5/ L'entrainement : Lana

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Je sors de la salle uniquement pour ma toilette et pour dormir. Le reste du temps, je m’entraîne, encore et encore. Je vois que je progresse quand je rajoute des poids, les jours qui suivent. J'écoute Matt, car il sait de quoi il parle, vu ses muscles impressionnants. Quand il revient, il m’apporte des fruits, des bananes souvent.

Une maison voisine possède une piscine. Oui, dans la maison, une piscine semi-ouverte. Comme les propriétaires ne sont pas là, Matt installe une corde sur le bord pour que j’améliore mes sauts. Il m’aide car je suis nulle, j’ai toujours détesté le saut en hauteur. Pourtant, je suis déterminée à franchir la corde toute seule et j’y arriverai. Il me force à recommencer, une fois, cinq fois, dix fois, jusqu’à ce que je franchisse cette fichue ficelle. Parfois, il se déporte quand j’approche de la corde, m’attrape par la taille et me soulève pour que je passe enfin par-dessus. Je finis inévitablement dans la piscine, mais ça fait du bien ; il fait si chaud ! J’ai pris le risque de le mettre en colère en changeant de cap au dernier moment pour fondre sur lui et le pousser dans l’eau. Mais c’est comme s’il devinait mes intentions. Il a juste fait un pas en arrière et j’ai fini toute seule dans le bassin. Ça l’a amusé car il m’a grondée, mais avec le sourire ! C’était agréable de trouver une forme de complicité, même si ça n’a duré que quelques minutes.

Dans le champ, derrière la maison de Matt, je dois monter dans un arbre à pain, en redescendre, puis remonter, de plus en plus vite. Mon instructeur grimpe de l’autre côté du tronc à une vitesse incroyable ! Je me demande s’il y a quelque chose qu’il ne sait pas faire… Le plus dur, c’est de redescendre. Comme je n’ai pas peur, il me fait sauter de l’arbre, de plus en plus haut, pour que j’améliore mes retombées sans douleurs. Lorsqu’on a fini ces exercices, il accroche une cible à l’arbre, sur laquelle je dois viser avec un arc. J’aime bien cette activité. Il me montre comment tenir l’instrument de ma main gauche, me mettre de profil, placer la flèche au plus près de mon œil en ramenant mon autre main sur ma joue et viser jusqu’à ce que je voie la pointe dans la cible. Je m’en sors plutôt bien.

Shana nous rejoints, les bras chargés. Comme toute enfant normale, ses copines lui manquent, son téléphone portable et internet aussi.

- Une courte pause, ça te dit ? me propose Matt.

- Pourquoi ? Tu en as déjà assez ? Je te croyais plus résistant.

Je me suis moquée, je n’aurais pas dû ; mais j’ai compris quand je peux le taquiner et quand il vaut mieux que je reste à ma place. Aujourd’hui, il semble détendu et de bonne humeur. Ça ne l’empêche pas de me regarder de travers.

- Ne me cherche pas, tu vas me trouver. Et tu vas perdre.

- Je vous ai apporté de l’eau et des pâtes, nous informe la jeune fille. Ma mère reste collée à la cuisine et je m’ennuie.

- Elle sait que tu es sortie toute seule ? m'inquiété-je.

- Bien sûr que non ! Je peux rester avec vous ? S’il vous plaît ? Je ne vous dérangerai pas, c’est promis…

Je vois bien que ça contrarie Matt. Mais il cède devant sa mimique implorante.

- Je n’ai pas faim. Je vous laisse, un truc à faire, ajoute-t-il en s'éloignant. Profitez-en. Lana, on reprend dans une demi-heure.

Shana le regarde s'eclipser, puis me demande :

- Pourquoi tu le laisses te donner des ordres ?

- Il est comme ça. Et ça ne me dérange pas s’il me permet de devenir plus forte. De plus, c’est un bon professeur ; strict, mais efficace. Tu sais, je commence à le connaître, juste un peu, et il n’est pas si féroce qu’il cherche à nous le faire croire.

Je mange rapidement, je ne m’étais pas aperçue à quel point j’avais faim, et je saute dans la piscine avec Shana.

