Chapitre 8 - Réflexion

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Un frisson traverse ma colonne, de part et d’autre. Je regarde l’expression d’Aleksy, du coin de l’œil, et il ne semble pas en mener large, lui non plus. Par réflexe, je tente de cacher ma stupeur et de paraître le plus naturel possible. Même si je ne suis pas capable de créer une projection astrale pour m’observer de l’extérieur, je sais déjà d’avance que ma couverture est foireuse.

N : Non, pas du tout… pourquoi ?

A : Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

B : Pas à moi les gars, vous transpirez la culpabilité. Alors ?

Contre ma volonté, mon regard fuit celui de Benjamin, preuve irréfutable de mon mensonge. À quoi bon nier ? Il nous a cramé de toute façon, et le connaissant, il ne gobera pas un mytho improvisé. Je pense, et j’espère, qu’ils seront assez intelligents pour l’accepter, sans que ça ne change quoi que ce soit à nos relations.

Je jette un coup d’œil à Aleksy, qui semble avoir compris ma décision. Il acquiesce muettement, enfin je crois. Je temporise un court instant afin de réfléchir à comment introduire la chose. J’assemble les mots et les tournures pour que le message soit le plus bref et le moins gênant à annoncer.

Z : Je rêve ou y a une tension sexuelle entre vous ?

Mon sang-froid en prend un sacré coup. Merde Zayn, tu pouvais pas la fermer ! Maintenant, je sais plus ce que je m’apprêtais à énoncer ! Je soupire un grand coup.

N : Écoutez les gars... On ne savait pas trop comment vous le dire…

Je marque un temps d’arrêt. J’en ai déjà dit beaucoup, alors plus question de revenir sur mes pas maintenant. Benjamin reste suspendu à mes lèvres, un sourcil relevé, prêt à écouter. Zayn, lui, tire une tête d’ahuri et semble complètement paumé. Ou bien c’est son expression habituelle, je ne sais plus trop.

N : On a vécu pas mal de trucs compliqués, Aleksy et moi, qui nous ont rapprochés et qui nous ont soudés. On était chacun là l’un pour l’autre quand on en avait besoin, vous voyez. Ça a renforcé notre amitié, qui remonte à des années de cela, et…

B : Vous êtes ensemble ?

Benjamin coupe court à mon monologue épique. En soit, il me facilite la tâche, mais la surprise me laisse pantois. Heureusement, Aleksy prend le relais.

A : Oui, en gros.

Un blanc s’installe dans la pièce. Benjamin nous toise du regard quelques secondes, l’un après l’autre. Est-ce qu’il nous juge, ou bien analyse-t-il la véracité de l’information ? En tout cas, les commissures de ses lèvres se relèvent discrètement.

B : Ok, cool. C’est ce qu’il me semblait.

Je reste penaud. Benjamin, quant à lui, reprend une expression neutre et se réinstalle confortablement dans le canapé, face à l’écran.

N : Quoi, c’est tout ?

B : Bah oui, tu voulais que j’applaudisse ?

N : Non, mais… ça ne te dérange pas plus que ça ?

B : Bah non, c’est votre cul. Tant que vous touchez pas au mien, c’est bon.

Je me mets à rire nerveusement. Bien que j’aie confiance en sa tolérance à ce sujet, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit autant indifférent. Même si je n’arrivais pas à me visualiser la façon dont il allait réagir, j’imaginais au moins une expression de surprise, même infime.

Puis mon regard se focalise derrière lui, sur Zayn. Il n’a encore rien dit, mais je sens comme un léger malaise sur son visage. Rien d’alarmant, mais assez pour qu’une pointe d’inquiétude m’envahisse. Sentant tous les regards posés sur lui, il sait, qu’indirectement, tout le monde souhaite connaître le fond de sa pensée. Il se gratte derrière la tête et baisse les yeux, visiblement embarrassé.

Z : Ça me fait bizarre… Enfin, je veux dire, vous faites pas vraiment…

A : Gay ?

Z : Ouais, voilà… Mais tant mieux pour vous, hein ! Ça change rien, vous restez le p’tit couple pour moi ! Même si c’est littéralement ce que vous êtes, maintenant… Enfin, tout ça pour dire que… j’ai rien vu venir, alors je tombe un peu sur le cul.

N : Merci. Et t’inquiète, c’est normal. Tu t’y feras à force.

Z : Et puis… ça fait deux gros concurrents en moins pour les filles, donc c’est tout bénéf’ !

