Chapitre 7 - Victime

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J’erre dans ces couloirs blancs telle une âme en peine. Des employés en blouse bleue déambulent dans tous les sens, poussant des lits médicalisés par-ci, tirant des chariots de service par-là. Je n’ai même pas la présence d’esprit de leur faciliter le passage. Mon esprit est comme déconnecté, épuisé par toutes ces épreuves.

Une main agrippe mon poignet afin de me faire esquiver l’aide-soignante qui arrivait de face, le chariot remplit de plateau-repas. Elle nous adresse un "merci" à bout de souffle, sans même un regard.

K : Niels, fais attention… Sa chambre est juste au bout du couloir.

J’acquiesce de la tête mollement, redoutant de plus en plus cet instant. Au fur et à mesure que nous nous approchons de cette fameuse porte, mes battements de cœur s’accélèrent. J’ai envie de le voir. Je n’ai pas envie de découvrir dans quel état il est. Je dois y aller. Je dois m’en aller. Je ne sais plus. Qu’est-ce que je suis censé faire ? Je suis venu pour lui, mais il n’est pas encore trop tard pour revenir sur mes pas.

Non… Certainement pas. Je ne peux pas me permettre de rebrousser chemin. S’il en est là, c’est en partie ma faute. Il a été mêlé malgré lui à mes problèmes, et tout lui est retombé dessus. Je m’en voudrai si je n’ai pas le courage d’y faire face.

Je me retrouve maintenant face à la chambre. Je prends une grande inspiration, et je toque distinctement trois coups contre la porte blanche. Une faible voix m’intime d’entrer depuis l’intérieur. Je jette un dernier coup d’œil en direction de ma mère, qui me rassure du regard avant de se diriger vers la salle d’attente.

D’une main tremblante, j’actionne la poignée et j’ouvre la porte avec lenteur. Assise à côté du lit, j’aperçois une dame d’une quarantaine d’année, que je suppose être la mère de Mathis. Elle me dévisage d’un air triste, les yeux rougis et les cernes creusés. Elle s’adresse à moi d’une voix éreintée.

Mme Cormier : Bonjour, tu dois être Niels, c’est ça ?

Je lui réponds d’un mouvement de tête las, incapable d’émettre le moindre son. Mon regard se rive sur le corps inconscient de Mathis. Je déglutis et je cligne des yeux plusieurs fois, sentant les larmes monter. Je m’approche tout doucement, sans faire de bruit, et je m’installe sur une chaise à proximité.

Le visage intubé, les bras perfusés, les machines brisant le silence de leur bruit strident. Je tente de garder mon calme, mais je sens l’angoisse grandir en moi. Je me revois à la place de Mathis, quelques mois auparavant, comme si c’était moi qui étais allongé sur le lit. Une nouvelle victime de Xavier. Une de trop.

La mère de Mathis se lève de sa chaise, non sans difficulté.

Mme Cormier : Je vais me chercher un café…

Elle sort de la chambre en trainant presque des pieds. Elle n’a sûrement pas réussi à fermer l’œil depuis cet incident. Moi non plus, j’ai eu du mal à trouver le sommeil cette nuit.

Me voilà seul avec lui. J’observe avec peine son visage tuméfié. Il est difficilement reconnaissable. Cette image me serre le cœur, et ne fait qu’accentuer ma culpabilité.

Traumatisme crânien avec hématomes extraduraux, fracture du nez et de la mâchoire, fractures costales multiples, fracture du bassin et diverses autres blessures et ecchymoses. Voici le constat clinique de son agression. Quand je l’ai entendu de la bouche de l’inspecteur, j’étais dévasté. Mais en voyant son état en vrai, le choc est encore plus brutal.

N : Désolé Mathis…

Je prends sa main fraîche entre les miennes, et je ne peux empêcher des larmes de s’échapper de mes paupières. Il ne mérite pas ce qui lui arrive, il n’avait rien demandé… Il a pris une seule fois le risque de me contacter, ne pouvant plus supporter le poids de cette affaire, et les conséquences ont été affreuses.

