L'écho du carillon

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« Maxime. Maxime. Réveille-toi ! »

Des sons éloignés, une cacophonie ambiante, un rire sarcastique, un visage hideux, outrageusement maquillé, de grandes dents, une perruque rouge qui tombe sur ses yeux d’un bleu perçant, une large bouche, de grandes dents, un crâne rasé lorsque le vent emporte le postiche, de grandes dents…

Je me réveille en sursaut, trempé de sueur. Les vêtements collent à ma peau, mes dents s’entrechoquent, tous mes membres tremblent et mes pensées restent bloquées sur ces images. Ils m’appellent, désirent que je traverse… Je dois me reprendre !

Je suis chez moi. Mon grand frère se moquerait encore de moi, s’il savait que je faisais encore des cauchemars après avoir vu ces films. Il n’arrête pas de me dire qu’à douze ans on est un grand garçon et que le croque-mitaine n’existe pas.

Il peut toujours ironiser, il ne l’a pas vu emporter ma… Non, je ne dois plus y penser, cela ne se peut pas. Lorsque j’ai peur, je trouve toujours des formules alambiquées — la preuve —. C’est un mécanisme de mon cerveau, un tic si vous voulez. Je fais des phrases compliquées pour me vider la tête. Je sais que c’est ridicule, mais cela m’apaise. Je ne peux l’expliquer, surtout que d’ordinaire, je préfère jouer avec mes potes que lire des bouquins compliqués.

J’allume, il est trois heures du matin. Le soleil n’est pas prêt de se lever et pourtant je n’ai plus sommeil. Je n’ai pas envie de le retrouver. Je sais qu’il m’attend, impatiemment, comme la plupart des nuits. Parfois, il me laisse me reposer, mais c’est de plus en plus rare.

Ce sourire, sa perruque flamboyante, son nez conique… Je dois chasser ces images, me concentrer sur d’autres : un rayon de soleil, une partie de foot, des balades en forêt, mon premier poisson attrapé.

Ce n’est pas la meilleure idée que j’ai eue, chaque fois je termine sur un souvenir qui me rappelle… Je n’en peux plus, mes larmes vont encore couler, je les sens approcher et prends mon oreiller afin qu’elles glissent dessus. Tout à l’heure, rageusement, je les écraserais avec ma tête. Ce geste vous semblera inutile, mais tant pis. Il me fait du bien.

Je recommence : je parle à des gens qui n’existent pas. Sandrine, ma sœur, est gentille avec moi. Elle fait semblant de comprendre, elle me dit que c’est normal de parler à des amis invisibles, que tous les enfants le font. Elle veut bien faire, mais je sais qu’elle ne croit pas ce qu’elle dit. Je l’ai souvent entendu parler à ses copines, lorsqu’elle se trouve dans sa chambre. Elle ne peut pas deviner ma présence, mais je suis là, je l’entends parfaitement, j’ai l’ouïe fine. Ses paroles sont aussi blessantes que les moqueries de mon frère. Elle non plus ne peut pas comprendre.

A sa décharge, c’est l’aînée, elle n’a jamais demandé à devenir parents de substitution. Mais comme elle avait vingt ans, les services sociaux ont décrété qu’elle pouvait s’occuper de nous deux. Après tout, elle travaillait et gagnait suffisamment pour nous élever. D’autant plus qu’elle pouvait se servir de l’héritage, elle.

L’amour aurait pu l’emporter, mais les blessures sont trop grandes. Notre vie est suspendue depuis. On continue d’aller à l’école et elle de travailler. Tout le monde participe aux tâches ménagères : nettoyer, cuisiner, laver la vaisselle, mettre la table…

J’aime cuisiner : des odeurs de gâteaux chatouillent mes narines, des rires retentissent dans ma mémoire. Et le visage de ma mère… Le temps se fige lorsque je prépare certains plats.

Mon esprit est joueur : il revient toujours sur cette tarte aux cerises. Je déteste ces fruits. Rouges. De nouveau, la transpiration, le froid, les tremblements continus. Reparti pour un tour, je déphase de nouveau. Ces sons —vous savez comme ces anciennes visionneuses qui pouvaient se détraquer en faisant défiler les diapos sans interruption — c’est ce que j’ai dans ma tête. Ce bruit infernal qui vous hurle dans les tympans, jusqu’à ce que la pâte se colore d’un rouge bruni et qu’un doigt sorte du centre ! C’est alors que le carillon retentit. Enfin, il arrive. Le carillon. Celui que ni ma sœur, ni mon frère n’ont entendu. Ce satané son, qui aurait dû être mélodieux.

Ce ne sont pas les animaux sauvages, ni les trapézistes, encore moins Monsieur Loyal, et même pas ce clown, dont l'acolyte faisait tomber la perruque rouge flamboyante. Pas son maquillage, ni sa bouche, encore moins ses fausses dents. Non rien de tout cela.

Juste ce manège, où mon oncle m’avait emmené. Il faisait nuit, il m’avait promis une barbe à papa. Il connaissait mes goûts et se doutait que je ne résisterais pas à l’appel de la gourmandise. Comme il l’avait prévu, je l’ai suivi. Et puis, c’était mon oncle, pas un inconnu ! Il m’a traîné jusque là-bas et j’aurais dû me douter de quelque chose. Pourquoi m’emmener dans un endroit aussi désert. Seul un manège abandonné nous attendait, avec ce petit carillon que le vent faisait tinter. Je l’ai suivi, il m’a assis sur la banquette, a rabattu la glissière de sécurité. Je ne comprenais pas ce qu’il lui arrivait. Il était tard, maman allait s’inquiéter, mais pourtant il prenait son temps. Il me murmurait des mots que je ne comprenais pas.

Comme à chaque fois, je perds quelques secondes, ou minutes, et je me retrouve en sous-vêtements… De nouveau, le cauchemar recommence, il me dit que tout va bien, que je vais avoir dix ans et que bientôt, je serais un grand garçon. Et tout en me parlant, il me…

C’est alors que le visage du clown explose. Mécanisme de défense.

Il m’a fait promettre de ne rien dévoiler. Que personne ne croira cette histoire sordide, qu’il est un homme respectable, qu’il a une horde d’avocats prêts à le défendre si j’osais quoi que ce soit et surtout que maman…

J’aurais dû savoir qu’il ne bluffait pas. Il avait tué son propre frère alors sa belle sœur…

Seul, avec mon frère et ma sœur, certes, mais désespérément seul.

En ouvrant un autre cabinet d’avocats à l’autre bout du pays, il me laisse désormais tranquille. De toute façon, je ne l’intéresse plus : je suis trop vieux pour lui, il me l’a dit.

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