3/ L'ERREUR : LANA

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Mon entrainement doit commencer sans tarder.

Matt me fait traverser la maison ; c’est étrange, nous sommes arrivés à l’étage où j’ai dormi, mais je ne reconnais pas les lieux ; les différents escaliers ne sont pas au bon endroit, les portes dans l’autre sens, même l’air me parait plus lourd à respirer.

Décidément, ma mémoire est train de flancher. J’ai l’impression d’avoir traversé des dizaines de couloirs, grimpé des centaines de marches, foulé des milliers de pierres, de dalles et de planches de bois quand enfin il ouvre une porte et s’efface pour me laisser entrer. Tiens donc, on lui a appris la galanterie ?

Les grandes fenêtres et leurs volets sont clos, mais quelques rayons de soleil parviennent à s'immiscer entre les lattes, et à illuminer la pièce. On dirait une armurerie, bien qu'elle soit aussi grande qu’une salle des fêtes. À ma gauche, de grandes vitrines laissent voir plusieurs armes à feu, des pistolets ou révolvers, récents ou anciens. Les vitrines ne sont-elles pas censées mettre en valeur de belles choses ? Pas ces objets de mort en tout cas. Je lui demande avec répugnance s'ils sont chargés, en les désignant du menton.

- Non, mais je vais le faire et tu vas m’y aider, me répond-il avec sérieux.

- Certainement pas. En plus je n’y connais absolument rien en arme. Je serai capable de nous tirer dessus ! objecté-je en reculant.

- C’est pour ça que je vais t’apprendre. De toute façon, elles doivent être prêtes à servir.

Inutile de discuter, il a décidé que je toucherai ses objets de malheur et il m'en collera un entre les mains , de force s'il le faut. À moins que je ne détourne son attention :

- Pourquoi est-ce toi qui te charge de ma « formation » ?

- Je ne sais pas pourquoi, mais je sais qu’on va faire équipe. Et tu as entendu mon frère.

- Alors là, je n’en reviens pas ! Ton frère est autorisé à te dicter ta conduite ? Qui d’autre ?

Oups, je n’aurai pas dû me moquer. Il avait réussi à se détendre et le voilà de nouveau prêt à me changer en statue de glace. Je lui souris pour m’excuser ; si on doit « travailler » ensemble, mieux vaut ne pas chercher la bagarre.

Il m'invite d'un signe de tête à m'assoir sur l'un des bancs qui entourent une massive table, au centre de la pièce. Je regarde le mur en face de moi pendant qu'il se dirige vers les vitrines. Des épées et des sabres sont suspendus dans leurs fourreaux et deux mannequins sont vêtus de tenues d’escrime.

À ma droite, un buffet très ancien supporte un renard empaillé ; au-dessus trônent une tête d’ours et une de cerf. Autour de ces trophées sont accrochés des couteaux de chasse et des carabines.

Je me tourne complètement, curieuse de découvrir le dernier mur, celui auquel je tournais le dos jusque-là. Il soutient deux arcs et quatre arbalètes. Au milieu, dans des cadres, des oiseaux aussi bien entretenus que le renard semblent prêts à fondre sur nous. Sur une table basse, historique elle aussi, sont posés deux harpons encadrant une gueule de requin grande ouverte. Quelle horreur ! Quel sorte d'être immonde peut réserver une pièce de sa maison pour y exposer des restes d'animaux ?

- On est chez qui ? je demande, écoeurée.

- Mon frère, ma sœur et moi, explique-t-il en sortant un trousseau de clés de sa poche.

- Vous vivez tous les trois ensembles ?

Je suis incrédule. À leur âge, ils n'ont pas encore réussi à rompre les liens fraternels ?

- Oui, acquiesce-t-il, en ouvrant la vitre du haut.

L'idée de tomber sur un cadavre humain me traverse l'esprit et renverse mon coeur. Après un hoquet d'effroi, ma question suivante franchit mes lèvres toute seule :

- Pas d’autres trophées que les animaux ?

- Non. L’ours a été tué par des oncles, il y a très longtemps. Bien avant notre naissance, me renseigne-t-il en souriant légèrement, amusé par mes questions ridicules. Puis il déverrouille les quatre tiroirs du meuble.

- Il y a des ours sur l’île ? douté-je encore.

- Non, ils l’ont tué lors d’un voyage et l’ont ramené quand ils sont rentrés. Ce sont aussi mes ancêtres qui ont chassé les requins, s'impatiente-t-il, saisissant un pistolet et le caressant du bout des doigts.

- Ah. Pourquoi me montrer tout ça ?