Matt est vite de retour. C’est déjà l’heure de reprendre. Je suis moins motivée, mon corps tout entier me fait souffrir. Lui, par contre, semble encore plus en forme ! Pourtant, sa proposition me surprend :

- Aller ! On rentre. Je te fais une fleur, on y va en marchant.

- Qu’est-ce qui m’attend ?

- Tu vas découvrir le maniement du sabre. J’ai eu l’impression que ça t intéressait, je me trompe ?

Je soupire avant de m'incliner en riant :

- Question idiote Matt, tu ne trompes jamais, c’est bien connu.

- Un point pour toi, concède-t-il avec sourire et clin d'oeil.

C’est lui qui prend l’arme. Il a choisi une épée. On répètera la même scène après avec un sabre. Il veut que je voie la différence entre les deux. Il me demande de me diriger vers lui en imitant un malaforme. J’obtempère, mais je suis incapable de garder mon sérieux. J’ai la sensation de faire le clown et de me ridiculiser complètement. Shana se joint à moi en éclatant de rire. Evidemment, ça n’est pas du goût de Matt qui s’énerve aussitôt :

- Tu t'appliques où on arrête tout de suite !

- Tu m’as demandé de jouer le rôle du monstre, c’est ce que j’ai fait. Avoue que c’était drôle ! dis-je, hilare.

Il trépigne et murmure presque, tant sa machoire est crispée :

- Je ne vois pas ce que ça a d'amusant. Je te rappelle qu’ils peuvent tous nous tuer.

- Tu ne rigoles jamais, Matt ? Ta vie doit être vraiment trop triste…

- Pour quelqu’un comme toi, elle le serait en effet ; à l’inverse, ta vie est pour moi sans aucun intérêt.

- C’est méchant ça !

- Je ne suis pas réputé pour ma gentillesse. Juger ma vie alors que tu ne la connais absolument pas, relève de la bêtise humaine.

- La bêtise humaine ! Tu te prends pour un Dieu ou quoi ?

Je suis face à lui ; il me dépasse, mais ma fureur est telle que je le pousse de toutes mes forces. Je veux lui faire mal, qu’il cesse ses airs supérieurs. Je veux qu’il recule devant moi, qu’il comprenne que je n’ai pas peur de lui. Je le bouscule encore une fois, mais il ne bouge pas. Je suis certaine qu’il ne remue même pas un orteil. C’est impossible, ce type est un roc ! Je rêve où c’est un sourire que je vois sur ses lèvres ?

Je claque violemment la porte en sortant et me dirige vers les escaliers. Enfin j’espère... C’est bon, ils sont à leur place. Je regarde les portraits en passant, j’ai l’impression qu’ils se moquent de moi, eux aussi. Je m’arrête devant chacun d’entre eux et leur tire la langue. J’agis comme une gamine mais je m’en fous. Si je ne me retenais pas, je leur cracherais dessus et je leur crèverais les yeux ! J’ai besoin d’un bouc-émissaire qui ne me fera pas de mal pour me calmer ! Le tableau devant lequel je me trouve penche rudement vers l’avant. Il doit être mal accroché. Il bouge, il va tomber ! Sur moi ! Ah ! Je descends de quelques marches, la peinture dans mon sillage. La toile suivante va se décrocher aussi !

Je suis en pleine reflexion sur la qualité des fixations et m'apprête à vérifier l'état des oeuvres quand une voix me fait sursauter :

- Qu’est-ce que tu as fait ? me demande la sœur de Matt, suspicieuse.

Surprise par son accusation, je me défends :

- Rien, je ne les ai pas touchés. Ils sont mal accrochés.

- Tu as forcément fait quelque chose. Ils sont là depuis une éternité et n’ont jamais bougé.

- Pense ce que tu veux. Que ce soit avec toi ou ton frère, c’est obligatoirement les autres qui ont tort. À plus.

Je n’ai pas le temps d’aller plus bas, elle me bloque le passage. Avec un regard chargé de haine et une voix orchestrée par la rage, elle reprend :

- Où crois-tu aller comme ça ? Tu as enlevé les visages de mes ancêtres de leur support, tu vas les remettre en place tout de suite.

- Je le ferais si je le pouvais. Ils sont trop grands et trop lourds pour moi.