B : Même sans eux, je ne crois pas que ça augmentera grandement tes chances, tu sais…

Zayn fait craquer ses phalanges et envoie une droite dans l’épaule de Benjamin, qui l’esquive en rigolant. S’en suit ce qui arrive à chaque fois, ils se chamaillent amicalement, comme des gosses. Comme d’habitude. Intérieurement, je soupire de soulagement. La nouvelle semble avoir été très rapidement digérée, ils n’ont pas l’air de se comporter différemment.

Devant ce spectacle affligeant, nous nous sourions, Aleksy et moi. Rassurés d’avoir pu le partager avec nos amis. Rassurés aussi de ne plus avoir à faire semblant en leur présence, de ne plus avoir à leur mentir, ou du moins à leur dissimuler la réalité.

Je dépose délicatement mes doigts sur sa main tiède. Son visage, lui, se rapproche du mien pour venir y déposer ses lèvres, le temps d’un court et chaste baiser. Nos deux commères ne semblent pas y avoir échappé, ils ont même arrêté de se prendre le bec pour afficher des regards malicieux. Zayn plisse les yeux, pendant quelques secondes, puis un frisson secoue son corps.

N : Ça te rebute à ce point, Zayn ?

Z : Non, rien à voir, j’étais seulement en train d’imaginer lequel d’entre vous était… tu vois ?

Il essaye de nous transmettre le fond de sa pensée à travers des signes maladroits mais bien trop explicites pour passer à côté de leur sens.

A : Sérieusement, Zayn ?

Z : Et du coup, maintenant que j’ai l’image gravée dans la tête, je crois que je m’en remettrai jamais.

La main sur le front, les yeux fermés, Zayn mime l’expression d’une souffrance insupportable. Tandis que Benjamin explose de rire, Aleksy prend en main le pouf qui était sous ses fesses et le lance sur Zayn. Ce dernier, qui le prend en pleine figure, le renvoie à son propriétaire. La suite, vous la connaissez.

Je les regarde faire d’un œil amusé, comme si j’enregistrais dans ma mémoire des souvenirs de cette journée ô combien importante à mes yeux. C’est sur cette ambiance bon enfant que l’après-midi touche à sa fin, et que nos deux amis décident de rentrer chez eux.

Aleksy, lui, est resté à la maison. Il a soupé avec mes parents et moi, puis nous sommes rapidement montés après avoir débarrassé la table. Sans se faire prier, nous nous sommes allongés, l’un contre l’autre. Les vêtements ont eu vite fait de voler à travers la pièce.

Dans la douce moiteur de ce mois d’Avril, nos peaux ont sué, nos bouches ont combiné, nos chairs ont fusionné. Doucement, avec retenue. Le souffle court, la respiration saccadée. Et jamais nos esprits n’avaient autant été en phase. Jamais mon cerveau n’avait secrété autant de dopamine.

Après de longues étreintes qui ont assujetti mon être à la béatitude la plus absolue, nos corps se dissocient dans un ultime effort. Aleksy se cale contre mon flanc et s’accroche à mon bras, tel un koala. J’apprécie ces longs moments de silence, seulement contrariés par nos souffles. C’est apaisant, presque anesthésiant. Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin.

A : Ça va ?

N : Évidemment, j’ai été assez explicite je pense…

D’une manière intentionnellement espiègle, je laisse glisser un doigt fureteur sous son triceps jusqu’à la limite de son aisselle. Aleksy replie vigoureusement son bras pour bloquer mon avancée, et se met à ricaner ingénument.

A : Arrête, t’es con ! Je voulais dire… en général ?

Je reprends mon sérieux et j’inspire profondément.

N : Ça peut aller. Heureusement que je vous ai, vous tous. Surtout toi.

Aleksy sourit et dépose un doux baiser sur mon torse. Puis il effleure la peau de mon ventre du bout du doigt, comme s’il essayait de dessiner quelque chose.

A : Et Mathis ? Il va bien ?

Je fais la moue. C’est un sujet sur lequel je n’ai pas spécialement envie de m’éterniser. Aussi, je réponds le plus brièvement possible.

N : Il est en vie, c’est déjà ça…

Le visage d’Aleksy se voile de tristesse. Même s’il n’a pas toujours été de mon côté à son sujet, je sais que son empathie est réelle.

A : Il est si mal en point ?

N : Il va avoir du mal à s’en remettre, bien plus que moi…

Aleksy se serre contre moi et pose sa tête sur mon épaule.

A : Ce n’est pas de ta faute, Niels… Tu en es conscient ?

Je soupire lascivement.

N : Des fois oui, des fois non. Je sais que c’est Xavier l’unique responsable, mais parfois je ne peux m’empêcher de culpabiliser en réalisant que tout part de moi.

