Les Marchands de sable

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Six heures du matin et déjà réveillé. S'il est possible de se réveiller d'une insomnie. Les persiennes filtraient déjà le soleil, et la chaleur envahissait l'appartement. Jean se servit un verre d'eau, la bouche encore pâteuse, et prit la plaquette de Prozac avant de se raviser. Juste une habitude. Jean aimait les habitudes. Mais pas besoin des gélules vertes et blanches, aujourd'hui. Plus jamais besoin. Le calendrier cloué au mur se chargeait de le lui rappeler : une belle croix rouge sur le 25 juillet. Pas spécialement un beau jour pour mourir, mais c'est celui que Jean avait choisi.

C'est fou comme le temps paraît long, quand on n'a rien à se dire. En train de touiller son café, le nez dans la tasse, Alex ne trouva rien d'autre à faire que de s'excuser.

« Désolé, je n'ai pas beaucoup de conversation. Je n'ai jamais beaucoup fait ça.

  • C'est pas grave, ce n'est pas tellement mon truc non plus, dit-elle en haussant les épaules. Je sortais avec Tommy depuis le lycée, alors je n'ai pas eu de rencard depuis un bail.
  • En fait, je... »

Il hésitait à le dire. Ses quelques autres rendez-vous avaient tourné court peu de temps après l'avoir balancé, mais il ne voyait pas comment cacher ça. Elle finirait par s'en rendre compte, de toute façon, et valait mieux que les choses soient claires dès le début. Du moins, c'est ce qu'il pensait.

« Oui, qu'est-ce qu'il y a ?

  • Je n'ai pas beaucoup de conversation, parce que je suis un suicidé, finit-il par lâcher.
  • Oh ! »

Mélodie. C'était joli, comme prénom. Et elle aussi, elle était jolie. Mais plutôt que de l'observer, Alex préférait garder le nez dans sa tasse, et voir le tourbillon creusé par les mouvements de sa cuillère. Un tourbillon lent et noir, sans doute comme la vie de l'autre avant lui.

« Pourquoi ?

  • Hein ? fit-il en relevant la tête.
  • Non, rien, c'est stupide.
  • Si, dis-moi, insista-t-il.
  • C'est idiot, vraiment. Je voulais savoir pourquoi tu l'as fait. »

Alex sourit.

« Non, c'est loin d'être stupide. Moi aussi, je me le demande.

  • J'imagine, ça doit être déroutant.
  • Non, c'est bien plus que ça. »

Il acquiesça, comme pour affirmer ses propos, puis porta le café à ses lèvres. Mélodie l'imita, soulevant la tasse chaude du bout des doigts.

« J'adore cet endroit, reprit Alex. C'est le premier où je suis allé, juste après le suicide. Je me suis installé à cette table, j'ai commandé un café, et puis j'ai regardé la rue à travers la baie vitrée. C'est le premier souvenir que j'ai de ma nouvelle vie. La chambre de réveil et l'entretien mis à part.

  • Alors tu ne te souviens de rien ? »

Il hocha de nouveau la tête.

« Enfin, non, ça ne marche pas vraiment comme ça. C'est comme si je me souvenais de tout, mais sans savoir qui je suis. Ou plutôt qui j'étais. Par exemple, je sais que la France a gagné la coupe du monde en 98, que la femelle coucou pond ses œufs dans le nid d'autres oiseaux. Je connais Star Wars et Le Seigneur des anneaux, je connais par cœur les paroles de All Along the Watchtower. Je me souviens de tas de films et de chansons, mais je ne me souviens pas les avoir regardés ou écoutées.

