5. Vie quotidienne (v2)

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Il est midi et le soleil perce les nuées noires de grandes lames de lumière. Elles dorent la poussière de la lande et les pierres du pilier qui se dessine au loin. Une odeur de bouillon s'écoule dans le zeppelin. Le cellier du ballon recèle essentiellement des conserves, des bocaux et des aliments secs avec lesquels j’ai commencé à prendre l’habitude de cuisiner.

La présence de notre invitée a diffusé un parfum étrange dans mon existence jusque-là bien solitaire. A ma différence, Sagate semble plutôt bien s’en accommoder, à moins que ce ne soit son flegme congénital qui en crée l’illusion. Il va et vient comme à son habitude, cherchant parfois les caresses ou bien les dédaignant. La jeune femme m’a paru l’éviter au début ; peut-être en souvenir de son premier réveil à bord. Mais rapidement, elle a pris plaisir à le porter sur ses genoux et à passer ses mains dans l’épais pelage gris du félin.

Le zeppelin quant à lui avance à bonne vitesse en direction de Babel, prenant peu à peu ses distances avec l’Effondrement. Il nous faudra une bonne journée pour atteindre le pilier.

J’espère ne pas avoir à y rester trop longtemps. Depuis que j’ai fui la guerre qui ravage le Vieux Monde, j’ai voyagé en continu, sans poser le pied à terre. J’appréhende ma première rencontre avec les gens de l’Ailleurs. Je n’en ai jamais vu, en dehors des rares descendants des familles qui ont immigré dans nos pays avant la construction de la Muraille.

Derrière moi, j’entends notre invitée entrer dans la cuisine. Sagate vient se blottir contre mes chevilles avec un ronronnement intéressé, tandis que la jeune femme installe la table et les couverts. Un silence s'installe entrecoupé de bruits de vaisselle.

Un parfum de savon se mêle aux odeurs de nourriture quand notre invitée passe près de moi. Je lui esquisse quelques regards, remarquant qu'elle a remplacé sa robe abimée par des vêtements que je lui ai trouvés dans le zeppelin. Ils lui donnent un style un peu absurde.

« Ce sera bientôt prêt. Tu veux bien donner ce bol à Sagate ? » demandé-je en désignant du menton un bol de viande réhydratée, posé sur le plan de travail. Un bruit de faïence se pose sur le sol et le chat quitte immédiatement mes pieds pour accourir vers elle. Belle marque d’affection !

Nous nous asseyons autour d’un repas simple : des pâtes au bouillon, agrémentées de quelques légumes. Nous échangeons quelques mots autour de nos assiettes. Je lui pose quelques questions qui me taraudent : d'où vient-elle ? que faisait-elle sur la lande stérile et sous les nuées de l'orage ? quel est son nom ? Mais ses réponses sont évasives, suffisamment pour que je n’insiste pas. Elle parle peu et mes jours de solitude ne m’ont pas rendu tellement plus loquace. Nos quelques mots s'entrecoupent de silence et de regards gênés.

***

Après le repas, je prends note des mesures effectuées par les appareils du zeppelin. Derrière nous, l'Effondrement a certainement arraché une bonne part des terres de la région pour les enlever dans le Vide. L'air s'y engouffre progressivement, créant ce vent contre lequel nous avancons et qui fait vrombir les moteurs du zeppelin.

Debout contre une des grandes baies vitrées de la salle de commande, la femme de la lande contemple le paysage gris qui s’étend aux pieds de Babel. Ses cheveux de jais ondulent sur la houle des vents, voilant par moments ses grands yeux d'ambre. Elle regarde au sol des points minuscules se déplaçant dans l'ombre titanesque de la tour et je remarque que ses sourcils se froncent.

« Des réfugiés, dis-je. L’Effondrement a détruit de grandes régions en les avalant dans le Vide et les terres qui ont survécu sont de moins en moins fertiles. Les gens sont contraints de les quitter pour survivre. A leurs yeux, Babel doit être une destination salutaire. »

Elle me répond d’un simple hochement de tête. Après tout, elle sait peut-être déjà tout cela.

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