1. Le Fils Moribond - Partie 1

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La nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures, un violent orage éclairait par intermittence les fenêtres de la maison. Un homme marchait inlassablement dans le couloir. Il était grand, bien bâti : la carrure de quelqu'un qui entretient régulièrement son corps. De longs cheveux couleur corbeau cascadaient sur ses épaules et deux yeux d'un bleu tirant sur le gris jetaient des regards inquiets vers la porte close.

  • Calme-toi, murmura soudain une douce voix féminine.
  • Comment veux-tu que je me calme ? tonna l'homme.

Une adorable touffe de poils apparut alors d'un repli de son manteau. C'était une petite hermine blanche avec une tache noire sur le museau ainsi que sur le bout de la queue. L'animal vint caresser sa tête sur le cou de son propriétaire. Un cri de souffrance déchira la nuit. Il fut immédiatement suivi par les pleurs d'un enfant. Le visage de l'homme s'éclaira alors, ça y est, il avait tant attendu, il était enfin père. Ce serait un fils, perpétuant sa lignée, le doute n'était pas permis. La porte s'ouvrit doucement sur une jeune femme aux traits tirés :

  • Monseigneur Valérian, déclara-t-elle d'une voix fatiguée. Vous êtes papa d'une adorable petite fille.

Le visage de Valérian se crispa un instant puis afficha un sourire composé.

  • C'est merveilleux, mentit-il.

La sage-femme fut soudain appelée par le médecin, il y avait une alarme dans la voix du praticien. La porte se referma rapidement sans plus de détails. Il se passait quelque chose, quelque chose de grave, Valérian le savait, il le sentait dans son cœur. La petite voix féminine s'éleva à nouveau :

  • Valérian, ne t'inquiète pas, tout se passera bien, le rassurait-elle.

La porte de la chambre s'ouvrit et un médecin d'un certain âge apparut, le visage fermé. La blouse qui le protégeait était couverte de sang.

  • Valérian, commença le docteur, vous êtes papa, félicitations. Votre épouse se repose, il est vrai que donner naissance à des jumeaux n'est pas facile.
  • Des jumeaux, s'étonna Valérian, c'est... inattendu.

Aucun autre mot ne lui vint à l'esprit.

  • Ne vous emballez pas, reprit le médecin. La petite fille qui est née est en parfaite santé par contre, son frère n'a pas sa chance.

Le cœur de Valérian oscilla alors entre la joie d'avoir un fils et la peur de ce que le médecin allait lui annoncer.

  • Il n'est pas viable, avoua-t-il, je ne suis pas certain qu'il passera la nuit. Je suis désolé.

On lisait une peine sincère dans les yeux du médecin, il aurait bien voulu que ce moment de joie ne soit pas entaché par un futur décès.

  • Je... je peux les voir ? demanda Valérian.

Le médecin acquiesça silencieusement et laissa passer le jeune père. Il s'approcha du lit de son épouse. Elle sommeillait paisiblement à présent. Il l'embrassa délicatement sur le front et s'avança vers le berceau qui avait été disposé au milieu de la pièce. Deux petits êtres étaient là. Le premier, vigoureux, dormait à poings fermés, le second, chétif et visiblement mourant peinait à respirer. Valérian demanda l'autorisation avant de prendre son enfant dans ses bras et de s'installer sur un fauteuil placé devant la fenêtre. Le médecin et son assistante s'effacèrent pour laisser le jeune père profiter des quelques heures qu'il pourrait passer avec son garçon. Valérian sentit ses larmes monter. Il avait tellement souhaité avoir un fils, pouvoir continuer sa lignée. La petite hermine descendit de sa cachette pour se jucher sur l'accoudoir.

  • Je l'aurais appelé Dorian, je lui aurais tout appris. Je...

Un sanglot s'étouffa dans sa gorge.

  • Je comprends, Valérian, répondit la petite boule de poils.

L'homme scruta alors les tréfonds de la chambre pour vérifier qu'il était bien seul. Il tendit l'oreille pour s'assurer que son épouse dormait profondément.

  • Il doit vivre, déclara-t-il soudainement.

Il posa une main sur le petit corps mourant, l'hermine tenta de le retenir :

  • Non, Valérian, tu ne peux pas.

L'homme posa alors un regard d'acier sur son familier :

  • Ma douce Syphilis, qui le saura ?

Déclarant forfait, la créature, qui avait hérité de cet étrange prénom suite à la perte d'un pari, se retourna, et partit voir comment la petite fille dormait. Valérian se focalisa sur les organes les plus faibles du corps du nourrisson. Il savait qu'il ne devait pas, il était interdit pour un mage, qui plus est, un mage de la Tour Blanche de bouleverser le cycle de la vie. Cet enfant était condamné à mourir, pas à vivre. Il ferma les yeux pour se concentrer davantage et laissa son pouvoir affluer dans ses mains. Une lumière bleuâtre entoura alors le nouveau-né qui reprit immédiatement des couleurs plus vives. Quand il eut terminé, Valérian serra le petit être dans ses bras et lui embrassa le front en lui murmurant :

  • Tu vivras mon fils, tu vivras.

