Chapitre 2 - Conflit

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Je relève soudainement la tête, et aperçoit une voiture noire aux vitres fumées qui me fonce dessus, à toute vitesse. Mon corps réagit instinctivement, et j’ai tout juste le temps d’accélérer et de plonger en avant, qu’elle est déjà à mon niveau. Je ressens les mouvements d’air provoqués par le véhicule, à travers mes vêtements, alors que je suis encore en l’air. Mon corps atterrit contre l’asphalte du trottoir et ma tête heurte violemment le sol. La voiture continue sur sa lancée et tourne à vive allure sur la droite, avant de disparaître. C’est passé tout près.

Je suis sonné par le choc et j’ai du mal à discerner ce qui m’entoure. J’aperçois des formes floues qui s’amoncèlent et j’entends vaguement des personnes s’adresser à moi. Je reprends peu à peu mes esprits jusqu’à réussir à discerner un visage, au-dessus de moi. Le visage d’un homme dans la cinquantaine, aux cheveux et à la barbe grisonnants.

? : Est-ce que ça va ?

N : Ou… oui, ça devrait aller.

? : Tu peux bouger ?

N : Oui, c’est bon.

J’essaye de me redresser sur mes jambes, mais elles manquent de tonus et se dérobent. Heureusement, des bras derrière moi viennent me soutenir, avant que je ne m’écroule à nouveau. Cette personne passe mon bras sur ses épaules et m’assoit contre le mur. Je reconnais alors Aleksy, et son visage inquiet.

N : Aleksy ?

Inconnu : Ne te lève pas, tu viens de recevoir un gros choc sur la tête.

N : Oui, j’ai bien compris, merci.

Inconnu : Une chance que tu ne te sois pas ouvert le crâne. Le cuir chevelu, ça saigne très facilement. Mais tu devrais quand même aller aux urgences, il ne faudrait pas que…

N : Non, c’est bon, j’ai juste besoin de reprendre mes esprits, tout va bien.

A : Merci monsieur, mais ça devrait aller, je vais m’occuper de lui.

Inconnu : Vous êtes sûrs ? Ce n’est pas très raisonnable.

A : Pas d’inquiétude, s’il réagit comme ça, c’est que tout va bien.

Inconnu : Je peux au moins t’aider à le ramener chez lui ?

A : Il habite juste à côté, c’est bon je vous dis.

Inconnu : Très bien jeune homme, mais faites attention en rentrant. Il y a tellement de chauffards de nos jours, on n’est plus en sécurité en tant que piéton.

A : Oui… en effet… merci à vous, et bonne fin de journée.

Inconnu : Merci, à vous aussi.

L’inconnu reprend sa route, en regardant une dernière fois derrière lui, pour voir si nous n’avons pas changé d’avis, puis il disparaît de notre champ de vision. Je passe ma main dans mes cheveux et je ressens du bout des doigts une belle bosse à vif. Le simple contact avec cette protubérance me fiche un énorme mal de crâne, alors je décide d’éviter d’y toucher.

A : Ça va ?

N : J’ai encore un peu la tête qui tourne, mais ça devrait passer.

A : Ok…

Aleksy s’assoit à côté de moi, mais son regard est perdu dans le vide. Discrètement, je scrute son expression, mais il ne retranscrit rien. Est-il inquiet ? Ou en colère ? Ou bien… merde, je sais pas moi. Je baisse la tête, honteux de l’avoir déçu.

N : Désolé Aleksy…

A : Pas tout de suite.

N : Hein ?

A : On en parlera plus tard. Là, il y a plus important.

Il a dit ça sans même avoir tourné la tête. Son regard est toujours concentré, droit devant lui, en pleine réflexion. Il est assis juste à côté de moi, et pourtant j’ai l’impression qu’il est loin, très loin de moi. Cette sensation me refroidit encore plus et un malaise s’installe au plus profond de mon être. J’ai vraiment merdé, et je dois rattraper mes conneries.

N : Merci Aleksy… Sans toi, je ne serais plus là… Tout ça parce que je n’ai pas fait attention en traversant…

Aleksy tourne brusquement la tête et affiche un regard grave.