- Je te l’ai dit, tu dois te former avant de ressortir. Ça empire, il y en a de plus en plus. Ça devient... inquiétant.

Ça devient inquiétant ? C'est un euphémisme !

Il remet rapidement l'arme à sa place et se précipite vers la fenêtre la plus proche. Je me demande bien ce qu'il espère voir à travers les volets, mais il colle son oreille à la vitre et semble se concentrer quelques instants sur ce qu'il perçoit.

- Ils s’agglutinent autour du mur de clôture ; il est solide et haut. On ne craint rien ici, du moins à l’intérieur, me rassure-t-il, les sourcils froncés.

Il traverse la pièce à grand pas, puis ouvre une porte, cachée par celle qui nous a permis de pénétrer ici, et qui se révèle être un placard rempli de mitraillettes ! C’est bien ce que je disais : une armurerie. Il veut m’apprendre à tuer ? Impossible, moi qui ne ferais pas de mal à une mouche.

Finalement, il change d'avis et retourne à sa première idée, la vitrine. Il se tourne alors vers moi et me demande de le rejoindre :

- Viens choisir une arme.

- Hors de question ! Je ne viserai personne avec ces trucs là ! m'insurgé-je en appuyant mes coudes sur la table avec force.

- Tu veux partir à la recherche de ta famille, oui ou non ? C’est ça ou rien. Alors ? J’attends.

Je dois retrouver ma détermination, pour eux. Je me lève et me dirige vers ces objets dont j'ai acheté des répliques en plasique à mes garçons. Je me lance. J'en prends une, la soupèse, la regarde.

- C’est un Smith et Wesson MP9 compact, m'informe Matt en guettant ma réaction.

Il fouille à nouveau sur l'étagère, sans m'apporter plus de précision. Qu'est-ce que j'en a

à faire du nom de cet engin de mort ?

- Comment veux-tu que je fasse le bon choix ?

Je m'énerve ; je brûle d'envie de reposer cet instrument que mes doigts n'osent même pas entourer.

- Il est très bien, léger, précis, c’est celui que ma sœur utilise le plus. Essaie avec ce talon de poignée.

Il me reprend le pistolet et ajoute un élément à la crosse.

- Ta sœur se sert de ces trucs ? Elle tire sur quoi ? demandé-je, écoeurée, mais incapable de détourner les yeux face à sa dextérité.

- Elle s’entraine au stand de tir. Mais on n’est pas là pour parler d’elle. Alors, c’est mieux comme ça ? s'assure-t-il d'un air satisfait alors qu'il replace le revolver dans ma main.

- Oui, beaucoup mieux.

Je le repose pourtant.

- Et celui-ci ? m'intéressé-je en m'emparant d'un autre.

- Essaie, c’est un Glock 17. Il est léger. Dix-sept coups. Il te faut un automatique comme celui-ci ou comme le précédent. On va tester les deux.

- Ok, et on teste comment ? Tu as un champ de tir derrière la porte ?

Je suis nerveuse, je ne peux pas m’empêcher de faire du sarcasme. Imperturbable, il range méticuleusement l'attirail, non sans en avoir délicatement caressé les canons.

- Je t’emmènerai au stand de tir dès demain, m'affirme-t-il en refermant la vitrine.

- On doit ressortir d’ici ? m'écrié-je. Effectivement, je ne me sens pas prête du tout !

- Tu poses toujours des questions aussi idiotes ? Tu as l’intention de t’entraîner sur qui ? Tes amies ? À moins que ça ne soit sur moi !

- Oh ça va ! Je n’ai pas les idées très claires en ce moment ; c’est compréhensible, non ?

- Fais en sorte d’être en pleine possession de tes facultés quand on ressortira ; on ne pourra pas se permettre d’être distraits.

Il me fusille du regard -après la glace, le feu-, et se détourne pour prendre une profonde inspiration avant de me faire face à nouveau. Il se contient pour m’adresser la parole normalement.

- Essaie de me faire confiance ; tu es toujours en vie, non ?

À contrecœur, je le suis dans la cuisine. J’avoue, je meurs de faim. Mon ventre émet tout un tas de grognements dignes de ceux des monstres.

Nous sommes obligés de traverser la ville. C’est de pire en pire. Des gens ont cloué des planches à leurs fenêtres, les vitrines des magasins ont volé en éclats, des animaux et des hommes gisent sur les routes, sur les trottoirs ; les rues et les murs sont salis par la crasse et le sang. Quel gâchis ! C’est étrange : pourquoi la ville est-elle dans cet état alors que nous ne rencontrons aucun être « vivant », qu’il soit humain ou non ?