- Remets-les à leur place ! hurle-t-elle, le visage à quelques centimètres du mien.

- Ça suffit, Carole ! Il est possible qu’ils se soient décrochés, tu en es parfaitement consciente. Je les reposes, intervient Matt, du haut des escaliers.

- Ton sauveur est là…

Elle s’en va, de sa démarche de reine du bal et je reste plantée là, au milieu des marches, à regarder Matt raccrocher les portraits de famille. Dont certains lui lancent un regard désapprobateur, et dont les autres me toisent avec colère.

- Viens, ne restons pas là, m'entraîne-t-il, sa main sur mon épaule.

On remonte. Il me conduit encore une fois dans sa chambre. Il s’installe derrière son bar, et m’invite à prendre une chaise haute face à lui. Il se sert un verre de scotch, m’en propose, mais je refuse.

- Qu’as-tu fais aux tableaux ? demande-til sur le ton de la confidence.

- Je n’y ai pas touché ! Vous allez tous me poser la question, un par un ?

- Ok, tu n’y as pas touché. Alors qu’as-tu fait ? Ils ne sont pas tombés tout seuls, insiste-t-il, les sourcils froncés.

- Pour la dernière fois, je n’y ai pas touché. À mon tour, comment leur expression peut-elle changer suivant qui se trouve devant eux ?

- Qu’as-tu fait pour qu’ils tombent ?

Il n'en démordra pas. Je soupire et capitule :

- Ok. J’abandonne. Je vais te demander un dernier service. S’il te plait, peux-tu me ramener chez moi ?

- Je peux. Mais je ne le ferai pas. On n’a pas terminé ton entrainement.

- Ah, écoute, je n’ai même plus envie de savoir pourquoi tu m’apportes autant d’aide, à moi, pauvre femme dont la vie est sans intérêt. Je veux juste rentrer là où je me sens bien, c’est-à-dire chez moi. Où il n’y a pas de tableaux ou d’escaliers qui bougent, là où en temps normal, je suis appréciée par ceux que j’apprécie. Là où les gens sont normaux et gentils ! Où ils ne sont pas bourrés de secrets !

- Je vois. Je répondrai peut-être à tes questions, à certaines seulement, quand nous entamerons les recherches. Pour l’instant, nous avons autre chose à faire.

- Je suis fatiguée de tout ça, Matt. Ce qu’il se passe dehors est déjà assez dur à gérer sans que je me dispute avec toi ou ta sœur. Elle ne m’aime pas, soit dit en passant. Encore une chose dont j’ignore la raison. Bref, je suis blasée.

- Bois un verre, ça te détendras, conseille-t-il en portant la boisson à ses lèvres.

Je le regarde, incrédule.

- Tu crois que si je me saoule, j’arriverais à oublier ?

- Je crois surtout que reprendre l’entrainement te feras du bien. Et… tu es une bonne élève, me complimente-t-il avec son habituel clin d'oeil.

- Tu m’as blessée ! lui rappelé-je.

- Tu l’as cherché. Je suis désolé. Ça te va comme excuses ?

Il montre des signes d'agacement, mais je reste boudeuse. Il hausse les sourcils avant de poursuivre :

- Je ne sais pas à quoi peut bien ressembler la vie d’une femme active, mariée et mère. Mais on aura bientôt l’occasion d’échanger toutes sortes d’explications. On s’y remet ?

Il me tend la main en me souriant de toutes ses dents. Je ne résiste pas, mais je le suis en râlant. Il ne va pas m’attendrir de cette façon !

De retour dans la salle des armes, j’ai la surprise de trouver Clyselle. Matt lui a demandé de nous servir de mannequin car les siens ne sont plus en état. Il reprend l’épée et me fait une démonstration très soignée, face à mon amie, inquiète. Il répète ensuite la même opération avec un sabre. Je me trompe peut-être, mais je trouve le katana beaucoup moins compliqué.

