Chapitre 2

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Fleur avait vingt ans, et son hymen lui collait au corps comme un chewing-gum sous une godasse.


Le studio de Marjolaine puait, entre l'odeur de cendres froides et Loïc qui dégueulait dans un saladier. Une simple lampe de chevet avait la lourde tâche d'éclairer toute la pièce. Sans beaucoup de réussite. La lumière jaunâtre faisait apparaître le nuage de tabac qui restait en suspend dans la pièce.

Ambiance tamisée, comme avait aimé à le rappeler Aline. Il paraît que les ambiances tamisées c'est romantique, que ça favorise le rapprochement. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres soirées, mais pour celle-ci, je pense que les vodka-orange et whisky-coca aidaient plus que la quasi-obscurité.

Fleur détestait l'odeur de clope, cet arôme rance de nicotine qui imprègne les cheveux et les vêtements. Pourtant, cette nuit-là, elle avait timidement consenti à tirer une latte.

C'est Adrien qui la lui offrit, avec une flamme pas très vigoureuse et un sourire. Elle approcha timidement la Marlboro du briquet, puis tira brusquement une bouffée de fumée. Prise d'une quinte de toux, elle écarta la sèche de ses lèvres et toussa, la gorge brûlante tandis que des volutes de fumée lui sortaient par la bouche et le nez.

Ce garçon-là était mignon, avec ses cheveux en bataille, son menton carré et ses fossettes. Fleur pensait qu'elle n'avait rien pour plaire, avec son double menton, ses seins gras, son ventre épais et ses cuisses flasques. Ses cheveux blonds pendaient mollement sur sa tête, incapable qu'elle était de les coiffer correctement. Elle n'avait jamais prêté attention à ce genre de chose. La jeune fille n'était pas maquillée non plus, ayant perdu toute envie de se farder depuis qu'une fille de sa classe, lorsqu'elle était en quatrième, lui avait dit qu'elle ressemblait à un gros travelo.

Résignée, elle offrit un large sourire, puis tira une nouvelle bouffée délétère, avant de cracher à nouveau ses poumons.

Souvent, elle constatait la malheureuse inadéquation de son prénom et de son apparence. Même si quelques uns lui avaient dit qu'elle avait un joli visage malgré ses rondeurs (un doux euphémisme pour ne pas dire grosse).

« Ça va ? demanda Aline en riant.

  • Oui oui, ça va.
  • Fais gaffe à pas t'étouffer, va doucement ! »

Aline était belle, et Fleur ne pouvait pas s'empêcher d'envier sa taille de guêpe et sa poitrine ferme. De l'autre côté du canapé, Maxime devenait entreprenant avec Marjo. Celle-ci entortillait ses cheveux blonds autour de ses doigts, jetant des regards bleus par-dessus son épaule. Que du flirt. Elle avait un copain, et elle y tenait. Leur camarade de promo le savait aussi très bien, mais il ne s'embarrassait pas de ce genre de détail. Surtout après cinq verres de whisky.

Loïc comatait par terre, adossé contre le meuble télé, un saladier à moitié rempli de vomi entre les jambes. Il prononçait de temps à autre des mots que plus personne n'essayait de déchiffrer. Assis sur une chaise à côté de Fleur, Adrien laissait une cigarette se consumer entre ses doigts, se livrant à un monologue intense qui échappait complètement à la jeune femme. Trop occupée à le dévorer du regard, elle entendait ses paroles sans les écouter.

La fumée ne la faisait plus tousser lorsqu'elle écrasa le mégot rougeoyant dans un cendrier trop plein. Adsorbée par le mouvement sensuel des lèvres du jeune homme, elle décapsula une 1664 et prit une gorgée maladroite, laissant tomber quelques gouttes dans son cou. Elle se hâta de les essuyer du revers de la main. Ce soir elle voulait être regardée. Elle voulait être vue par ce garçon aux yeux bruns. Elle avait déjà été attirée par d'autres mecs, mais elle n'avait jamais osé les approcher. À l'écart, elle avait toujours rebouché les trous de son cœur percé, sans jamais en parler à qui que ce soit.

Mais ce soir, c'était différent. Ce soir, elle avait fumé sa première cigarette, et elle avait beaucoup bu. Pour une fois, elle avait lâché la bride et s'était accordée la permission de franchir les limites. Elle rapprocha discrètement son tabouret d'Adrien, avant de prendre une autre gorgée amère et pétillante. Peu à peu, elle sentait l'alcool la libérer de ses inhibitions, la rendre plus aventureuse.

Les heures passaient, les cadavres s'empilaient aux pieds de la table, et le nuage de nicotine ne désépaississait pas. Loïc, après être passé du meuble télé aux toilettes, avait été allongé de force sur un matelas gonflable collé dans un coin de l'appartement. De temps à autre, des borborygmes répugnants s'échappaient de sa gorge.

