent le sang battre dans tes veines, ils entendent ton cœur, te voient. Ils ont juste besoin de se nourrir, comme tous les êtres vivants.

- Mais ils sont morts ! Remarque toi aussi. Pourquoi certains reviennent-ils et d’autres non ?

- Je dois te parler des vampires pour pouvoir t’expliquer ce que sont les malaformes. Ca va prendre du temps et le jour va se lever. Je propose qu’on reprenne les recherches et qu’on en reparle ce soir.

- Juste une question : pourquoi les craignez-vous ?

- Ils peuvent nous tuer. Tout comme ils tuent les humains.

- Je ne comprends rien du tout ! Les vampires sont censés tuer les humains, vivre la nuit et ne pas supporter la lumière du jour. Tu ne fais rien de tout ça ! Et maintenant des vampires ratés !

- Je t’expliquerai ce soir.

- Nous pouvons aussi parler en marchant.

- Non, nous devons faire le moins de bruit possible, tu te rappelles ? Aller, le jour se lève ; on replie le campement.

Il tente de m’attendrir en m’adressant un clin d’œil. Mon ignorance semble l’amuser ; la colère et la frustration me gagnent. Je dois cependant prendre sur moi, car je crains ses moyens pour me faire taire.

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