  • Oui, je me souviens maintenant. J'ai vu un reportage un jour, où ils expliquaient qu'on perdait tous les souvenirs personnels, mais rien de la connaissance du monde. Cela évite d'être complètement perdu.
  • Ce n'est pas exactement l'impression que j'ai eue, dit Alex en riant. C'est vrai que les choses auraient pu être pires, mais j'étais paumé. Je ne savais même plus qui j'étais. Et je ne le sais toujours pas.
  • Ça doit être difficile de ne rien savoir de soi, à part qu'on s'est suicidé.
  • Oui, et je me suis senti mal pendant quelque temps. Je n'arrêtais pas de me demander pourquoi je l'avais fait. Comment était ma vie, comment j'avais pu en arriver là.
  • Je crois que j’essaierais de savoir, songea Mélodie.
  • Oui, et j'ai essayé. Même si les médecins insistent bien sur le fait qu'il ne faut pas chercher. D'ailleurs, ils ont tout un processus en amont de l'intervention, de façon à ce que ce soit quasiment impossible de retrouver sa précédente identité. Même s'ils disent « quasiment » juste pour se couvrir. Je ne m'appelle même pas Alex. C'est moi qui ai choisi ce nom, après la renaissance. Je ne suis pas non plus de cette ville, et l'appartement où j'habite a été acheté par leur intermédiaire. Ils ont changé tout ce qui permettait de me distinguer : empruntes digitales, visage, forme des iris, des oreilles. Ils ont même re-séquencé mon A.D.N. Et pour les gens que je connais, ils encourent des poursuites judiciaires s'ils viennent à trahir le secret, où ne serait-ce que chercher à me retrouver. Mais les personnes de l'agence m'ont expliqué que de toute façon ils ne me reconnaîtraient pas. Ils vont jusqu'à supprimer les accents, pour ne pas identifier de quelle région on vient.
  • Une toute nouvelle personne, conclut Mélodie. Mais je suppose que c'était le but, pas vrai ?
  • Manifestement. »

La serveuse du café les interrompit, le temps de débarrasser les tasses désormais vides. Elle demanda s'ils désiraient autre chose, et Mélodie commanda une glace. Alex prit un autre café, et réalisa que son rendez-vous était toujours là. Pas de fuite, cette fois.

« Est-ce que je peux te poser une question ? demanda-t-il en touillant son nouveau café.

  • Oui, bien sûr. Je t'en ai posé beaucoup sans demander ta permission, après tout.
  • Mais je suis content que tu l'aies fait. Beaucoup de gens sont mal à l'aise, quand ils apprennent que je suis un suicidé. »

Il marqua un temps d'arrêt, puis demanda :

« Est-ce que tu as déjà fait appel à MémoTech ? Il y a peu de gens qui vont jusqu'au suicide, mais je sais que c'est très courant d'y aller pour effacer certains souvenirs gênants ou traumatisants.

  • Non, pas que je sache, répondit-elle. Mais quand j'étais petite, une amie de l'école avait subi une intervention, sans même le savoir. J'ai même songé à le faire pour mon fils, quand son chien est mort. Pour lui éviter d'avoir de la peine. Je connais beaucoup de personnes qui font ça. Je comprends ceux qui ont recours à MémoTech. Tout le monde encaisse les épreuves différemment, et je suppose que certains ne peuvent pas les supporter.
  • Oui, je suppose que tu as raison », lui accorda Alex.

Mélodie mangea un morceau de glace, fronça les sourcils à cause du froid, puis demanda :

« Je peux encore te poser une question ?

  • Bien sûr, vas-y.
  • Tu as dis que tu avais cherché à savoir, les premiers mois. Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
  • Je n'ai pas eu vraiment le choix, à vrai dire. Je ne trouvais rien, alors j'ai juste décidé de commencer une nouvelle vie. La personne d'avant a eu recours à Mémotech pour effacer tous ses souvenirs. Pour se suicider. Cette personne n'existe plus, mais moi si. Alors je me suis dit qu'au lieu d'essayer de savoir qui elle était, je devais essayer de savoir qui je suis. Donc c'est ce que je fais, je vis ma vie. Je me forge mes propres souvenirs, pour devenir quelqu'un. C'est l'autre qui est un suicidé. Moi, je suis un nouveau-né.
  • Oui, c'est ce que je pense aussi, lui dit-elle en souriant. Je ne sais pas pourquoi cette personne a décidé de se suicider, mais je suis contente qu'elle l'ait fait. Autrement, on ne se serait pas rencontrés, pas vrai ? C'est horrible de dire ça...
  • Non, probablement pas. Je sais bien qu'il ne faut pas se réjouir de la mort d'un autre, mais vu les circonstances, je pense que ça ne pose pas de problèmes. »

Ils discutèrent encore, un long moment, jusqu'à ce que la montre d'Alex pointe à quinze heures. Ce rendez-vous s'achevait, et un autre l'attendait. Mélodie accepta qu'il la raccompagne jusqu'à chez elle. Ce n'était pas très loin, à peine dix minutes à pieds. Il voulut lui attraper la main, la tenir comme dans les films romantiques, mais décida de ne pas le faire. Pas maintenant. Pas encore. Le rencard n'alla pas plus loin que le pas de la porte et un baiser sur la joue.

« Maintenant, au travail », dit-il tout haut en remontant vers le café.