***

Jamais, de toute sa carrière de médecin, il ne s'était trompé de la sorte. Aussi se confondit-il en excuses, quand, au petit matin, il constata que le fils de Valérian avait passé la nuit. Qui plus est, qu'il se raccrochait à la vie avec tant de détermination ! Le nourrisson respirait mieux, il n'avait plus le teint bleu gris qu'il affichait lors de sa venue au monde. Il l'ausculta beaucoup plus longtemps que sa petite sœur pour s'assurer que l'enfant était en bonne santé.

  • C'est une force de la nature, comme son père, déclara la mère.

Valérian se retourna vers Sarah, il perçut un amour incommensurable dans ses yeux. Il se pencha sur le lit de son épouse et l'embrassa chaudement. Un homme entra soudain dans la chambre. Il se tenait enroulé dans un long manteau rouge qui mettait en valeur ses mèches blanches et sa barbe vénérable.

  • On dirait que j'arrive au mauvais moment, ricana-t-il.

Valérian se désintéressa de son épouse pour s'avancer vers l'homme.

  • Tu es pile à l'heure, comme à ton habitude.

Il lui prit la main et l'étreignit comme un frère. Puis il l'entraina vers le berceau.

  • Viens, que je te présente mes merveilles.
  • Il y en a déjà une que je dois saluer, s'amusa le vieil homme en sortant de nulle part un énorme bouquet de fleurs qu'il tendit à Sarah.

Cette dernière fondit dans un charmant sourire :

  • Oh, Elminster, il ne fallait pas.

La jeune femme héla une bonne afin que l'on s'occupe de son cadeau. Le médecin assura au père que ses enfants étaient en parfaite santé et s'éclipsa également. Profitant de ce remue-ménage, les deux mages s'éloignèrent de la chambre.

  • Des nouvelles de la Tour, demanda Valérian ?

Le visage enjoué d'Elminster fit alors place à une mine grave :

  • Je pars pour les contrées lointaines du Sud ce matin, ils veulent prêcher la bonne parole et former plus d'enfants.
  • Ils montent une armée ! s'étonna Valérian.
  • C'est également ce que je me dis, mon ami. Je pense que les Mages de la Tour Blanche craignent une cohésion elfique. Des rumeurs courent comme quoi une elfe serait parvenu à fédérer certains clans.
  • Et les démons ?
  • Ils continuent à observer, mais ils passeront à l'attaque un jour ou l'autre.
  • Des jours sombres s'annoncent, déclara sobrement Valérian.
  • Je le pense également.

Le regard d'Elminster se posa alors sur les deux enfants qui les observaient. Soudain, une petite chouette fit son apparition, sortant des replis du manteau rouge du vieil homme. Valérian la caressa pour la saluer, récoltant des feulements de jalousie de la part de son familier puis il présenta ses deux merveilles :

  • Voici Thérésa.

Elminster l'observa avec un grand sourire :

  • Elle a les yeux de sa maman, déclara-t-il.

Deux prunelles émeraude fixaient le monde avec curiosité.

  • Et voici Dorian.

Le visage du vieil homme se ferma soudain.

  • Je ne t'apprends rien mon ami : l'aura qui se dégage de ton fils est puissante, il fera de grandes choses.

Valérian secoua la tête en signe de négation :

  • Je veux l'éloigner au maximum de la Tour Blanche pour le moment. Tant que je ne sais pas où nos frères vont, mon fils ne sera pas leur soldat.
  • Tu ne pourras pas le leur cacher bien longtemps, Valérian.
  • Je leur cacherai le temps qu'il faudra.

Même s'il n'adhérait pas à ce choix, Elminster acquiesça. Un lourd silence s'installa entre les deux hommes. Valérian le rompit en demandant :

  • Tu restes pour déjeuner ?

Elminster refusa poliment, il devait partir. Il félicita à nouveau le jeune père pour ses merveilles et prit congé de la petite famille. Valérian resta devant le berceau à observer ses enfants quand une voix douce s'éleva derrière lui :

  • Promets-moi que tu ne me voleras pas mon fils ?

L'enchanteur se retourna vivement vers son épouse, Sarah le dévisageait, une immense inquiétude se lisait sur ses traits quand elle reprit :

  • Je sais que la Tour Blanche assurera à Dorian un avenir brillant et qu’il deviendra un mage aussi puissant et respecté que tu l’es mais je t’en prie, je ne veux pas être séparée de mon fils. Je ne veux pas qu’il passe son enfance dans les livres à apprendre la rigueur de vos lois. Ceux qui entrent dans cette Tour n’en ressortent qu’adultes. S’il te plaît, ne les laisse pas me prendre mon fils.

Sarah avait les larmes aux yeux, Valérian la réconforta d'un sourire tout en la prenant dans ses bras.

  • Sarah, ma douce Sarah, quand le moment sera venu, nous choisirons ce qui est mieux pour notre enfant. Pour lors, il est hors de question qu'il parte pour la Tour Blanche. Rassure-toi.

Son regard se posa sur l'enfant, peut-être cette aura qu'il dégageait, venait du sortilège pour le faire revenir à la vie. Valérian l'espérait, il le souhaitait mais si ce n'était pas le cas, il faudrait se préparer à tourner le dos à ses frères et à répudier la Tour Blanche.

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