Il a été retrouvé dans le local poubelle d’un immeuble de la ville par le concierge, quelques heures après notre rendez-vous à la bibliothèque. Inconscient, et dans un piteux état. Il a été transporté en urgence à l’hôpital. Heureusement, son pronostic vital n’est plus engagé, bien que ça n’ait pas été le cas, le soir même de son hospitalisation. Les chirurgiens craignaient que des organes aient été touchés. Par miracle, ils ont été épargnés. Quel miracle ? C’est un putain d’enfer !

En fouillant dans l’ordinateur de Mathis, pour essayer de comprendre l’origine de cette agression, sa mère a trouvé le message qu’il m’avait envoyé sous son faux-nom. Le destin a fait qu’il ne s’était pas déconnecté de ce compte, et elle n’a pas eu à chercher bien loin puisque c’était le seul qu’il avait écrit.

Automatiquement, elle a partagé cette information avec la police, et l’inspecteur en charge de mon affaire est revenu tout naturellement vers moi. À partir de là, je lui ai révélé tout ce qu’il avait à savoir, et surtout l’identité du véritable coupable, Xavier. Aujourd’hui, il est en garde à vue, et ils déploient tout leur réseau pour retrouver le propriétaire de cette fameuse voiture noire.

Mais la situation est loin d’être réjouissante. S’ils n’arrivent pas à faire le lien entre Xavier et les différents éléments, il est possible que l’accusation n’aille pas au bout, faute de preuves. Aleksy m’a appris que le père de Xavier est l’un des plus grands avocats de Paris, et qu’il est régulièrement sollicité sur les affaires les plus importantes. Sans un dossier béton, quasiment impossible de l’incriminer.

Voilà le problème, où chercher des preuves ? Je pourrais me reposer sur les recherches de la police, mais je ne peux me résigner à croiser les bras en espérant. Je ne me bats plus seulement pour moi, désormais. Je ne suis plus la seule victime. C’est avec un nouvel élan de détermination que je me consacre à inculper cette pourriture. La moindre petite piste, n’importe quelle indication, tant que ça peut faire avancer l’enquête.

N : Je te le promets Mathis, on va réussir à prouver que c’est lui.

C’est sur cette promesse orale que la mère de Mathis resurgit dans la chambre, son café à la main. Elle se réinstalle sur sa chaise, à proximité de son fils. Nous demeurons silencieux pendant de nombreuses minutes, perdus dans nos pensées respectives. La situation me met mal à l’aise tant je me sens en partie coupable de l’état dans lequel se retrouve Mathis. Une question me brûle les lèvres.

N : Est-ce que… vous êtes au courant de toute l’histoire ?

Sa tête se tourne lentement dans ma direction et on peut lire sur son visage que l’information prend du temps à s’imprimer.

Mme Cormier : Oui, j’ai appris ce qu’il t’est arrivé. Ça a dû être très dur de t’en remettre.

N : Assez, oui…

Je me triture les doigts, hésitant à continuer cette conversation. J’ai du mal à déceler les limites de l’approprié, à savoir si elle souhaite savoir ou si ça la rendra encore plus atterrée. Et puis, peut-être que Mathis ne souhaite pas révéler son calvaire pour ne pas inquiéter sa mère. Mais si je peux lui éviter l’erreur que j’ai commise en ne me confiant pas, j’estime qu’elle mérite de savoir ce qu’il en est. Maintenant, je comprends qu’il n’y a rien de pire que de ne pas comprendre la raison, d’être dans le flou en étant impuissant.

N : Vous savez, Mathis s’est confié à moi juste avant que…

Elle relève les yeux vers moi avec un certain intérêt. J’entendrais presque les battements de son cœur s’accélérer, comme si elle s’attendait au pire.