Et comme il marchait, Alex fouilla la poche intérieure droite de sa veste, avant de se rappeler qu'il avait mis son téléphone dans celle de gauche. Trois sonneries plus tard, on lui répondait :

« Dubreuil, fit la voix à l'autre bout du fil, aussi douce qu'un coup de papier ponce.

  • C'est Alex. Tu peux passer me chercher ?
  • Faudrait que tu songes à t'acheter une bagnole, un jour.
  • Quand j'aurais le temps de passer le permis, répondit-il en fourrant une cigarette dans sa bouche.
  • Si ça se trouve tu l'as déjà ton permis.
  • Si je l'avais eu, j'aurais sans doute le papier qui va avec. Je tiens pas à me faire gauler à conduire sans.
  • Quel citoyen modèle, répliqua Dubreuil en étouffant un rire. »

Un groupe de jeunes passa à côté d'Alex, tous la clope au bec.

« Excusez-moi les gars, vous auriez du feu ?

  • Hein ? Qu'est-ce que tu me chantes ?
  • C'est pas à toi que je parle, dit-il en attrapant le briquet qu'on lui tendait. Merci, bonne journée les gars. »

Et il inhala une bouffée de fumée.

« Alors, tu peux passer me chercher ou pas ?

  • Ouais, ouais, t'es où ?
  • Viens à la Bodega, je suis tout près.
  • Mike, on passe prendre Alex à la Bodega.
  • Il fait chier Alex, dit une voix lointaine, de l'autre côté du téléphone. Quand est-ce qu'il s'achète une bagnole ?
  • C'est bon, annonça Dubreuil. On est là dans cinq minutes.
  • Ça marche, je vous attends. »

Les aiguilles filaient sur l'horloge, incapables de s'arrêter. Jean les regardait depuis ce matin, affalé dans le fauteuil à descendre des bières. Son médecin lui avait déconseillé l'alcool, mais ça n'avait plus d'importance. Plus grand chose n'en avait, depuis quelque temps. Pas même les oiseaux. Jean adorait les oiseaux. Des centaines de photos ornaient le mur du salon. Il détacha ses yeux de l'horloge pour admirer sa préférée : Cyanistes Caeruleus. La mésange bleue. Pour celui-là, Jean n'avait pas besoin de retourner la photo pour se souvenir du nom.

« Tu te rappelles ? demanda-t-il à voix haute. Tu étais assise sur un banc, et elle était posée juste à côté de toi, sur le dossier, et je t'ai demandé de ne pas bouger pour pouvoir la prendre. C'est grâce à elle qu'on s'est rencontrés. C'est sans doute pour ça qu'elle a toujours été ma préférée. Elle est morte depuis longtemps, maintenant, mais quand je la regarde, j'ai l'impression de l'entendre chanter.

Je me demande si elle est avec toi. Probablement. S'il est des créatures qui ont leur place au paradis, ce sont bien les oiseaux. Dieu nous a fait à son image, mais il les a faits au plus près de lui. Sans doute pour les entendre. Je suis sûr qu'elle chante pour toi, maintenant. Mais je viens te rejoindre, très bientôt. Je veux te rejoindre avant d'oublier ton nom, de ne plus pouvoir te retrouver une fois là-haut. Avant d'oublier le nom des oiseaux, la façon dont ils chantent. Je veux partir, tant que je reconnais le visage de notre fille. »

Bientôt l'heure. Jean posa la bière sur la table, à moitié pleine. C'est la façon dont il avait toujours vu les choses : à moitié pleines, plutôt qu'à moitié vides. Mais ce n'était pas facile, ces derniers temps. Depuis que la maladie rongeait ses souvenirs. Difficile de ne pas se sentir vide, alors qu'elle lui prenait ce qu'il avait de plus cher. Pas facile, de se sentir à moitié plein, quand on commence à oublier.

Les souvenirs s'en allaient et revenaient, comme le flux et le reflux de l'océan. Les photos de sa vie avaient progressivement rejoint celles des oiseaux, jusqu'à tapisser complètement les murs de l'appartement. Son mariage, la naissance de sa fille, les noëls et les anniversaires. Elles aidaient à se rappeler, mais n'empêchaient pas d'oublier. C'est ce que devenait sa vie : une mosaïque de photographies sur des murs.

Jean ne voulait pas devenir quelqu'un d'autre, un étranger qui regarde l'album d'un inconnu. Il voulait mourir comme il avait vécu : en étant lui-même.