A : Niels, c’était pas accidentel... il a essayé de t’écraser.

N : Mais non…

J’ai répondu instinctivement à la négative, pour tenter de rassurer Aleksy, puis sûrement pour me rassurer moi-même. Mais j’en suis bien conscient. La vitesse folle, puis la fuite soudaine du véhicule après sa tentative infructueuse…

A : Je l’ai vu, Niels ! Il était garé là, depuis plusieurs minutes, et dès que tu es sorti, il a démarré au quart-de-tour, il voulait clairement te… Et puis… la voiture…

N : De quoi ?

Aleksy fait la moue. Il semble avoir compris quelque chose qui ne le rassure guère.

A : Cette voiture… je l’ai déjà vue.

N : Xavier ?

C’est sorti tout seul de ma bouche, tout bas, comme une extension de ma pensée. Aleksy me regarde avec des yeux ronds, choqué par ma révélation.

A : Oui… enfin non, elle n’est pas à lui, mais je l’ai déjà vu devant chez lui… Mais comment tu le sais ?

N : C’est Mathis qui me l’a…

Je m’arrête brusquement de parler et mon visage devient blême. Oh putain, Mathis !

N : Aleksy ! T’as vu Mathis sortir de la bibliothèque, quelques minutes avant moi ?

A : Oui, je l’ai vu, mais pourquoi…

N : Il est parti par où ?

A : Euh… c’était par là-bas, je crois…

Aleksy me montre la direction d’une grande avenue. En supposant qu’il comptait rentrer chez lui, il est censé attendre dans l’un des arrêts de bus du boulevard. Mais lequel ? Je ne sais pas du tout où il habite ! Ou peut-être qu’il habite ici, lui aussi ? Mais je ne l’ai jamais vu traîner par là… Réfléchis Niels…

A : Niels ?

N : Il faut qu’on le retrouve, il est dans la merde, là !

Je me relève tant bien que mal, ma tête pesant une tonne. Je m’appuie contre le mur, constatant que mon équilibre est encore légèrement instable.

A : Hey, fait gaffe ! T’es pas encore complètement remis…

N : On s’en fout ! Faut qu’on se dépêche !

A : Mais dis-moi pour…

N : On n’a pas le temps, Aleksy ! Je t’expliquerai tout à heure !

Je me mets à marcher le plus vite possible, dans la direction qu’Aleksy m’a donnée. Je sens que ma hanche a également dû prendre un coup pendant le choc, car le fait de me déplacer provoque une douleur lancinante à ce niveau. Aleksy me suit au pas, tout en surveillant mon état.

Nous passons devant de nombreux abribus, mais aucune trace de Mathis. Exténué par la douleur, je m’assois dans l’un des abribus pour faire une pause, avant de reprendre ma recherche. Je prends mon visage entre mes deux mains et je ferme les yeux, pour essayer de faire passer mon mal de crâne.

Je sens Aleksy s’asseoir à côté de moi, et poser sa main sur mon épaule.

A : Niels, Mathis a sûrement déjà pris son bus, à l’heure qu’il est.

N : Mais comment le savoir ?

A : Tu ne le sauras pas plus en cherchant dans des abribus vides. On le retrouvera pas ici…

Je ne lui réponds pas et me contente de soupirer, exaspéré. Il a raison, on est en train de chercher une aiguille dans une botte de foin. Soit il est déjà loin, soit… Non, ne pense pas au pire Niels, putain ne pense pas à des trucs comme ça. Aleksy a raison, il a sûrement déjà pris son bus, et peut-être même qu’il est déjà arrivé. Mais oui, il n’y a aucune raison de s’en faire…

Soudain, je me rappelle ce que Mathis m’a dit. Je me jette sur mon portable, j’ouvre l’application Messenger, et je fais défiler tous les contacts auxquels je n’ai pas répondu. Non, c’est pas lui, non plus, celui-là peut-être ? Ah… non, c’est un bot… Puis je tombe sur un contact qui se prénomme Jesper Daigle. Bizarre comme nom ça, et la tête sur la photo de profil ne me dit rien du tout. Mais la prévisualisation du message me fait tiquer.

