20.    L’Affrontement - Partie 1

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Quand Dorian réapparut dans le palais, la mélancolie le submergeait. Il souhaitait annoncer son choix à Firiel avant qu’elle ne l’apprenne d’elle-même. L’elfe devait être furieuse qu’il ait monnayé son âme contre le plus terrible des adversaires. Il sentait bien à présent, une certaine hostilité dans les regards de ceux qu’il croisait. Aussi lorsqu’un page vint le trouver pour lui dire que quelqu’un voulait le voir, la curiosité l’emporta sur le spleen. Il suivit le domestique jusqu’à une chambre à l’écart. Quand il entra, la lumière qui emplissait la pièce l’impressionna mais le soleil qui perçait à travers les vitres n’était rien, comparé au sourire qu’elle affichait. Lucinda était allongée là, elle avait les traits tirés mais semblait véritablement ravie que le jeune mage soit présent.

  • Dorian, jubila-t-elle. Viens me voir.

Le mage combla les derniers mètres qui les séparaient, Lucinda sauta, soudain, à son cou en le serrant contre son cœur et en le remerciant des milliers de fois. Il est fou de voir comment Dorian pouvait se sentir mal à l’aise quand on le félicitait ainsi. Il se défit de l’étreinte et déclara d’une voix douce et triste :

  • Je n’ai rien fait.
  • Tu rigoles, répliqua la jeune femme, tu es comme un ange. Dès que je perds tout espoir, tu apparais et tu renverses la situation. Quand Elminster m’a dit qu’Andromède était resté là-bas, je savais qu’il mourrait et tu me l’as ramené.

Bien qu’elle pleurait, aucune trace de peine ne transparaissait dans ses larmes. Dorian se fit de nouveau plus amer :

  • Tu n’as pas à me remercier, c’est moi qui ai libéré Valérian.
  • Oui, renchérit la druidesse sans aucun reproche, et c’est pour moi le geste le plus noble et le plus louable que tu aies pu faire.

Dorian n’était pas certain d’avoir bien entendu Lucinda le féliciter pour cet odieux choix. Il recula avec méfiance quand cette dernière poursuivit :

  • C’est l’une des plus belles preuves d’amour que tu pouvais lui offrir. Tu lui as clairement dit : je ne crains pas mes ennemis, même les plus terribles, tant que tu es à mes côtés.

La phrase de la jeune femme le laissa sans voix, elle résumait en quelques mots ce qu’il avait ressenti ce jour-là. Pour la première fois depuis qu’il avait recroisé son père, Dorian s’autorisa un sourire. Lucinda venait en quelques secondes, de le libérer de ses doutes. Il embrassa la future mère sur le front et quitta la chambre. Au passage, il ordonna qu’on triple la garde de l’héritier et disparut à nouveau dans son royaume.

***

Quand Elminster vit s’avancer l’armée de Drake, il comprit que Dorian avait eu raison de douter. Il devina également que les pauvres attaques qu’ils avaient essuyées ces dernières années n’étaient que des amusements pour leur ennemi. Du haut des remparts du palais, il observait les milliers de déviants qui gangrénaient peu à peu les terres elfiques. Le soleil se couchait doucement à l’Ouest, laissant présager l’arrivée en soutien de créatures plus sombres. Le seul maigre espoir qu’il restait était l’étoile qui venait de s’allumer au Sud et qui brillait de mille feux. L’héritier naitrait cette terrible nuit, il ne vivrait que quelques heures et Drake dominerait ce monde. Le vieux mage projeta ses sens vers les elfes, l’aura de Dorian n’était visible nulle part. Il devait se terrer comme un lâche dans son royaume.

  • L’avez-vous ressenti ? demanda une voix légèrement angoissée.

Elminster se tourna vers Firiel qui le dévisageait dans l’espoir d’obtenir une réponse positive. Le vieux mage ferma les yeux et fit non de la tête.

  • Il n’a même pas eu le courage de vous annoncer qu’il ne viendrait pas.

Un voile de tristesse passa dans le regard de l’elfe qui se détourna et déclara d’une voix morne :

  • Je dois aller faire le point avec Calion.

Et elle partit sans rien ajouter qu’une aura de découragement dans l’atmosphère. Elminster se tourna alors vers ses troupes. Une poignée de jeunes mages inexpérimentés et terrifiés par l’idée du combat.

  • Messieurs, déclara-t-il d’une voix qui se voulait ferme, nous devons tenir, soutenir les fantassins en contrebas. L’ennemi ne doit pas pénétrer ces murs. Cette nuit, nous nous battons pour la liberté, pour ce royaume et pour l’espoir qui va naître.

