Chapitre 3 - Révélations

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N : Vas-y demande-moi n’importe quoi et je le ferai !

A : Je pense que… j’arriverai à en parler si… tu me sers un verre…

N : Euh… oui bien sûr, il fallait pas te gêner pour demander t’es comme chez toi ici !

Je me dirige troublé vers mon mini-frigo. Pourquoi il a paru si hésitant pour me demander à boire ? Y a pas de honte à avoir soif…

N : Alors j’ai de l’eau, du coca, du jus de pomme, et j’ai aussi du…

A : Nan, t’as pas compris… je voulais dire…

Je le regarde interloqué. Qu’est-ce que j’ai pas compris ? Il m’a demandé de lui servir un verre non ? Du coup qu’est-ce qu’il veut boire ? Attendez… mais oui évidemment...

N : Ah… tu veux… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée Aleksy…

A : Juste un verre Niels… j’aurai pas le courage sans…

Qu’est-ce que je dois faire ? Si je lui donne, je l’incite à continuer de boire de l’alcool et c’est clairement pas ce que je veux. Mais si je ne lui donne pas, il gardera ses douloureux secrets pour lui seul et je ne peux pas le laisser comme ça après ce que j’ai appris… Je suis complètement paumé.

Non ! Je dois savoir ! Et puis, s’il ne boit pas maintenant, il arrivera toujours à trouver une façon de se saouler plus tard… Alors tant qu’à faire je préfère que ça soit avec moi, sous ma surveillance.

N : Ok Aleksy, mais juste un verre.

A : Merci Niels…

Je cherche un peu partout dans la cave, espérant tomber sur une bouteille au hasard. Normalement les alcools forts sont stockés à l’étage dans le minibar du bureau de mon père mais il est fermé à clé. En fouillant bien, je devrais bien en trouver une… Miracle ! Tout au fond d’un petit placard, j’aperçois une bouteille en verre martelé avec une grosse étiquette vieillie et un bouchon métallique.

Je la prends dans mes mains et je lis sur l’étiquette « Seagram’s Extra Dry Gin – 750mL – ALC. 43% VOL. ». Aucun doute, c’est bien de l’alcool même si j’y connais absolument rien. Je la ramène comme un trophée, fier d’empoisonner mon ami pour lui soutirer des informations. Je suis pathétique.

N : Tiens !

A : C’est quoi ?

N : Je sais pas c’est la seule que j’ai trouvée.

A : Peu importe, je peux prendre du coca avec ?

N : Ouais, bien sûr.

Je vais chercher deux canettes de coca et deux verres que je pose sur la petite table basse. Aleksy ouvre la bouteille de gin et s’en verse la moitié d’un verre. Je ne connais pas les doses, n’ayant jamais bu d’alcool, mais ça me paraît quand même beaucoup. Il s’apprête à en verser dans mon verre.

N : Nan, attends !

Aleksy me regarde, déçu.

A : Tu ne veux pas prendre un verre avec moi ?

N : Je… je sais pas Aleksy, j’en ai jamais bu…

A : S’il-te-plaît, pour m’accompagner…

Il me regarde avec son air de chien battu. Il m’est impossible de lui refuser quoi que ce soit quand il me regarde de la sorte. Quelle faiblesse…

N : D’accord… mais pas autant que toi, juste un fond.

A : Merci Niels.

Il m’en verse quand même le quart d’un verre, même si je souhaitais en avoir encore moins. Puis nous ouvrons chacun notre canette bien fraîche et nous remplissons nos verres. Aleksy porte directement le verre à sa bouche et en boit une bonne gorgée. Il ne bronche pas.

De mon côté, j’approche timidement mes lèvres du bord et j’en bois une misérable gorgée. Le goût du coca est un peu altéré, mais sans trop l’être. Je ressens un léger picotement au fond de la gorge mais ça va, c’est largement supportable. J’en bois alors une plus grosse gorgée qui a un peu plus de mal à passer. Je tousse comme un enfant qui boit des bulles pour la première fois.

A : Ça va ?