Depuis près d'une demi-heure, Fleur et Adrien tenaient un tête à tête dans le minuscule couloir, un peu à l'écart des autres et de la musique faiblarde. La jeune femme se sentait galvanisée. Les yeux du garçon étaient rouges et luisants, les paupières alourdies par les vodka-orange, mais ils gardaient sur elle une emprise dont elle ne pouvait pas se défaire. Elle ne les quittait que pour remplir à nouveau son verre. Elle avait laissé tomber la bière. La vodka fonctionnait beaucoup mieux.

Sur le canapé, Marjo et Aline gloussaient en regardant le beau garçon approcher sa main de celle de Fleur. Les deux amies se murmuraient à l'oreille, sur le cours que prendrait la soirée pour la jeune femme. Elles se disaient combien il leur plairait que leur copine se fasse enfin baiser. Mais la discrétion et l'alcool font au moins trois.

La lumière auparavant tamisée semblait désormais agressive pour Fleur. Les mouvements se décomposaient lorsque ses pupilles bougeaient. Surprise, elle laissa les lèvres du garçon se rapprocher des siennes, puis la langue se faufiler dans sa bouche. Il lui fallut plusieurs secondes avant de réaliser qu'on lui donnait son premier baiser. Un baiser au goût de whisky et de cendrier. Remuant la bouche comme elle pouvait, elle ferma les yeux. Tout autour le temps s'était figé, et l'espace avait arrêté de tourner. Quand l'étreinte s'arrêta, elle sourit béatement, avant de l'embrasser à nouveau. Elle s'y prenait mieux, cette fois. La vodka marchait vraiment bien.


Tellement bien que Fleur se retrouva allongée sur le lit de Marjo un quart d'heure après. Avec Adrien. Plus de pensées rationnelles, juste un nuage brumeux à la place de son esprit. Un nuage fait d'envie, qui gonfla encore quand elle entendit une boucle de ceinture claquer sur le carrelage, puis un jean glisser sur le sol.

Dans le noir, Fleur sentit les mains du garçon s'enfoncer dans le matelas, de chaque côté de sa tête. Elle ouvrit les yeux, pour voir les contours d'un visage approcher dans la pénombre. Enivrée, elle rabattit ses paupières. Les lèvres d'Adrien l'effleurèrent tout d'abord, puis la cognèrent ensuite. Ouvrant la bouche, ils s'embrassèrent maladroitement, salivant l'un sur l'autre. Fleur sentait l'excitation monter. Elle montait, montait ; toujours plus humide et collante.

Elle se laissa faire, lorsqu'une une main glissa sous ses vêtements, tâtant sa poitrine adipeuse par-dessus le soutien-gorge. Elle n'en dit pas plus lorsqu'elle sentit le pénis se tendre contre son bassin. Enfin, elle s'abandonna, lorsqu'il lui ôta un par un ses vêtements.

Nue, et lui presque entièrement découvert, ils se frottèrent l'un à l'autre, se couvrant de baisers humides et de caresses maladroites. Fleur ne se souciait plus de son poids ou de sa timidité. En un instant, elle avait tout oublié. Oubliées la peur d'être vue, la peur de l'inconnu et les tergiversions.

Du moins, jusqu'à ce qu'il force son entrée. Alors qu'il s'enfonçait, Fleur quitta sa sphère cotonneuse. Elle sentait les effets de l'alcool se dissiper, la dureté du matelas et du sexe qui la pénétrait. Elle ressentit de la douleur, là où elle s'était attendue au plaisir. Grimaçant, elle pensa que ce n'était que le début. Et elle avait raison : ce n'était que le début.

Car la douleur augmenta à mesure qu'Adrien allait et venait. Fleur voulait lui demander d'arrêter, mais elle ne pouvait pas. Alors elle serra les dents et endura. À mesure des coups, Fleur émergeait de l'ivresse. Si bien qu'elle finit par détourner la tête du jeune homme qui exhalait comme un étalon aux limites de l'effort, qui soufflait son haleine parfumée à la vodka-orange. Son amant, à bout de force, s’effondra sur elle. Pressant son corps contre le sien, il continuait néanmoins de venir et d'aller, comme une machine qu'on ne peut pas arrêter, aussi mécanique et réglé qu'un métronome. S'ajouta alors la douleur de sa poitrine, écrasée, compressée contre le torse du garçon. À son oreille, Fleur entendait ses borborygmes brouillés, parmi lesquels elle crut l'entendre demander si elle aimait ça. De peur de le blesser, elle préféra ne pas répondre.

Le plaisir attendu se révélant être une mauvaise expérience, Fleur porta son regard au travers des cheveux imprégnés de tabac d'Adrien, pour voir que l'heure n'avait pas avancé d'une minute depuis que ce dernier avait commencé sa ruade. Inutile de dire qu'elle fut soulagée lorsque la chevauchée s'arrêta enfin, deux tours d'aiguille plus tard.

L'autre roula sur le côté, épuisé, et s'endormit presque aussitôt.

Après un moment, Fleur se leva et marcha prudemment jusqu'à la salle de bain, la main collée entre ses cuisses moites pour éviter de salir le carrelage.

En revanche, pour le lit c'était trop tard. Une tâche rosâtre encroûtait déjà les draps.

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