Je le saisis, et Matt me montre comment me placer pour effectuer la première garde. Il pose ses mains sur les miennes (qu’elles sont froides !), colle la lame le long de ma jambe et l’emmène de bas en haut de mon pseudo adversaire. En même temps, avec sa jambe, il a poussé la mienne, de manière à nous faire effectuer un demi-tour. Clyselle fronce les sourcils devant ce rapprochement, mais je lui fais comprendre d’un regard que mieux vaut ne rien dire. Nous répétons plusieurs fois l’opération, jusqu’à ce qu’il me sente suffisamment souple pour essayer toute seule, face au mur. Je ne maitrise pas encore assez les distances pour utiliser un mannequin humain.

Nous passons la fin de la journée à nous entrainer au sabre. Je découvre plusieurs gardes et coupes et apprend à piquer ; maîtrise qui peut s’avérer utile puisqu’il faut toucher les malaformes en plein cœur.

Le soir, nous nous réunissons tous autour d’un bref repas, durant lequel il est surtout question de mes progrès et de nos projets pour la suite. Clyselle nous réitère son désir de se joindre à nous. Elle a apprécié le cours. Mais Matt refuse.

- Tout l’équipement est à ta disposition ; utilise-le, prépare-toi pour accompagner ceux qui partiront faire le ravitaillement. On prendra la mustang pour vous laisser le 4X4 ; vous en aurez besoin pour ce que vous trouverez.

J’ai encore rêvé si j’ai cru pouvoir passer une nuit tranquille. Au moment d’aller prendre un peu de repos, mon professeur m’entraîne de nouveau dans le champ, où il allume deux lampes torches.

- C’est ici que nous dormons cette nuit.

- Tu plaisantes ?

- Tu crois que tu vas dormir où quand on partira ? Ils ne peuvent pas entrer dans ce champ. Tu ne crains rien. Je veux que tu saches dans quoi tu t’embarques.

- Tu es certain qu’ils ne peuvent pas passer ?

- Oui. Si j’ai tort, on se défendra. Regarde sous le buisson.

J’y découvre les pistolets, le sabre et l’épée. Je m’assois face à lui. Je ne sais pas quoi dire. La situation me paraît irréelle. En d’autres circonstances, on aurait pu croire à une soirée romantique. Même s’il manque le feu. Un champ, un ciel étoilé, un bel homme… Ça ne va pas la tête ! Il est beau, certes, mais insupportable. Ce n’est pas avec lui que je serais ici si je le pouvais ! Il faut que je trouve quelque chose à dire, car il me met terriblement mal à l’aise. Toute sa fierté se dégage de sa personne quand il me fixe de cette manière, avec ce petit sourire narquois… C’est comme une évidence pour lui, que je le trouve séduisant. Mais je déraille, il faudrait pour cela qu’il puisse lire mes pensées. Je préfère ne même pas imaginer…

- Serais-tu en train de rêver ?

- Bien sûr que non, j’ai les yeux ouverts ! Arrête de me regarder comme ça, tu me gêne. Mon teint doit avoir viré au rouge pivoine.

- Je sais. C’est l’effet que je produis… Tu es fatiguée ?

- Oui, je commence à m’endormir. Et tout ce calme, c’est tellement inhabituel ; on n’entend même pas les insectes. C’est angoissant.

- Je te prête mon épaule, appuie toi, ferme les yeux. Je prends le premier tour de garde.

Le jour s’est levé quand j’ouvre les yeux. Le temps de reprendre mes esprits et je me redresse d’un bond : je suis allongée, les jambes de Matt me servant d’oreiller ! Je lui jette un coup d’œil, embarrassée et inquiète de sa réaction. Il arbore encore ce sourire amusé qui m’énerve tant !

- Pourquoi ne m’as-tu pas réveillée ?

- Bonjour, me répond-il, les yeux pétillants de malice. Tu dormais et ça me faisait du calme. Mis à part quand tu as ronflé.

- Quoi ? Je ne ronfle pas, sauf quand je suis enrhumée, ce qui n’est pas le cas ! J’ai dormi combien de temps là… comme ça ?

- Comment ?

- Et bien… ma tête, tes… euh…

- Mes cuisses ? Elles ont l’air confortable.

J’arrache une touffe d’herbe et la lui balance. Il rigole, pas aux éclats bien sûr, et évidemment, c’est à mes dépens.

Peu importe car je constate que notre relation change. Nos fréquentes disputes commencent à céder la place à une meilleure compréhension.