« Je viens te rejoindre », dit-il alors qu'on frappait à la porte, pour se convaincre que le paradis lui ouvrirait les siennes.

Ce n'était pas vraiment un suicide, quand on y réfléchissait.

« Bonjour, Monsieur Poncelle. Je m'appelle Alex, le salua l'homme qui se trouvait sur le seuil. Ne perdons pas de temps, suivez-moi je vous prie. Nous allons vous conduire dans un endroit plus... discret.

  • Oui, bien sûr. Après vous. »

Deux tours de clés, et il descendit les escaliers dans les pas d'Alex. Ce n'est pas comme ça que Jean l'avait imaginé, mais ça lui allait plutôt bien. En fin de compte, il semblait très correct, ce garçon. Malheureusement pour lui, les deux autres dans la voiture correspondaient exactement au stéréotype qu'il s'était fait. Des têtes de voyous. Surtout celui au volant. Et l'homme à côté de lui, à l’arrière, le mettait mal à l'aise. Grand et costaud, droit comme un chien de garde.

« Vous inquiétez pas M'sieur, ça va bien se passer, dit le chauffeur. On est des pros, vous en faites pas. »

Mais dit de cette façon, Jean ne pouvait pas faire autrement que de s'inquiéter. La voiture sinua vers la sortie de la ville, puis le chauffeur prit la nationale. Une dizaine de kilomètres plus loin, ils s'arrêtèrent devant un entrepôt abandonné.

« On est arrivés, lança le chauffeur. Tout le monde descend. Ça va aller, vous allez voir. »

À l'intérieur, il n'y avait qu'une table couverte d'ustensiles que Jean préférait ne pas regarder, et un tabouret qui n'était manifestement pas prévu pour s'asseoir.

« Vous angoissez pas, M'sieur, je vous ai dit qu'on était des pros, dit encore le chauffeur. Ça va bien se passer. »

Mais plus il le disait, plus Jean se persuadait du contraire. Tellement, qu'il sursauta lorsque la porte du hangar claqua derrière-lui, lâchant ses échos dans la grande salle. Le grand costaud resta planté devant. Un vrai chien de garde, Jean avait vu juste.

« Bien, Monsieur Poncelle. Avant de commencer, nous devons régler quelques petites choses. D'abord, concernant le destinataire du paiement. Vous m'avez expliqué que vous faisiez ça pour que votre fille reçoive de l'argent, mais vous désiriez qu'il soit viré sur votre compte personnel. C'est toujours ce que vous voulez ?

  • Oui, sur mon compte personnel, confirma Jean.
  • Bien. Mais vous savez, ce serait plus avantageux qu'elle reçoive directement l'argent. Cela éviterait les droits de succession sur cette somme.
  • Je sais, mais je ne veux pas qu'elle soupçonne d'où vient l'argent.
  • Bien, répéta Alex. C'est comme vous voulez, Monsieur Poncelle. Maintenant, il faut nous mettre d'accord sur votre rémunération. Comme je vous l'ai expliqué, vous êtes entièrement libre de choisir. Mais comme vous pouvez l'imaginer, plus la méthode est spectaculaire, plus nous vous proposerons un prix élevé. »

Un discours de commercial, récité par habitude. D'un certain côté, Jean se sentait rassuré. Les habitudes, c'était les seules choses que lui épargnaient la maladie.

« Avez-vous déjà une idée de ce que vous voulez ? reprit Alex.

  • Non, pas vraiment, répondit Jean d'une voix abattue et faiblarde. Quelque chose de rapide, sans trop de douleur...
  • Très bien, il n'y a pas de honte à ça. Nous en faisons beaucoup, nous avons l'habitude. Je peux vous proposer le chloroforme. Avec le bon dosage, vous aurez juste l'impression de vous endormir. Malheureusement, nous ne pouvons vous en offrir que dix-mille euros. C'est notre prestation la plus basse. Ensuite, il y a la pendaison longue, pour treize-mille. Votre nuque sera brisée par la chute, et vous partirez presque instantanément. »

Puis Alex se gratta le menton, faisant mine de réfléchir, et ajouta :

« Je peux aussi vous proposer une chute d'assez haut pour mourir sur le coup. Pour ça, nous vous offrons ving-cinq-mille.

