Chapitre 10 - Résultat

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A : Niels !

Niels s’effondre sous mes yeux. Il gît au sol, inanimé, le sang continuant de couler de ses narines. Je suis tétanisé. Je prie pour que ce ne soit qu’une mauvaise blague, qu’il se relève en rigolant. Mais non, il ne bouge plus, il ne réagit plus. Je me précipite alors sur lui.

A : Niels ! Réponds-moi ! Dis quelque chose !

Je le secoue mais toujours aucune réaction. Je saisis alors que la situation est très grave, et que je dois agir vite. Mais qu’est-ce que je suis censé faire ? Je dois aller chercher des adultes, demander de l’aide, mais je ne peux pas le laisser tout seul comme ça ! Pourtant je n’ai pas le choix, je ne sers à rien tout seul, je suis complètement dépassé par les événements.

Je pars en courant vers la salle de cours la plus proche. Heureusement, il y en a une à quelques mètres des toilettes. Je rentre précipitamment à l’intérieur et tout le monde se retourne dont le professeur, surpris par cette entrée soudaine. C’est notre professeur d’anglais.

M. Du Toit : Qu’est-ce que…

A : Aidez-moi ! Niels s’est effondré dans les toilettes, il saigne beaucoup et il ne répond plus !

Sans demander plus de détails, le professeur comprend la gravité de la situation et accourt vers la sortie. Les élèves, complètement affolés, se lèvent eux aussi pour voir ce dont il est question. Mais le professeur les arrête net.

M. Du Toit : Non, restez à vos places ! Ce n’est pas un spectacle !

Les élèves obéissent sans rechigner. Je me redirige vers les toilettes, accompagné par le professeur. Quand il entre à l’intérieur, son visage est pris d’effroi. Il aperçoit Niels, allongé par terre, son visage figé et ses vêtements couverts de sang. On croirait à une scène de crime. Il fonce sur le corps de Niels.

M. Du Toit : Niels ? Tu nous entends ?

Rien. Il bascule alors la tête de Niels en arrière et soulève son menton. Il rapproche son oreille de sa bouche pour écouter sa respiration. Mais le visage qu’affiche le prof n’augure rien de bon.

M. Du Toit : Il ne respire presque plus !

Mon cerveau arrête de fonctionner, mon cœur arrête de battre. Il déchire le T-shirt de Niels, positionne ses deux paumes de main l’une sur l’autre, et commence à compresser régulièrement la poitrine nue de Niels. Il fait ça pendant plusieurs secondes, puis approche sa bouche de celle de Niels et lui insuffle de l’air. Je suis à côté de lui, immobile et complètement perdu.

M. Du Toit : Tu as observé mes gestes ?

A : Hein ? Euh oui, oui !

M. Du Toit : Je te laisse continuer alors, il faut que j’appelle les secours ! Prend ma place !

Il me prend au dépourvu et je suis complètement affolé. Non ! Ce n’est pas le moment de paniquer ! Si je ne fais rien, Niels va mourir ! Je reprends mes esprits et je me positionne à genoux à côté de Niels. Je réitère les mêmes gestes, et je commence à effectuer le massage cardiaque.

M. Du Toit : Voilà, comme ça, appuie un peu moins fort. Va un petit peu moins vite. Voilà, continue comme ça pendant plusieurs secondes, puis tu fais le bouche-à-bouche et tu recommences.

Je suis ses conseils à la lettre pendant qu’il compose le numéro du SAMU. Je continue le massage cardiaque pendant plusieurs secondes puis je m’arrête et je rapproche mon visage du sien. Je marque un court temps d’arrêt, j’ai un mouvement d’hésitation. Non, ça n’a rien à voir, j’ai honte de penser à ça dans un moment pareil. Je pose mes lèvres sur les siennes et lui insuffle de l’air. J’ai le goût du sang dans la bouche, de son sang.

Quand je relève la tête, j’aperçois de près son visage figé, inexpressif. Je reprends mon massage cardiaque mais les larmes me montent aux yeux. Ça ne peut pas être réel, ce n’est pas possible. J’entends le professeur parler au téléphone derrière, mais le bruit est couvert par les battements de cœur dans ma poitrine.