Mme Cormier : Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

N : Il m’a parlé des menaces perpétuelles que lui lançait Xavier pour ne rien révéler, et de la pression qu’il ressentait au quotidien. Il traînait ce secret comme un poids mort, c’est comme s’il n’avait plus la liberté de ses mouvements quand il était au lycée. Je crois qu’il a pris le risque de me le dire car il n’arrivait plus à supporter ça…

Son visage se dirige vers le corps inconscient de son fils. Elle le fixe sans vraiment l’observer, comme si son regard était perdu dans le néant. Une profonde tristesse creuse ses traits tirés.

Mme Cormier : J’aurais dû le remarquer, j’aurais dû voir que quelque chose n’allait pas… Il paraissait moins souriant ces dernières semaines, il parlait peu. Mais je pensais que c’était un coup de blues d’adolescent, ou la fatigue de la dernière ligne droite avant le bac. Alors je l’ai laissé tranquille, je me suis dit que c’était seulement passager… Je regrette tellement…

N : Vous ne pouviez pas savoir… Je suis sincèrement désolé, je… Je m’en veux que Mathis ait été embarqué là-dedans…

Mme Cormier : Tu n’y es pour rien, tu es victime de tout ça, comme Mathis.

Elle a raison. À quoi bon ressasser des faits ou avoir des remords. Le seul coupable, c’est Xavier… Nous n’échangeons plus un mot pendant plusieurs minutes, nous contentant d’épier Mathis au cas où il esquisserait le moindre geste. Il n’en est rien. Je ne peux plus tenir en place, rester ici à le regarder me déprime encore plus, et ça ne l’aidera pas à se réveiller. En revanche, je peux encore mettre toute mon énergie à disposition pour trouver la moindre preuve qui pourrait incriminer cet enfoiré. Je me lève de ma chaise, gonflé à bloc.

N : Je vais y aller… J’ai besoin de prouver que c’est lui qui nous a fait ça. Pour que Mathis ait une bonne nouvelle à entendre quand il se réveillera.

Elle acquiesce vaguement de la tête. Je me dirige vers la porte mais elle m’appelle une dernière fois.

Mme Cormier : Bonne chance Niels, et… fais attention à toi.

N : Ne vous en faites pas, je reste prudent… Je pourrai revenir le voir ?

Mme Cormier : Bien sûr, je pense que lui aussi voudra te voir quand il sera réveillé.

Je souris une dernière fois avant de m’éclipser. Je passe par la salle d’attente, pour rejoindre ma mère, et nous quittons l’hôpital. Comme je le craignais, elle me questionne sur ma visite pendant le trajet du retour. À mon air maussade et mes réponses évasives, elle n’insiste pas.

Elle me dépose devant chez Aleksy, que j’ai hâte de retrouver pour me remonter le moral. Lorsque je sonne à la porte, Wanda m’ouvre et m’intime d'entrer, sans avoir besoin de sonner pour les prochaines fois. Ça me fait bizarre, et étrangement chaud au cœur à la fois.

Je traverse le couloir jusqu’à la chambre d’Aleksy. Je l’imagine déjà, allongé sur son lit et plongé sur son portable. Je n’ai qu’une hâte : le rejoindre et me blottir contre lui. Mais, en ouvrant la porte, j’ai la déconvenue de découvrir que le scénario est légèrement différent. Il est bien là, mais en compagnie de Zayn et Benjamin. Tant pis, on remettra ça à plus tard. C’est quand même cool de les retrouver.

Z : Ah, enfin ! On commençait à croire que t’allais crécher là-bas, t’aimes bien te faire désirer, toi !

N : Parce que j’étais attendu ?

Z : Eh ouais, on est descendu exprès pour passer te voir un coup et savoir comment tu allais, et c’est le moment que tu as choisi pour partir, sans prévenir. Quel ingrat de nous faire attendre pendant des minutes, des heures même !

B : Pendant un quart d’heure précisément, mais Zayn aime particulièrement faire sa drama queen.