« Bonjour Niels, tu ne me connais pas mais… ».

A : Qu’est-ce que tu fais ?

N : Je dois vérifier un truc.

A : C’est qui Jes… quoi ? Jesper ?

N : C’est Mathis je crois, mais… raah je t’expliquerai tout à l’heure, tu comprendras pas sinon, j’en ai pour une minute.

A : Ok, ok…

J’ouvre le message et le lit en intégralité.

« Bonjour Niels, tu ne me connais pas mais j’ai quelque chose d’important à te dire. Ce n’est pas mon vrai nom parce que je ne peux pas te contacter avec mon véritable profil. Je sais qui a essayé de te tuer, et ce n’est pas Thibault. J’attends ta réponse avant de te donner plus d’informations. J’espère que tu liras ce message et que tu me répondras. ».

La dernière phrase m’emplit de remords. Je jette un coup d’œil à la date d’envoi du message, et… ça fait déjà plus d’un mois qu’il me l’a adressé. Putain, quel gâchis… Je me sens tellement mal. C’est en partie ma faute si Mathis est mêlé à tout ça… Ça fait chier ! J’appuie sur la zone de texte et je commence à lui répondre, avec bien trop de retard.

« Salut Mathis, désolé encore de ne pas avoir lu ton message plus tôt, j’ai pas géré… Réponds-moi dès que tu es rentré chez toi, j’ai besoin de te parler. ».

Je suis sur le point d’envoyer le message, mais je m’arrête juste avant. Est-ce que c’est bien Mathis, au moins ? Il ne m’a pas donné son vrai prénom dans le message, alors je n’ai aucune certitude. Et puis… c’est vraiment sûr que Xavier ne découvrira pas ce petit stratagème ? Il ne rentrerait pas chez Mathis par effraction pour fouiller son ordinateur, quand même… Nan, il est bien trop prudent. Je rectifie mon message en effaçant le prénom de Mathis, et j’appuie sur "envoyer". Comme ça, au cas où ce ne serait pas Mathis, je ne révèle pas son prénom.

A : T’as fini ?

N : Ouais… Je croise les doigts pour qu’il me réponde.

A : On rentre chez moi ? Tes parents doivent déjà être arrivés, non ?

N : Ouais, et ils ne vont pas tarder à s’inquiéter, les connaissant. On ferait mieux de se dépêcher.

Nous nous dirigeons d’un pas rapide vers la maison d’Aleksy. Enfin, seulement pendant quelques mètres, car Aleksy ralentit la cadence et me regarde intensément.

A : Alors ? Tu m’expliques ?

N : Eh bien… en fait…

Décidé à ne pas refaire la même erreur, je lui dis tout. Mes doutes concernant la culpabilité de Thibaut, les regards assassins de Xavier lors de mon retour au lycée, le message sur la main de Mathis, ainsi que tout notre échange à la bibliothèque. Aleksy absorbe chaque information en oscillant régulièrement de la tête, pour me signaler qu’il suit mon monologue. Je finis enfin de tout lui dire, à bout de souffle, au même moment que nous arrivons devant chez lui. J’aperçois la voiture de mes parents, garée juste derrière le portail. Aleksy s’arrête devant et me regarde, attristé.

A : Et tu comptais me cacher tout ça encore longtemps ? Il a fallu que tu passes à deux doigts de la mort, encore une fois, pour me le dire ?

Je baisse la tête et n’ose plus soutenir son regard approbateur. J’ai foiré, de A à Z. Même pas une semaine que nous sommes ensemble, et je suis déjà sur le point de tout foutre en l’air. Je ne sais même pas quoi répondre.

N : Désolé Aleksy…

Et c’est tout. Je n’ai pas su quoi dire d’autre, et cette réponse n’a pas l’air de lui suffire. Il me regarde une dernière fois, entre la déception et la colère, et se retourne sans m’adresser un mot vers la porte d’entrée. Je lui emboîte le pas, en sachant d’avance que cette soirée ne sera pas aussi magique qu’elle était censée l’être, loin de là.

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