Chapitre 2 - Coupable

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Sans le remarquer, j’ai accumulé le poids de toutes ces émotions, jour après jour. Maintenant, j’ai l’impression de me vider entièrement, je me sens léger, mes muscles se détendent, ça fait un bien fou. Je ferme les yeux pour profiter de cet instant de plénitude. Je me sens bercé par les bras réconfortants d’Aleksy, je sens la chaleur qui émane de son corps contre ma joue, je sens le doux passage de sa main dans mes cheveux. Je pourrais rester comme ça pendant des heures mais je ne veux pas abuser de sa gentillesse, je me sens déjà beaucoup mieux. Je me relève et le remercie par un sourire.

A : Ça va mieux ?

N : Oui… mer..ci.

Puis, soudain, je me sens piqué dans mon ego. Tandis qu’Aleksy se montre fort, qu’il se rend disponible et qu’il m’apporte tous les jours son soutien malgré ses problèmes, je passe mon temps à me lamenter. Il a énormément mûri ces derniers temps, et j'ai l'impression de passer pour un enfant à côté de lui. Je secoue énergiquement la tête pour me remettre les idées en place. Aleksy me regarde, surpris par mon brutal changement de comportement.

N : Ils ont… trou..vé qu… quelque ch..ose ?

A : Nan, pas encore…

Je demande ça par dépit, puisque de toute façon j’ai toujours la même réponse. Évidemment que ça n’avance pas ! La seule preuve existante, ma bouteille d’eau, que je remplissais tous les matins au robinet, ne contient aucun indice. Pas une empreinte, si ce n’est la mienne ou celle d’Aleksy. Et puis, ils ont interrogé tous mes camarades de classe, tous mes professeurs, et pas un n’a aperçu quelqu’un fouiller dans mon sac, ni toucher à ma bouteille. Ça pourrait être n’importe qui, les salles sont ouvertes pendant les interclasses.

J’ai encore du mal à comprendre pourquoi quelqu’un souhaiterait ma mort. J’ai été incapable de répondre à la police scientifique quand ils m’ont demandé si je suspectais des gens qui pourraient avoir des raisons de m’en vouloir. À la limite, je leur ai parlé de mon altercation avec Xavier et Cassandra, mais là encore c’est un peu gros.

Et puis, de toute façon, ils n’ont rien trouvé sur eux, ni sur le reste de la classe d’ailleurs. Personne n’a d’antécédents, personne n’a été diagnostiqué « mentalement instable », personne n’a de raisons particulières de vouloir me tuer. Ils n’ont trouvé aucun lien concernant le cyanure chez les élèves ni chez leurs parents, oncles, tantes, cousins germains, voisins, facteur, bref tout leur entourage. Rien, personne n’est coupable, tout le monde est innocent.

Pourtant, j’admire la persévérance de mon père, il n’en démord pas. Il a automatiquement porté plainte dès qu'il a eu la confirmation pour l'empoisonnement, pour que l'enquête s'amorce le plus vite possible. Et maintenant, il pousse la police à chercher encore plus loin, à regarder aussi du côté des 500 autres élèves du lycée et de leur cercle familial. Je suis sûr qu’il serait même prêt à leur demander de chercher des informations chez les bergers péruviens jusqu’à ce qu’il trouve le coupable. Je sais qu’il fait ça pour moi, pour ma sécurité et mon honneur. Mais quand ils n’auront plus nulle part où chercher, le seul suspect restant, ce sera moi. Et à ce moment-là, ils invoqueront la tentative de suicide.

À vrai dire, j’ai assez peu d’espoir de connaître un jour le nom du coupable. Je suis même terrorisé à l’idée de retourner un jour au lycée. Si j’y retourne, celui qui a tenté de me tuer va sûrement vouloir terminer le travail. Une chose est sûre : tant que le coupable ne sera pas démasqué, je ne serai plus jamais en sécurité là-bas. Je vais sûrement terminer mon année scolaire à la maison et passer mon bac quelque part, loin du lycée. J’en ai déjà parlé à Aleksy, et il m’a confirmé que c'était sûrement la meilleure solution, même si j'ai aperçu chez lui une pointe de déception mal dissimulée. En même temps, je le comprends. Dire que c'est moi qui l'ait incité à revenir au lycée pour ne plus y aller quelques semaines après. Si j'avais su...