- J’ai des fourmis dans les jambes, attends-moi ici, je reviens.

De nouveau, il me laisse seule.

Nous passons des heures, des jours, des nuits à me former. Nous essayons toutes sortes de sports en plus de la musculation, de l’endurance, du saut…

Je pratique pas mal de gymnastique pour la souplesse, je lutte contre lui, je perds à chaque fois, cela va sans dire. Il m’enseigne le lancer de couteau. Pour cette activité-là, je ne me risquerai pas à répéter sa démonstration. Il m’a collé au mur, avec pour ordre de ne pas bouger un seul cheveu. Si on doit partir ensemble, on doit avoir confiance l’un en l’autre. Et il a dessiné ma silhouette avec des couteaux ! Je ne suis pas convaincue qu’il accepterait de se plier à l’exercice si c’était moi qui tirais.

Enfin, je me sens prête à affronter les zombies qui s’agglutinent en masse, de plus en plus nombreux, tout autour de la propriété. Mais Matt préfère patienter encore. Je crois qu’il attend que je l’immobilise lorsque nous nous affrontons en lutte, mais ça n’est pas pour demain ; il est beaucoup trop rapide. On dirait qu’il sait avant moi ce que je me prépare à faire.

Le temps défile, et avec lui les chances de retrouver ma famille et mes amis sains et sauf. Ma concentration s’en ressent et ma patience atteint ses plus lointaines limites. Nous nous disputons, une fois encore.

- Tu es apte à survivre dehors ? Ok, allons-y, crie-t-il, profondément agacé.

Il accroche le Glock à l’arrière de mon pantalon et m’ordonne de l’accompagner dans le jardin. Je peine à le suivre tant il se déplace vite.

Il s’apprête à ouvrir le portail, un poignard à la main. Ce n’est pas possible ! Il n’espère quand même pas qu’on parvienne à tous les tuer ! À deux ! Et ici !

Mais non, il n’en laisse entrer qu’un. Il me fait passer devant lui, face à la créature qui m’agrippe les épaules, sa tête répugnante à quelques centimètres de la mienne ! Je pousse un cri d’effroi qui accroît la force du monstre ; il me fait tomber en arrière et se jette sur moi. Je continue d’hurler ma terreur, tout en entendant Matt me crier des phrases que je ne comprends pas. J’essaie de maintenir mon adversaire à distance avec mes mains sur sa poitrine, mais sa bouche se rapproche encore de mon visage. Ils ne se nourrissent pas de chair humaine , je me souviens. Je l’examine rapidement et ne vois plus que ses dents.

- Maintenant Lana ! Maintenant ! Ton arme !!!

L’instinct de survie prend le dessus ; je concentre mes forces dans mes bras et mes jambes pour retourner le zombie. Je l’empêche de bouger en m’asseyant sur lui et parviens à attraper le pistolet laissé à ma ceinture. Je vise l’endroit que m’a désigné mon professeur et tire. Les bras de la chose s’écroulent au sol ; un sifflement me déchire les tympans. Je repousse la créature et me relève, chancelante, au bord de la nausée. Mais que fait Matt ? La même scène se reproduit ! Matt derrière moi, zombie qui tente de me faire tomber ! Malgré la douleur, je suis opérationnelle. Je n’ai pas ranger mon arme. Boum ! Celui-là était facile. Je me détourne en grimaçant avec l'intention de faire savoir à mon formateur le fond de ma pensée.

Je me rends alors compte que mes collègues et les neveux ont tous assisté à ce macabre spectacle. Ils se tiennent sur le seuil de la maison, Matt au milieu, en train de m’applaudir.

- Arrête de taper des mains ! On n’est pas au théâtre ! À quoi tu pensais ? On vient de passer des jours presque sans manger et dormir et tu espérais que je serais suffisamment en forme ? Tu t’es vengé de la dernière fois, au stand de tir, c'est bien ça ?

- Tu es prête à entamer les recherches seulement tu ne t’attendais pas à être attaquée ! Ce sera tous les jours comme ça quand on partira. On aura faim, on sera épuisé, et pourtant ils surgiront sans prévenir ! Ceux-là se sont présentés seuls ; sur la route, ils seront en groupe ! Alors tu t’attendais à quoi ? C’est ça la réalité dehors. Toujours partante ?