Je les regarde, d’un air amusé. J’ai toujours l’impression de perdre des années avec eux. Comme si, individuellement, on était de jeunes adultes, mais qu’ensemble on restait des gamins. C’est peut-être pas si mal, si ça peut me permettre d’oublier mes récents problèmes de temps en temps.

N : Je vois ça. Du coup, vous êtes passés chez moi ?

B : Ouais, ton père nous a ouvert et nous a dit que, soit tu étais encore à l’hôpital pour aller voir Mathis, soit tu étais rentré chez Aleksy. Alors, on l’a rejoint en t’attendant. Comme ça, on va pouvoir reprendre cette journée là où on l’avait arrêtée la dernière fois !

N : Bonne idée. En tout cas, merci à vous les gars, c’est sympa de votre part.

Je remets mes recherches à un peu plus tard. Je me sens un peu coupable, mais je pense avoir besoin de m'oxygéner le cerveau si je veux être efficace. Et puis, peut-être que l'on pourra échanger sur ça en fin de journée, pour voir s'ils ont des idées ou des pistes à creuser.

Je balaie mes amis du regard, et je m’arrête un court instant sur le visage d’Aleksy. Assis sur le bord de son lit, les bras croisés sur ses genoux et le dos légèrement courbé, il m’observe intensément et m’adresse un sourire radieux, que je lui rends. Voyant Benjamin plisser légèrement les yeux en me regardant, j’essaie de reprendre une expression relativement neutre.

A : Bon, puisque le dimanche il n’y a pas grand-chose d’ouvert, on pourrait peut-être aller se poser chez Niels ?

N : Ça me va, comme ça je vous montrerai ma salle de jeux dans le garage.

Z : Euuh… ça sonne vachement glauque, dis comme ça.

B : T’as des idées sordides, mec…

A : Allez, on y va ! Vous verrez, c’est au moins aussi cool que la piscine !

Nous nous levons tous, et nous faisons exactement le même trajet que l’avant-veille, quand nous nous sommes dirigés chez moi pour annoncer la nouvelle. Sauf qu’aujourd’hui, l’ambiance est beaucoup moins pesante. Bien que l’affaire ne soit pas conclue, je me sens bien plus léger et serein en extérieur. Je ne risque pas de recroiser la voiture noire et son propriétaire ; il doit sûrement faire profil bas en ce moment.

Arrivés chez moi, nous allons directement dans le garage, et plus particulièrement dans ma pièce secrète. Leur réaction est approximativement la même qu’Aleksy, la première fois qu’il l’a découverte. Quoique, ils en font des tonnes.

B : Tu déconnes, je suis pas en train de rêver, là ?

Z : Non non, le mec a bien un petit studio tout équipé dans son garage, en plus de sa grande chambre king size. Votre Altesse, pouvons-nous pénétrer dans vos appartements ?

N : Ça va les gars, n’abusez pas. C’est sûr que c’est cool, mais c’est encore mieux si je ne suis pas tout seul dedans.

À l’intérieur, je leur offre tout de suite des boissons fraîches. Je leur présente tout ce qu’il y a dans mon QG, afin que nous puissions décider de notre emploi du temps. Verdict : pourquoi faire un emploi du temps. Pendant toute l’après-midi, nous intervertissons nos occupations. Pendant que deux personnes jouent aux jeux-vidéos, les autres s’occupent à boxer, et inversement. Ça nous occupe pendant de nombreuses heures, qui passent à la vitesse de l’éclair.

On s’amuse si bien que certains détails nous échappent, Aleksy et moi. Des regards appuyés, des intonations plus affectueuses, des sourires volés, des éléments que Benjamin ne semble pas avoir ignoré. Alors que nous quittons nos gants de boxe pour nous installer sur des poufs à même le sol, afin de regarder leur partie en cours, Benjamin met le jeu en pause. Zayn s’apprête à pester contre lui, mais il ne lui en laisse pas l’occasion.

B : Dites, les gars, il ne se passerait pas… quelque chose entre vous deux ?

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