D’ailleurs, ça ne doit pas être facile pour lui tous les jours. Devoir faire face seul à Xavier et Cassandra, devoir faire face aux flots de questions qui doivent s’abattre sur lui quotidiennement. J’ai honte de ne lui avoir jamais demandé.

N : Et toi… on te par..le pas t… trop de m..oi ?

A : Si, t’imagines bien. Depuis que la police a débarqué et a interrogé tout le monde, c’est la panique. Plein de gens me demandent ce qu’il t’est arrivé, pour que la police vienne au lycée. Moi, je fais mine d’être au courant de rien, que je ne peux rien leur apprendre de plus que ce qu’ils savent déjà, juste que tu vas bien et que tu te reposes. Personne n’a été mis au courant pour l’empoisonnement et les policiers sont muets comme des tombes à ce sujet. Alors, par conséquent, il y a des bruits de couloir, et on entend tout et n’importe quoi.

Ça ne m’étonne qu’à moitié. Il y a bien des gens qui ont tenté de me joindre sur Messenger pour en savoir plus, mais je les ai tous bloqué pour des raisons évidentes.

A : Par contre, tu connais un certain Mathis en seconde E ? Petit, brun, avec des tâches de rousseur ? Il est venu prendre des nouvelles te concernant et il avait l’air vachement inquiet.

Je lui fais signe que non de la tête, d’un air étonné. Mathis ? Je vois vaguement qui c’est, mais on ne s’est jamais adressé la parole une seule fois. Un acte de compassion, peut-être ?

A : En tout cas, tu as été le sujet de discussion numéro un pendant plusieurs semaines au lycée. Heureusement, ça s’est un peu calmé ces derniers jours. C’est pas que j’aime pas parler de toi, mais déjà que je dois te supporter tous les soirs…

Il prend son air faussement blasé que je ne connais que trop bien. Mais ce n’est pas parce que j’ai des difficultés à parler que je vais le laisser me lancer des vannes sans contre-attaquer.

N : T’es sur..tout dég q… que je te… vole la ve..dette.

Aleksy explose de rire, malgré lui. Ce n’est pas tant la blague qui le fait rire, mais lancer une punchline en bégayant donne un résultat plutôt cocasse. Remarquant moi-même le ridicule du résultat, je le rejoins dans son fou rire. Lancés dans notre bonne humeur, nous ne revenons pas sur le sujet. On préfère plutôt s’occuper l’esprit à jouer aux jeux-vidéos.

Nous nous amusons tellement que nous ne voyons pas le temps passer. Ma mère, qui est rentrée entre-temps, propose à Aleksy de rester dormir à la maison ce soir, étant donné que demain, on est samedi. Ce dernier accepte volontiers, à ma plus grande joie. Il demande tout de même l’accord à sa mère, mais elle n’y voit pas d’inconvénient.

Nous dévorons avec appétit le délicieux plat de lasagnes que ma mère vient tout juste de sortir du four, puis nous montons dans ma chambre le ventre plein. Nous nous installons sur mon lit.

A : Dis Niels, c’est possible que je prenne une douche ?

N : Oui, évi..demment !

A : Je peux t’emprunter un caleçon ?

N : Euh... Ou... oui, bi..en sûr !

Mes joues prennent une teinte légèrement rosée au moment où des pensées peu orthodoxes traversent mon esprit. Je me lève et vais chercher un caleçon dans mon dressing, puis je lui jette, avec précision, en plein sur le visage. Il le retire, en mimant un visage dégoûté.

A : Pitié, j’ai pas envie de savoir ce que t’as fait avec.

N : Je te lai… laisse devi..ner !

Il reprend son air faussement blasé et je ne peux m’empêcher de pouffer de rire. Il sait l’effet magique qu’a cette grimace sur moi. Nous échangeons un sourire complice, puis il prend la direction de la salle de bain. Je suis allongé sur mon lit, la télécommande à la main, en train de chercher quel film on pourrait bien regarder.