- Plus que jamais !

Je n’en suis pas certaine, mais je suis trop têtue pour admettre qu’il a raison. Et puis le temps presse.

Clyselle nous conseille de prendre au moins une journée pour nous reposer et préparer soigneusement nos bagages. Elle n’a pas tort, si nous ne reprenons pas de forces, nous ne tiendrons pas longtemps.

J’en profite pour tenter d’approcher la fille de Val. Cette dernière a remarqué l’hostilité de sa fille, sans en comprendre les raisons. Elle m’a confié qu’aucun dialogue n’est possible. La jeune fille refuse obstinément toute discussion, même avec Clyselle ou sa petite. Elle l’adorait pourtant. Elle s’en occupait comme d’une sœur.

Je la cherche dans la cuisine, dans sa chambre, dans le salon, sans succès. C’est une adolescente très attentive, peut-être est-elle en train d’observer les créatures dehors ? Non plus. Mais où peut-elle bien être ? Je la trouve dans l’armurerie. Comment cette pièce peut-elle rester accessible à n’importe qui ?

Je décide d’entrer dans le vif du sujet :

- Pourquoi en veux-tu autant à ta mère ? Et au monde entier par la même occasion ?

- Parce qu’elle s’apitoie sur son propre sort ! Elle souffre ? Et mes frères ? Et mon père ? Ils ne souffrent pas eux ? Même ces monstres souffrent ! Toi aussi tu souffres, et pourtant tu continues à te battre, tu gardes espoir… Mais il n’y a qu’elle qui compte ! Comme toujours !

- Je trouve ta réaction démesurée, Shana… avancé-je.

Je tends la main vers son épaule, avec l'espoir de l'apaiser grâce à une étreinte. Elle s'écarte et recule, la bouche déformée par la haine, une lueur animale dans le regard :

- Ma réaction ??? Et la sienne ! Je veux retrouver ma vie ! Tout le monde veut retrouver sa vie ! Ou crever, hein, parce que à quoi bon continuer à vivre ? !

Val a bien tenu ses propos, devant sa fille. J'essaie encore :

- Tu sais, j’ai moi aussi des doutes et de mauvaises pensées. Elle voudrait juste pouvoir vous protéger, comme elle l’a toujours fait.

- Oui, pour que tout le monde dise qu’elle est une bonne mère ! Comme d'habitude, on en revient à elle !

Je connais mon amie, elle se sacrifierait pour ses enfants.

- Non ! Parce qu’elle vous aime !

À mon tour d’être considérée avec mépris.

- Laisse-moi. Plus je suis loin d’elle, mieux je me sens. Je refuse de devenir quelqu’un d’inutile comme elle.

Elle se détourne et se dirige vers la porte. Elle croit clore ainsi la conversation, mais je n'ai pas terminé :

- C’est un jugement très dur Shana. C’est ta mère. Aujourd’hui tu n’as plus qu’elle, on ignore où sont tes frères et ton père. Réfléchis-y. Peut-être même que tu pourrais la soutenir et lui apporter un peu de ta force. Chaque personne est différente ma grande, c’est ce qui compose notre monde.

- Notre monde n’a plus de place pour la différence. Bats-toi ou crève. Laisse-moi, maintenant.

Je la regarde sortir, consternée. Impossible d’expliquer à une mère que sa fille puisse la haïr à ce point. Surtout que je ne connais pas le fond du problème. Ces sentiments enfouis, cachés, devaient forcément exploser comme une bombe à retardement le jour de leur remontée à la surface.

Je me confie à Clyselle, occupée à faire bouillir de l'eau :

- Je ne peux pas les réconcilier. Je n’en ai pas le temps. Je vais partir et je dois me concentrer sur ce qui nous attend. Parle à Val et à Jonathan ; je crois que Shana devrait être formée pour nous accompagner. Elle a besoin de croire en quelque chose, de se sentir utile et de se défouler. De prouver aussi qu’elle peut exister sans sa mère.

- Matt ne veut pas, tu vas encore te disputer avec lui si tu fais des plans dans son dos.

- Matt ne veut pas parce que Val ne veut pas. Persuade-la.

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