  • D'accord, je vois, murmura Jean. Laissez-moi un instant pour réfléchir...
  • Tout le temps que vous voudrez, Monsieur Poncelle.
  • Je crois que je vais choisir la pendaison, finit-il par dire après assez peu de secondes.
  • Excellent choix.
  • Vous savez, intervint le chauffeur, si on vous fait une pendaison courte, on peut vous en filez soixante-cinq-mille. Parce que ça vous donne une béquille d'enfer, la pendaison par asphyxie. Même que vous lâcherez la purée sans vous en rendre compte ! On appelle ça une doublette : mort plus orgasme. C'est dans nos meilleures ventes, les camés mémoriels adorent ça. Réfléchissez, M'sieur Poncelle, soixante-cinq-mille euros, ça ferait une belle somme pour votre fille. Et puis, dites-vous que c'est juste un mauvais moment à passer, après ce sera fini. Et on peut même offrir des prestations qui vont chercher beaucoup plus loin. Par exemple, le mois dernier, on a filé six-cents-mille à un type pour qu'on lui coupe tous les doigts avec un sécateur et...
  • Arrête, le coupa Alex. Le Monsieur veut une pendaison longue, on lui donne une pendaison longue.
  • Vous dites soixante-cinq-mille euros pour une pendaison courte, c'est ça ? s'assura Jean.
  • Ouais, M'sieur Poncelle, c'est bien ce que je dis : soixante-cinq-mille.
  • Alors c'est ce que je veux, décida Jean.
  • Très bien, fit Alex en soupirant. C'est vous qui décidez. Tu peux faire le transfert, Dubreuil.
  • Ouais, c'est bon c'est fait, annonça-t-il après un instant.
  • Maintenant, si vous voulez bien regarder votre compte bancaire sur le téléphone, vous verrez que l'argent a été viré. »

Et c'est ce que vit Jean. Un crédit de soixante-cinq-mille euros. Maintenant, il ne pouvait plus reculer. D'autant que le chauffeur, Dubreuil, jetait déjà une corde par dessus une poutre métallique.

« L'argent vous a été versé par le biais de notre site de paris en ligne, auquel je vous ai demandé de vous inscrire. Si jamais le fisc vient poser des questions sur la provenance des fonds, il aura une réponse. Nous avons fait le nécessaire. Maintenant venez, Monsieur Poncelle, l'invita Alex. Je vais placer les collecteurs mémoriels sur vos tempes. Je vous préviens, ça va faire un peu mal. »

Jean eu presque envie de sourire. Mais il n'y avait rien de drôle, après tout. Il serra les dents pour ne pas grogner à cause de la douleur. Sans doute pour savourer son dernier instant de fierté.

« Vous pouvez vous appuyer sur moi pour grimper sur le tabouret. Maintenant, prenez la corde et passez la autour de votre cou. Excellent. Avancez jusqu'au bord du tabouret et mettez-vous sur la pointe des pieds. Mon associé va tirer doucement la corde, dites-moi quand elle commence à appuyer sur votre gorge.

  • Ça appuie », prévint Jean après un instant.

Alors Dubreuil entreprit de nouer la corde tendue autours d'un pilier.

« Tout est prêt, c'est quand vous voulez. Il suffit de vous laisser tomber en avant.

  • Est-ce que vous pourriez le faire pour moi ? C'est que je suis croyant. Je sais que ça semble idiot, mais si c'est vous...
  • Oui, bien sûr Monsieur Poncelle, répondit Alex, compréhensif. Faites-moi juste un signe dès que vous êtes prêt. »

Alors Jean ferma les yeux et inspira. Profondément. Et il hocha la tête, avant de sentir le tabouret se dérober.

Le corps de Jean se balançait au bout de la corde, inerte. Ses yeux n'étaient plus fermés, mais grands ouverts, injectés de sang. La toile de son pantalon s'auréolait d'une trace humide, comme l'avait prédit Dubreuil.

« C'est bon, on a ce qui nous faut, lâcha ce dernier. On peut faire le ménage. Dommage qu'on puisse pas revendre plus d'une fois un souvenir à la même personne. On se ferait des couilles en or.

  • On s'en fait déjà, répliqua Alex. Allez, on se met au boulot. »

Difficile de trouver un job, quand on ne se souvient de rien. Pour Alex, deux hypothèses pouvaient expliquer l'absence de souvenirs professionnels : soit son ancien lui avait décidé de les supprimer, tout comme sa personnalité, soit il n'en avait jamais eu.

Mais au final, ça n'avait pas d'importance. L'homme d'avant n'existait plus. Ne restait qu'Alex, un vendeur de souvenirs pour les accrocs à la diméthyltryptamine, et un marchand de sable pour les malheureux.

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