Nous nous garons devant le stand de tir, qui par chance est installé en dehors de la ville.

Matt me tend une arme, les sourcils froncés. Il est inquiet. Moi aussi. Et j’ai peur.

Au moment où il ouvre la porte du local, des bras crasseux surgissent ! On aperçoit les petits vaisseaux tant leur peau est translucide… Des zombies essaient d’attraper Matt ! Je le vois appuyer de toutes ses forces pour refermer, pour les empêcher de sortir. Je l’entends m’appeler à l’aide mais je suis pétrifiée, incapable de mettre un pied devant l’autre. Il ne tiendra pas longtemps, il faut que je bouge. Impossible, mes jambes ne répondent pas.

La porte cède ! Des zombies courent vers moi, d’autres vers Matt. Il est tombé mais se relève rapidement. Il tire avec son pistolet et en touche quelques-uns. Certains s’affalent, inertes, mais pas tous. Pourquoi ? Ceux qui venaient dans ma direction se détournent tous vers lui ! Ils ont entendu les coups de feu.

Cela m’a réveillée aussi, mais je suis toujours en plein cauchemar. Je dois réagir. Je cours démarrer le 4X4. Pouvu qu'il n'ait pas enlevé la clé ! Elle est sur le contact. Je démarre et ressors du véhicule en gardant une jambe à l’intérieur. Je tire dans le tas, à l’opposé de mon partenaire que je vois déjà loin. Je ne comprends pas, c’est comme s’il se déportait ! Ils sont presque à l’attraper et la seconde suivante, plusieurs mètres les séparent. Je n’ai atteint aucune cible mais le bruit provoqué par mon arme et le moteur les attirent maintenant vers moi. Je grimpe sur le siège, enclenche la marche arrière et m’arrête à la hauteur de Matt. Il se jette à côté de moi. Je ne le laise pas refermer la portière. Je recule, pied au plancher.

- Mauvaise idée, râle-t-il. On va devoir trouver un autre moyen de te former.

- Ça me rappelle une série que je regardais avec mes enfants…

- C’est à ça que tu pensais au lieu de venir m’aider ? hurle-t-il, les yeux exhorbités.

J’en ai le souffle coupé. C’est la première fois qu’on m’aboie dessus de cette manière, et si je dis encore un mot, sa fureur va me tomber dessus. Son visage frôle le mien tant sa réaction est violente et ses yeux lancent des éclairs. Ses traits sont crispés de rage contenue. J’arrête la voiture, je préfère qu’il conduise, ça lui permettra surement de se reconcentrer et d’oublier ma terrible faute. Même s’il s’en sortait très bien tout seul.

Au lieu de démarrer, il coupe le moteur et frappe le volant à plusieurs reprises.

- Je suis désolée.

Je n’ose même pas le regarder.

- Tu es DESOLEE ??? C’est tout ce que tu trouves à dire ? J’ai bêtement cru que tu étais assez forte, que tu serais à la hauteur et toi, toi, tu me laisses tomber ! J’ai failli crever à cause de toi ! Tu en es consciente ?

Je baisse la tête. Je ne sais pas quoi répondre, je me suis surestimée, je me suis vue capable de soulever des montagnes pour retrouver ceux que j’aime.

- J’imagine qu’après ça, tu vas refuser que je t’accompagne…

- Tu m’as trahi ! Tu as trahi ma confiance !

- Redonne-moi une chance s’il te plait, je sais que je peux y arriver.

Il ressort de l’automobile et reprend la direction de l’école de tir. Il avance vite, à grands pas, son arme braquée droit devant. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il ne va pas y retourner ! C’est du suicide ! Non, c’est un test ; je le suis. À quelques mètres des zombies, il commence à faire feu. Il est devenu fou, il les attire à nous ! Un grogneur tombe. Deuxième coup de feu, deuxième grogneur à terre. Troisième fois, la créature reste debout. Il la vise à nouveau, elle s’écroule.

- À toi. Tu peux en toucher quelques-uns avant qu’on ne doive partir. Dépêche-toi, tu n’as pas la journée.

J’essaie, une fois, deux fois, trois fois, sans succès. Il se place derrière moi et place ses mains (elles sont glacées !) sur les miennes, pour maintenant mes doigts sur l’arme avec fermeté.

- Tu vois ce que je vise ? C’est là que tu dois le toucher. Maintenant !

Le monstre s’écroule à mon grand soulagement. Matt me saisit par la taille et m’entraîne en courant jusqu’au 4X4. Nous arrivons tellement vite à la voiture que je n’ai pas senti mes pieds toucher terre… Toute cette calamité est décidément en train de me rendre cinglée.

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