Je répète les mêmes gestes, encore et encore, pendant plusieurs minutes qui me paraissent interminables. Et plus le temps passe, plus je sombre dans le désespoir, moins je crois en sa survie. J’ai l’impression qu’il n’est plus là, que moi non plus je ne suis plus là.

M. Du Toit : Ne t’arrête pas, je vais prévenir le directeur et lui dire que les urgences arrivent !

Je ne l’entends même plus, je ne réfléchis même plus. Je répète juste mes gestes, comme un robot. Je ne sais même pas depuis combien de temps j’essaie de le sauver. Une minute ? Dix minutes ? Une heure ? Je n’en ai aucune idée, j’ai perdu toute notion du temps.

Soudain, je sens des mains se poser sur mes épaules, et je reprends mes esprits. Je me retourne et j’aperçois des urgentistes, puis d’autres personnes que je ne cherche même pas à reconnaître.

Urgentiste : Merci jeune homme, vous avez fait ce qu’il fallait faire. Laissez-nous prendre la suite maintenant.

Je m’écarte machinalement et je vais me poser dans un coin, assis avec les genoux repliés. J’aperçois l’urgentiste poser des électrodes sur le corps de Niels et prendre le défibrillateur dans ses mains. Je ne suis qu’à quelques mètres à peine, mais j’ai l’impression d’être à des kilomètres d’eux, à des milliers de kilomètres de Niels.

Il pose la machine sur sa poitrine et lui envoie un choc électrique. Le corps de Niels sursaute en même temps que le mien, mais il ne bouge toujours pas. Je fonds en larmes en n’apercevant aucun signe de vie. Il repose la machine sur sa poitrine. Son corps sursaute encore plus violemment mais il reste inanimé. Je pose mes mains sur ma bouche pour ne pas crier ma détresse, je me dis que c’est fini, que tout est fini. Il utilise une nouvelle fois le défibrillateur, je l’entends monter en puissance, encore, et encore, et encore, et…

Je me réveille en sursaut, plongé dans le noir. Mon cœur bat plus vite que jamais, mon corps tremble de toutes parts. Je sens que mes joues sont humides, je suis en train de pleurer. Je me rallonge tout doucement dans mon lit et j’essuie mes larmes avec mon bras.

Encore cet horrible cauchemar, cet horrible souvenir…

Je suis en train de finir mon repas quand j’entends la porte s’ouvrir. Aleksy se présente sur le seuil de la porte avec le sourire aux lèvres, mais je vois que ses traits sont tirés. Je regarde l’horloge qui affiche 12h01. Je suis vraiment content qu’il soit là dès le début des horaires de visite, j’étais impatient de le revoir.

A : Salut Niels, bien dormi ?

Je lui réponds que oui de la tête et lui sourit. Malgré l’inconfort des lits d’hôpitaux, j’étais vraiment crevé et j’ai dormi comme un bébé. J’aimerais lui demander si lui aussi mais je ne peux pas, pas encore. Et puis vu ses cernes, je pense avoir déjà la réponse…

A : Tiens, j’ai ton sac !

En effet, il dépose mon sac qu’il portait sur son dos à côté de mon lit. Il plonge sa main dedans, et en ressort mon téléphone portable qu’il tient dans sa main comme un trophée.

A : C’est ça que tu voulais hier soir, nan ? Maintenant, on pourra parler même quand l’hôpital sera fermé ! Je l’ai rechargé ce matin et je l’ai éteint pour ne pas gaspiller la batterie.

Il a pensé à tout ! Il me sauve la vie sur ce coup, je me suis ennuyé à mourir ce matin. Maintenant, je pourrai lui parler à tout moment de la journée, et ce sera plus simple qu’avec l’ardoise. Il me le tend et je l’attrape en effleurant la paume de sa main avec le bout de mes doigts. Le contact nous fait frissonner.