N : Oui c’est bon, j’ai juste bu de travers.

Dans un excès d’orgueil, je reprends une grosse gorgée et je prends sur moi pour ne rien laisser paraître. La sensation est moins désagréable, à force on s’y habitue je suppose. Aleksy suit mon rythme et reprend une gorgée comme si de rien n’était.

N : Alors…

A : Alors… non.

N : Donc tu n’as rien fait avec elle ?

A : Non… mais j’ai essayé.

N : Essayé ?

A : J’ai… pas réussi à bander.

N : C’est pas grave de ne pas réussir à bander une fois.

A : Ouais… mais c’était pas qu’une fois...

N : Ah bon… Désolé de rentrer dans les détails, mais c’est arrivé quand ?

A : A chaque fois qu’on se retrouvait à poil. C’est arrivé trois fois et je n’ai jamais réussi… Même quand elle me tripotait ça ne voulait pas…

N : Je sais pas… ça se passait où d’habitude ?

A : En soirée, on ne se voyait jamais autrement.

N : Et vous faisiez quoi pendant les soirées ?

A : Bah… on buvait, on fumait des joints, et après on montait dans une chambre quoi.

N : C’est peut-être à cause de l’alcool et des joints, non ?

A : Les autres ils arrivaient bien à baiser pourtant…

N : Ça dépend des gens, je pense.

A : Mouais si tu le dis…

N : Tu la trouvais excitante au moins ?

A : Ouais… je pense.

Aleksy prend son verre en main et le finit d’une traite. Comme un abruti, je suis son mouvement et fait la grimace. Je commence à sentir légèrement ma vision se troubler et à avoir la tête qui tourne. Malgré le fait que je ne trouve pas ça fameux, je ne refuse pas lorsqu’il m’en ressert un verre. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il en a mis un peu plus que tout à l’heure.

N : J’ai une question à te poser… mais t’es pas obligé de me répondre.

A : Vas-y dis toujours.

N : Tu penses à quoi quand…

A : Quand quoi ?

N : Quand tu te branles quoi.

Aleksy rougit d’un seul coup. C’est bien la première fois que je le vois rougir. Il est mignon comme ça je trouve.

A : Bah… à des filles.

N : Pas à Cassandra ?

A : Euh… non pas spécialement.

N : Bah tu l’as ta réponse.

A : Pourtant elle est bonne Cassandra !

N : Bof… Tu sais je pense pas que j’aurais réussi à bander devant elle non plus.

A : Ah bon ? Pourquoi ?

N : En sachant que tout le monde lui est passé dessus… ça m’aurait coupé l’envie perso.

A : Ouais… t’as peut-être raison…

On continue à boire même si on a pas spécialement soif. On répète juste le même mouvement, comme des robots.

A : Et toi avec Laurène… vous l’avez fait ?

Je manque de recracher ce que je suis en train de boire. Je rougis comme une pivoine à mon tour. Je tente de faire l’ignorant pour repousser la question fatidique.

N : Faire quoi ?

A : Me prends pas pour un idiot, faire l’amour quoi ?

N : Oui…

A : Bah vas-y raconte !

N : Euh… je sais pas ça me gène…

A : Je t’ai quand même raconté des trucs plus gênants que ça.

Il n’a pas tort. Mais je me sens mal à l’aise de lui raconter mon bonheur avec Laurène après ce qu’il a vécu. Mais si c’est lui qui me le demande, ça serait mal venu de lui refuser.

N : On l’a fait une seule fois.

A : C’est déjà bien ! Quand ?

N : Le week-end avant les vacances.

A : Et alors ? C’était comment ?

N : Bah… c’était bien.

A : Bien ? Fait un effort !

N : Oui bon… c’était génial !

A : Comme je t’envie…

N : Bah t’es beau gosse donc tu devrais pas trop avoir de problème pour trouver.

Je me rends compte que quelques secondes après de ce que je viens de dire. J’ai l’impression que je ne me contrôle plus en temps réel, comme s’il y avait un décalage entre mes actions et ma réflexion. Aleksy a l’air aussi surpris que moi. Il me regarde avec des yeux ronds et je rougis de plus belle.