Puis, j’entends les jets d’eau de la douche. Je ferme les yeux et je commence à m'imaginer le filet d’eau, couler le long de son corps dévêtu, épouser les formes de ses muscles finement dessinés. Puis, je me vois le rejoindre, le plaquer contre le mur carrelé et me jeter sur sa bouche comme un meurt-de-faim. Mes mains baladeuses ne se font pas prier et… oups, j’ai une solide érection et une furieuse envie de me branler.

Il est rentré dans la douche il y a quelques minutes, alors… si je me dépêche, j’ai le temps de faire ma petite affaire, non ? Je déboutonne mon jean, l’empoigne en même temps que mon caleçon et descend le tout au niveau des genoux. Maintenant, ça se passe entre ma main droite et ma troisième jambe.

Je continue de vivre mon fantasme les yeux fermés, en me mordillant les lèvres. Je m’imagine lui appliquer de torrides baisers dans le cou, puis sur son torse mouillé, ses abdos naissants, son bassin, puis encore plus bas jusqu’à…

A : Niels !

Je sursaute et je me redresse en essayant de cacher mon entrejambe, par réflexe. Mais il n’y a personne sur le palier de porte. Ouf, il m’appelle depuis la salle de bain…

N : Ou… oui ?

A : Tu peux me passer une serviette ? J’ai oublié de t’en demander une avant !

Dieu merci, j'ai eu du bol cette fois-ci ! Faudra que je sois plus prudent à l’avenir…

N : J’arr… J'arrive !

Je remonte le tout et je dois m’employer à compresser mon service trois-pièces dans mon caleçon pour pouvoir refermer les derniers boutons du jean. Heureusement, la surprise a un peu ramolli mon émoi. Je suis tout de même frustré de ne pas avoir pu finir ce j’avais commencé. J’entrouvre la porte de la salle de bain.

N : Je peux ent..rer ?

A : Oui, vas-y, je suis encore sous la douche.

J’entre prestement dans la salle de bain, sans tourner la tête. J’ouvre le meuble et je prends la première serviette qui me passe sous la main. Je la fais passer par-dessus la porte vitrée. Vitrée, mais dépolie, hein ! On ne voit rien à travers, enfin on arrive juste à distinguer quelques ombres floues, quelques ombres floues…

A : Merci Niels, tu gères !

N : De… de ri..en !

Je m’enfuis de la salle de bain, avant de faire une bêtise. Je sens comme une légère pression au niveau de mon entrejambe. Ah non, ça suffit maintenant, couché ! J’en suis à engueuler ma propre bite maintenant, c'est ridicule...

Je m’allonge sur mon lit et je plaque mon oreiller contre mon visage, pour essayer de penser à autre chose. Un truc dégueu, qui fait débander direct. Le… vieux boulanger avec… la grosse qui est au guichet, au cinéma ! Qui font des cochonneries, en cachette. Nan, là, c’est trop extrême, je crois que je vais régurgiter mes lasagnes.

La porte s’ouvre et je jette mon oreiller à mes pieds. Aleksy réapparaît, devant moi, en jean mais torse nu, avec le liseré rouge de mon caleçon qui dépasse. C’est une caméra cachée, c’est ça ?

A : Je peux… t’emprunter un T-shirt aussi ? Le mien était sale, alors…

Ou tu peux rester comme ça sinon, ça ne me dérange pas… Je me pince la peau de mon bras avec mes ongles, ce qui provoque une vive douleur, comme pour punir mon cerveau.

N : Oui v… vas-y… sers-toi dans… le dres..sing !

A : T’es vraiment le meilleur, mec ! J’ai laissé mon caleçon et mon T-shirt dans la salle de bain, mais je les reprendrai demain.

Il se dirige vers le dressing et fait glisser la porte coulissante, dos à moi. Putain, même de dos, il est magnifique. Et puis… il a laissé son caleçon dans la salle de bains… Je serre mon poing et je me donne un coup brusque dans les parties génitales, pour nettoyer toutes ces pensées impures qui polluent mon esprit. Un violent choc électrique me traverse dans tout le corps, et je me retiens de crier de douleur.

Aleksy se retourne, le T-shirt à la main, et me dévisage, paniqué.

A : Tout va bien, Niels !?

N : Ou..i, c’est bon, je… teste ma ré..sist..ance à la d… douleur.