Mais il voyait bien que dans le cœur de ses recrues, il y avait une profonde angoisse. Elle se transforma en pure panique quand un cor ennemi sonna au loin. Elminster leva alors les yeux vers les étoiles. Ce serait une belle nuit pour mourir.

***

L’enfant était né rapidement, sans aucun souci. Céleste avait exigé qu’il soit immédiatement placé sous protection, aussi le soldat avait laissé Lucinda se reposer tandis qu’il amenait le nourrisson dans un lieu sûr. Il fut surpris, au détour d’un couloir, de croiser Dorian.

  • Monseigneur, s’étonna le garde, vous n’êtes pas à la bataille ?
  • L’enfant doit être mis en lieu sûr, déclara le mage en tendant le bras, confiez-le-moi.
  • Mais la Reine a dit que…
  • La Reine ne peut cacher cet enfant que dans un plan terrestre, il peut être trouvé, pas là où je compte l’amener.

Le garde hésita mais Dorian le pressa. Il confia alors l’enfant au mage qui se fendit d’un étrange sourire triomphant.

***

Elminster se battait avec toute la force du désespoir. Il savait que la fin était proche. Les troupes en contrebas peinaient à repousser les hordes de démons, ses recrues ne tenaient pas la cadence des sorts qu’il imposait. Certains avaient même déjà baissé les bras et la concentration n’était plus. Un cor retentit au loin et le vieux mage sentit les dernières onces de vaillance le quitter. Deux horribles dragons venaient d’apparaître. Valérian chevauchait le premier détaillant la foule des guerriers à la recherche de son ancien ami. Drake montait le second, se délectant de sa victoire prochaine. Une voix profonde et puissante s’éleva soudain. Elle était propulsée incroyablement et parvint à couvrir la rumeur du combat.

  • Pour vous, Maître.

Elminster se retourna vers l’endroit d’où provenait cette voix et son sang se glaça dans ses veines. Dorian était là, c’était lui qui venait de parler. Il était monté sur la tour de guet et maintenait à bout de bras un nourrisson qu’il était aisé d’identifier. La guerre était perdue, Dorian allait le précipiter du haut de son promontoire et tout espoir de paix serait anéanti. Elminster voulut intervenir mais tout se passa en un éclair. Une ombre se matérialisa juste derrière le mage et, d’un violent coup de pied le fit basculer dans le vide, lui, et l’enfant qu’il tenait dans ses bras.

***

Le doppelganger jubilait, il avait été tellement facile de trouver l’héritier ; si aisé de monter à la tour de guet. Il tenait l’enfant dans ses mains, prêt à le faire tomber dans le vide. Il savourait sa victoire et la future satisfaction de son maître.

  • Pour vous, Maître, hurla-t-il avec jubilation.

Un horrible rictus de victoire déformait ses traits. Ça y était, il allait enfin prouver qu’il était digne de la confiance de Drake. Il s’apprêtait à lâcher le nourrisson quand soudain, il sentit une présence derrière lui. Il n’eut pas le temps de se retourner, son adversaire venait de s’identifier en lui murmurant :

  • Je t’avais prévenu que je te tuerais si tu ne quittais pas ce royaume.

Et avant que le doppelganger ait pu faire le moindre mouvement, Dorian le fit basculer dans le vide par un violent coup de pied dans le dos. Il retira d’un geste le manteau qui cachait ses traits, se pencha de la tour et projeta sa psyché pour emmener l’enfant dans son royaume puis leva les mains au ciel. Une gigantesque déflagration magique inonda le champ de bataille de lumière. Les déviants réfractaires furent en un instant pulvérisés. Ayant eu l’attention qu’il souhaitait de la part de ses ennemis, il quitta son promontoire et se matérialisa aux côtés d’Elminster.

  • Vous m’attendiez, déclara-t-il d’une voix amusée.
  • Tu es en retard, bougonna le vieil homme.
  • Je pensais qu’un mage était toujours à l’heure.

Il pointa soudain du doigt l’Est et le vieil homme écarquilla les yeux d’émerveillement en voyant s’avancer les troupes de l’Ordre.

  • Et ce n’est pas tout, renchérit avec amusement le mage.

Il pointa le doigt vers l’Ouest et l’armée elfique menée par la Reine Galadrielle apparut. Les troupes de Drake étaient à présent contenues. Ils avaient devant eux la forteresse qu’ils assiégeaient mais il leur fallait protéger leurs flancs de ces nouveaux ennemis.

  • Rassuré quant à mon camp ? demanda alors le jeune homme avec une pointe de défi dans la voix.

Il inclina la tête pour saluer le vieux mage et disparut soudain pour rejoindre sa belle.


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