A : Tu le penses vraiment ?

N : Bah oui…

A : C’est… c’est gentil merci. Je te retourne le compliment.

On n’ose plus se regarder. La situation est quelque peu… étrange. En soit il n’y a pas de honte à se dire des compliments sur le physique entre hommes. Mais on a l’impression que les nôtres sont lourds de sens, que ce ne sont pas juste des paroles en l’air.

Nous restons silencieux quelques minutes, tout en continuant à boire. J’ai de plus en plus de mal à réfléchir, j’ai l’impression que mes sens sont peu à peu en train de me quitter. Mais une question continue à me trotter dans la tête malgré tout : pourquoi a-t-il si peur d’eux ? Je ne peux pas lui poser la question aussi abruptement, je dois trouver un moyen de contourner le sujet.

N : Aleksy ?

A : Oui ?

N : Pourquoi… tu détestes autant Cassandra maintenant ?

A : A cause de notre dernière soirée ensemble.

N : Il s’est passé quoi ?

A : Elle s’est déshabillée devant tout le monde.

N : Nan, elle a pas osé ?

A : Eh si…

N : Mais… c’est pour ça que tu la détestes du coup ?

A : Nan… elle m’a demandé de me déshabiller aussi…

N : Quoi ? Mais t’as pas refusé ?

A : Si j’ai refusé au début… mais tout le monde poussait pour que je le fasse.

N : Du coup tu l’as fait ?

A : Par la force des choses oui…

N : Et pourquoi elle a fait ça ?

A : Pour montrer à tout le monde que j’arrivais pas à bander…

N : Mais c’est dégueulasse !

A : Tu comprends maintenant…

N : Et… ils ont réagi comment les autres ?

A : Bah ils se sont foutus de ma gueule et…

Les larmes lui montent aux yeux. Un mélange de rage et de tristesse déforme les lignes harmonieuses de son visage. Il a du mal à déglutir et plus aucun mot ne sort de sa bouche. Je prends sa tête et je la serre contre mon cœur. Il se laisse aller. Sous l’effet de l’alcool, nous n’avons plus cette pudeur de nous prendre dans les bras pour se rassurer.

N : Ça va aller, prends ton temps…

Plusieurs minutes s’écoulent avant qu’il ne réussisse à retrouver la parole.

A : Ils m’ont fait subir… des choses.

N : Quels genres de choses ?

A : Des choses… humiliantes et dégoûtantes.

Je ne lui en demande pas plus. Je le laisse pleurer toutes les larmes de son corps dans mes bras. Je me refusais de croire en cette hypothèse à laquelle j’avais réfléchi en voyant ses pleurs. C’est pas possible, ça ne peut pas être ça… du moins c’est ce que je pensais.

J’enrage intérieurement. Des pulsions meurtrières me traversent l’esprit. La seule chose qui m’anime à l’heure actuelle, c’est de venger Aleksy. Le venger de tout ce qu’ils lui ont fait subir.

N : Ils vont payer pour tout ce qu’ils t’ont fait.

A : Nan… tu peux pas…

N : Pourquoi ?

A : Cassandra… elle a tout filmé…

J’y crois pas. Ils ont poussé le vice jusque-là. J’en suis écœuré. La colère redescend et laisse place au dégoût, au désespoir. Ces gens me répugnent. J’aimerais juste qu’ils crèvent tous.

A : J’ai essayé de me débattre, de les en empêcher. Mais ils m’ont frappé jusqu’à ce que je le fasse…

N : Il faut porter plainte Aleksy !

A : Nan… j’oserai jamais…

N : Mais Aleksy…

A : Non ! Personne d’autre que toi ne doit savoir… je t’en prie…

N : Je… d’accord, je te le promets.

Je comprends sa peur, sa honte. Ça doit le torturer tout le temps, chaque seconde qui passe doit être un supplice pour lui… Je ne le dirai à personne, mais j’essayerai de le convaincre de le faire lui-même, quand il sera prêt.