Aleksy me regarde, complètement perdu. Puis, il renonce à essayer de comprendre et il enfile mon T-shirt.

A : Des fois, t’es vraiment bizarre !

N : C’est p… pour cet..te raison qu… que tu me kif..fes !

Air faussement blasé, je rigole, fin du quiproquo. Au moins, ça aura eu l’effet escompté. Pour ne plus bander, je ne bande plus ! Aleksy s’installe à côté de moi, sur le lit, et je lance le film préalablement choisi, en lui demandant quand même si ça lui convient.

Le film est… assez décevant. La moitié du budget a sûrement dû passer dans l’affiche qui paraissait grandiose, parce que le reste est d’une telle pauvreté que je cotiserais presque pour qu’ils se paient de vrais acteurs. Les effets spéciaux sont relativement moches, le scénario est claqué et les dialogues sont… j’ai pas les mots.

Le film est si mauvais qu’Aleksy s’est endormi devant. Il est allongé sur le côté, dans ma direction, sa tête reposant sur son bras. J’arrête le film et j’éteins la télé, n’ayant plus aucun intérêt à finir cette daube. Les différentes petites LED de tous les appareils électroniques dans ma chambre diffusent une très faible lumière, suffisante pour que j’aperçoive son visage. Il paraît si paisible, si insouciant. J’entends sa respiration régulière, il a l’air d’être profondément endormi alors je ne dois surtout pas le réveiller.

Je suis face à lui, immobile, et je l’observe, silencieusement. Ses lèvres vibrent au rythme de sa respiration. Je suis comme aimanté par ses lèvres. Je les vois, de plus en plus près, toujours plus proches. Je ne suis plus qu’à quelques centimètres de son visage. Je sens son souffle chaud arpenter mon faciès. Je rapproche mes lèvres des siennes, millimètre par millimètre, je veux les ressentir à nouveau, je les veux…

Une perturbation dans sa respiration, suivi d’un mouvement de sourcil, m’arrêtent dans mon entreprise. Je me recule, sans geste brusque, et je me retourne, pour éviter d’être hypnotisé à nouveau. Je ne suis qu’un idiot. Je réussis à m’endormir, assez difficilement.

Je suis réveillé par le bruit de la porte d’entrée qui claque. J’ouvre les yeux, non sans mal. Je n’ai pas passé la meilleure de mes nuits et je suis crevé. Je sens le matelas bouger légèrement, le fracas a aussi dû réveiller Aleksy. J’entends ma mère avoir une discussion avec quelqu’un au rez-de-chaussée. Bizarre, on n’attendait personne aujourd’hui. Si c’était le cas, ma mère m’aurait prévenu. Intrigué, je me lève pour aller vérifier qui c’est.

A : Il est quelle heure ?

Je déverrouille mon portable et je lui montre l’écran. 9h14. Qui peut bien nous déranger si tôt le week-end ? Il plisse les yeux au maximum, pour essayer de lire l'heure malgré la luminosité.

A : Humpff… Tu te lèves déjà ?

N : Ouais ma… mère par..le à q… quel..qu’un en bas… je vais v… voir qui c’est.

A : Ah… Bah attend, je viens avec toi.

N : T’es pas ob..ligé… tu peux c… conti..nuer de dor..mir si tu v… veux !

A : Nan t’inquiètes, ça ira, je suis en pleine forme ! J’ai dormi comme un bébé !

Je me passe de lui dire que ce n’est pas mon cas, je lui réponds tout simplement avec un sourire. Il se lève à son tour et me rejoint en bâillant. Il n’est pas très matinal ! Ses cheveux sont complètement ébouriffés… je trouve ça plutôt mignon. Nous descendons les escaliers et, soudain, j’aperçois mon père, accompagné d’un inspecteur, et ma mère, complètement euphorique.

N : Papa ? Qu…

J : Ça y est, fiston !

N : De q…

J : L’inspecteur, monsieur Doyon, m’a appelé ce matin. Il m’a demandé de le rejoindre le plus vite possible !

Mon père regarde l’inspecteur, lui invitant muettement à continuer la phrase. Ce dernier prend quelques secondes avant de comprendre.

Insp. Doyon : Euh… oui ! Monsieur Møller, nous pensons tenir le coupable.

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