A : Tu… tu devrais le cacher, je sais pas si t’as le droit de l’avoir.

Je suis ses conseils et je le place sous mon oreiller. Nous discutons pendant plusieurs minutes, enfin il tient la conversation et je me contente de répondre par oui ou non. Nous sommes rejoints par mes parents, peu de temps après, qui s’étonnent de la présence aussi précoce d’Aleksy.

Ils s’ajoutent à la conversation et pour une fois, ils ne parlent pas de mon empoisonnement. Ça me fait du bien d’entendre parler d’autre chose. J’ai l’impression que mes parents ont eu une discussion hier soir, ma mère ne regarde plus Aleksy avec crainte. Mon père a sûrement dû la convaincre que ça ne pouvait pas être lui. Elle fait souvent des conclusions hâtives et se ravise après coup.

Je ne vois pas le temps passer. Aleksy s’entend bien avec mes parents et il n’a aucun mal à tenir la conversation avec eux. À vrai dire, je n’en ai jamais vraiment douté. Il est très mature et sociable, il s’intéresse à tout et il met vraiment les gens à l’aise parce qu’il ne parle jamais que par politesse, il aime juste apprendre à connaître les autres.

Mais voilà que la porte s’ouvre à nouveau et le médecin apparaît à son tour. Il est déjà 17h00 passé.

Dr. Beaudry : Bonjour, je vois que vous êtes de nouveau tous réunis. Tu as l’air en pleine forme Niels, ça fait plaisir à voir.

Tout le monde salue le docteur en même temps. Il m’ausculte rapidement pour savoir si ma convalescence avance dans le bon sens, et il a l’air vraiment satisfait du résultat.

Dr. Beaudry : Je tiens à vous dire que c’est un solide votre fils, il a rapidement retrouvé du tonus. À ce rythme-là, il pourra rentrer chez lui dès lundi.

K : Oh, quelle bonne nouvelle ! T’entends ça Niels ?

Oui, je ne peux plus parler mais je peux encore entendre. Mais je suis ravi de la nouvelle, j’avais vraiment peur de devoir rester des semaines ici. Finalement, je vais pouvoir sortir bien plus tôt que je ne le pensais.

Dr. Beaudry : Néanmoins, je vous demanderai de rester vigilant quant à l’état de santé de Niels. Nous ne savons toujours pas avec certitude ce qui a pu provoquer ses complications mais vu que son état s’est amélioré, nous n’allons pas le garder enfermé ici.

L’euphorie redescend d’un cran. C’est vrai que je ne suis pas encore sorti d’affaire pour autant. Mais s’ils me laissent sortir aussi prématurément, alors je ne dois pas trop me faire de soucis.

Dr. Beaudry : Et plus particulièrement toi, Niels. Dès que tu ressens des maux de tête, des vertiges, ou n’importe quel autre symptôme, il faut que tu préviennes un adulte, que ce soit tes parents, tes professeurs ou qui que ce soit d’autre. Je peux te faire confiance ?

Je lui réponds par l'affirmative. J’ai fait l’erreur une fois et je ne souhaite pas la refaire. J’ai pris conscience que je suis entouré de personnes à qui je peux me confier, je dois arrêter de garder tous mes problèmes pour moi. En voulant les épargner, je n’ai fait qu’aggraver les choses et je ne veux plus les inquiéter comme ça.

Dr. Beaudry : Sur ce, je vous laisse entre vous. Passez une bonne fin de journée.

Le docteur ouvre la porte et s’apprête à sortir.

A : Attendez !

Dr. Beaudry : Oui ?

A : Je… je dois vous montrer quelque chose.

Nous regardons tous Aleksy, surpris. Montrer quoi ? Il se dirige vers mon sac de cours. Qu’est-ce qu’il y a de si important dans mon sac ? Il plonge sa main dedans et en ressort une bouteille d’eau. Une bouteille d’eau ? Et là, ça fait tilt. Mais bien sûr, pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt !

A : Je l’ai trouvé hier soir en regardant dans le sac de Niels. Alors, je me suis dit que peut-être…

Dr. Beaudry : Tu as très bien fait, Aleksy ! Je vais tout de suite l’analyser et je vous rapporte les résultats dès que je peux !

Le docteur Beaudry récupère la bouteille d’eau et s’en va. J’ai le pressentiment qu’Aleksy a trouvé la preuve. Ça ne peut être que ça, j’en suis persuadé.

K : Aleksy, pourquoi tu ne nous as pas parlé de cette bouteille d’eau avant ?

A : Je… je suis désolé, Karen. J’ai voulu vous le dire à plusieurs reprises mais j’avais peur que vous me soupçonniez… Je sais que c’est idiot, je m’en excuse.

Mon père regarde ma mère avec un regard désapprobateur. Ma mère soupire et lui fait un signe de la tête. J’avais bien raison, mon père a sûrement dû lui faire la morale sur ce qui s’est passé la veille.

K : Non, c’est moi qui m’excuse Aleksy. J’ai bien compris que tu t’es senti accusé à tort hier, alors je comprends pourquoi tu as hésité. J’y ai bien réfléchi et… ça ne peut pas être toi. C’est toi qui lui a sauvé la vie, et tu as été là tous les jours à ses côtés, après les cours, jusqu’à tard le soir. Mais mon instinct de mère a repris le dessus et j’ai tiré des conclusions bien trop vite…

J : Comme bien souvent.

Ma mère lance un regard désabusé à mon père, qui lui répond par un petit sourire moqueur. Puis ils se mettent tous les deux à rigoler. Je suis surpris par cette nouvelle complicité entre mes parents. Ce n’est pas qu’ils ne s’aimaient pas, mais il semblait que la flamme s’était éteinte et qu’il régnait juste une sorte de courtoisie entre eux deux. J’ai surtout l’impression de redécouvrir mon père ces derniers jours, comme si s’écarter de son travail lui faisait du bien. Finalement, il y a peut-être du bon à tirer de mon accident.

Aleksy, quant à lui, est rouge de honte, comme si ma mère venait de révéler quelque chose d’important. Mais elle ne m’apprend rien du tout, au fond de moi, je le savais. Néanmoins, quand je pourrai parler à nouveau, je lui tirerai les vers du nez. J’ai envie de savoir tout ce qu'il s’est passé pendant que j’étais inconscient, dans le moindre détail.

La réconciliation étant faite, si on peut appeler ça comme ça, ils continuent de converser au sujet de tout et de rien. Mais je sens qu’au fond, cette conversation ne sert qu’à meubler le silence. Ce que tout le monde attend, c’est le résultat de l’analyse.

L’horloge affiche déjà 20h10. Les visites devraient déjà être terminées depuis dix minutes, mais ils espèrent vraiment connaître le résultat aujourd’hui. Mon père se lève en premier.

J : Bon, malheureusement, on va devoir y aller. On ne devrait déjà plus être là.

K : Mais Jakob, et les résultats ?

J : Tu sais bien que le docteur fait les analyses sans que personne ne le sache. Si quelqu’un vient dans la chambre et nous retrouve ici, quelle excuse donnerait-on ? On ne peut pas mettre le docteur Beaudry dans l’embarras.

K : Oui, tu as raison… J’aurais tellement voulu savoir aujourd’hui, je vais me faire du souci jusqu’à demain !

J : Je sais Karen, mais on n’a pas le choix. On te ramène chez toi Aleksy ?

A : Oui, merci…

Visiblement, Aleksy aussi est déçu. Mais, au moment où tout le monde enfile son manteau et se prépare à partir, la porte s’ouvre brusquement et le docteur Beaudry réapparaît.

Dr. Beaudry : Ouf, vous êtes encore là. Désolé pour le retard, j’ai eu des urgences qui m’ont empêché de faire les tests. Mais c’est bon, j’ai les résultats.

K&A (en même temps) : Alors !?

Dr. Beaudry : Alors oui, quelqu’un a bel et bien versé des sels de cyanure dans ta bouteille d’eau, Niels.

Fin de la partie 2…

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