N : Quand tu dis qu’ils t’ont frappé…

A : Partout sur le corps… mais aucun coup au visage.

Evidemment, quelle bande de lâches.

N : Tu as encore mal ?

A : Oui… les bleus ne partent pas…

N : Tu peux me montrer ?

Aleksy hésite, mais il me fait confiance. Il enlève délicatement son t-shirt, et la vision que j’ai me repousse encore plus dans mes retranchements. D’énormes ecchymoses recouvrent son corps meurtri. De partout. Sur le corps, les jambes, les bras. Comment fait-il pour accumuler toutes ces souffrances qui s'abattent sur lui sans relâche ?

N : Je vais chercher de la pommade, ça va te soulager.

Je cours le plus vite possible à l’étage pour aller chercher le tube de pommade dans la salle de bains, non sans tituber. J’ai beaucoup de mal à déchiffrer les inscriptions sur les emballages. Où est-ce qu’il peut bien être ? Ibuprofène, Bi-profenid, Paracétamol, là Arnigel !

En redescendant, je suis pris d’une peur soudaine. J’espère qu’il n’est pas parti pendant mon absence ! Je me précipite dans les escaliers, je perds l’équilibre sur la dernière marche et je me prends la poignée de la porte en plein dans l’avant-bras. Putain, ça fait un mal de chien ! Mais je relativise vite, rien que le fait d’avoir pensé à ma douleur me couvre de honte.

En rentrant dans le studio, je suis soulagé de retrouver mon cher Aleksy attendant sagement sur le canapé. Il a l’air d’avoir calmé ses sanglots. Mais la tristesse ne quitte plus son visage désormais.

J’ouvre l’emballage, sort le tube et je verse du gel sur le bout de mes doigts.

N : Laisse, je vais te le faire.

Aleksy est assis sur le canapé et je suis accroupi juste devant lui. Je m’applique pour que mes mouvements soient les plus doux possibles, pour ne pas éveiller sa douleur. Je fais de petits ronds avec mes doigts pour que la pommade pénètre bien dans l’hématome. Peut-être que je passe trop de temps sur certaines plaies, répétant le mouvement encore et encore pour que la gelée s'incruste bien profondément dans son épiderme, mais c'est juste pour être sûr hein ! Le passage de mes doigts couverts de ce gel froid sur sa peau le fait tressaillir. Ses poils se dressent là où j’applique la pommade. Bientôt la totalité de son corps a la chair de poule.

Étonnament, je prends bien plus de plaisir que je ne le pensais à passer de la pommade sur son corps. Et lui non plus n’a pas l’air d'être dérangé par l'expérience. Il a fermé ses yeux et son visage a l’air plus apaisé. Nous profitons tous les deux de ces chastes caresses, dans un objectif purement médical bien entendu.

N : Ça va mieux ?

A : Oui je sens moins la douleur, merci Niels.

Ce « Niels » a sonné étrangement doux à mes oreilles. Je continue de m’appliquer sérieusement à ma tâche. Aleksy rouvre les yeux et remarque la blessure que je me suis faite en descendant. La contusion a rapidement gonflé, je ne me suis pas raté.

A : Tu t’es fait mal ?

N : Oui en descendant je me suis pris la poignée de la porte mais t’inquiète pas c’est rien.

A : Non attend, je vais te passer de la pommade aussi.

Sans m’en rendre compte, j’arrête mes mouvements et je scrute les moindres faits et gestes d’Aleksy. Je le vois prendre le tube, presser délicatement dessus pour en extraire le gel, et venir l’appliquer généreusement sur ma blessure. Ses mouvements sont très lents et appliqués.

L’histoire d’un instant, nos regards se croisent et ne se lâchent plus. Le temps s’arrête tout à coup. Je déglutis timidement et mes lèvres me semblent bien trop sèches. Mon esprit se vide entièrement, toutes mes préoccupations restent en suspens. Comme aimantés, nos visages se rapprochent contre notre gré.

Pris par surprise par l’ivresse, nos lèvres se rejoignent.

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