A : Comment peux-tu t’en vouloir, tu n’as jamais voulu ça…

N : Je sais bien…

Nous nous taisons un court instant, profitant de la sagesse du silence. Mon cerveau se remet en marche, après avoir été relancé de la sorte. Les jours passent, mais les mêmes questions persistent.

N : Je n’arrive toujours pas à comprendre… Comment a-t-on pu en arriver là ?

A : Je l’ignore… Mais on trouvera la réponse, j’en suis persuadé.

N : J’aimerais bien être aussi optimiste…

A : Il le faut, à quoi bon lutter sinon ?

Je plonge mon regard dans ses yeux affûtés. Il me fixe avec sérieux, comme s’il cherchait à analyser mes pensées. Il est beau quand il est comme ça. Je laisse échapper un bref sourire.

N : Désolé, tu as raison…

Je croise mes bras derrière mon crâne, les yeux fixés au plafond.

N : Il doit bien avoir fait une erreur quelque part… Rien qu’un élément…

A : Tu penses au cyanure ?

N : Ça m’étonnerait. Les policiers ont dû fouiller partout, et les cachettes possibles sont infinies. Il s’en est même peut-être déjà débarrassé…

A : Et l’ADN ?

N : Pareil, tu penses bien qu’il ont tout passé au peigne fin. Et je parie que ce n’est même pas lui qui s’est occupé de Mathis…

A : Hmm… Et la voiture, ils l’ont retrouvée ?

N : Pas encore…

A : Merde… Son téléphone ! Il a bien dû contacter son complice avec, non ?

N : Rien… Aucun appel suspect ces quelques derniers mois. Il a sûrement utilisé un téléphone jetable…

A : Mais ils peuvent bien retracer son achat, alors ?

N : Pas d’achat de la sorte à son nom, quelqu’un a dû le lui fournir.

A : Sérieusement… Et il n’y a rien qui l’incrimine dans son historique internet ?

N : Non plus, il est possible qu’il utilise un VPN…

A : Fait chier…

Son agacement est palpable. J’ai eu la même réaction quand toutes les pistes ont été réduites à néant. Quand j’ai réalisé qu’il nous avait devancé sur chaque point. Infailliblement.

N : Tu sais, c’est peut-être ça le plus flippant.

A : De quoi ?

N : De se dire qu’il a couvert ses arrières depuis le début, comme s’il s’était préparé au moindre scénario. Que ce n’était pas juste une pulsion, mais qu’il a bien tout calculé… Quand je pense qu’il sortira demain si l’on ne trouve rien d’autre, et qu’il aura tout le temps de réfléchir à la façon de se venger…

Aleksy m’observe silencieusement, ne trouvant pas les mots pour me rassurer. Il se contente de passer son bras par-dessus mon buste et de m’étreindre. Je n’en demandais pas plus.

Nous continuons de réfléchir à tout ce qui serait susceptible de l’incriminer, mais rien ne nous vient à l’esprit. Soudain, Aleksy fait un mouvement de tête brusque.

A : Il ne faut peut-être pas se focaliser sur le quoi, mais plutôt sur qui.

N : Qui quoi ?

A : Qui pourrait avoir des informations précieuses.

N : Mouais… À qui tu penses ?

A : Je sais pas… Aux gens qui traînent avec lui ?

N : Tu es fou ? Ça serait se jeter dans la gueule du loup. Et si les policiers n’ont pas réussi à leur tirer les vers du nez, je vois pas comment, nous, on y arriverait.

A : C’est vrai… Il faudrait trouver des personnes qui n’ont pas de liens directs avec Xavier, des personnes que les policiers n’ont pas pensé à interroger.

N : Pour quoi faire, s’ils n’ont rien à voir avec ça ?

A : Justement, réfléchissons plus loin. Qui pourrait savoir quelque chose sur lui, alors qu’à priori rien ne les relie ?

Je regarde Aleksy avec étonnement. Ça semble complètement absurde, mais c’est peut-être bien la seule piste que l’on peut se permettre de suivre avec nos moyens. Je fais une liste mentale de toutes les personnes qui me viennent à l’esprit. Celui-ci, improbable. Celle-là, invraisemblable. Réfléchis Niels, quelqu’un qui a pu agir bizarrement, ou bien qui a eu l’air de cacher quelque chose…

Soudain, un nom me vient en tête. Non, ça n’a pas de sens… Pourtant, cette idée germe dans mon esprit, et mon instinct me crie que cette personne est peut-être la racine de toute cette histoire.

N : Aleksy… je crois savoir à qui parler.

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