Le petit chaperon rouge

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Les flocons tombaient sans interruption depuis plusieurs semaines, couvrant le village d'une robe blanche éblouissante. Les joues de la petite fille étaient rosies par la brise froide, et ses mains glacées par la morsure des boules de neige.

Alors qu'elle ramassait la poudre, un orbe gelé éclata sur son écharpe de laine. Surprise, elle bascula en arrière, riant. Tous disaient que jamais ils n'avaient vu de petite fille aussi belle, avec son visage d'ange, ses boucles dorées et ses grands yeux bleus.

C'était le matin, le village était silencieux et paisible. L'on pouvait entendre le doux murmure du vent soufflant entre les arbres. L'on pouvait aussi le voir, qui soulevait une fine pellicule floconneuse, s'amusant à la faire tourbillonner dans l'air.

« Je t'ai eue, dit son frère en l'aidant à se relever.

  • Oui » acquiesça-t-elle d'un hochement de tête.

Non loin, la porte de leur maison s'ouvrit, et leur mère les appela pour prendre le goûter. À l'intérieur, les enfants furent soulagés par la chaleur du feu qui crépitait dans l'âtre, et affamés par l'odeur de la brioche encore chaude. Un grand bol de lait et une tranche bien fumante firent le bonheur de leur ventre gourmand.

« Marie, Lucien ! » les arrêta leur mère, alors qu'ils s'apprêtaient à s'échapper de nouveau, impatients de retrouver la neige.

Elle prit un panier d'osier et plaça à l'intérieur : miel, beurre et quelques tranches de cette fameuse brioche.

« Tenez, allez apporter ça à votre grand-mère. Tous les deux, insista-t-elle en laissant appesantir son regard sur le garçon. Surtout, revenez avant qu'il ne fasse noir.

  • Oui maman » répondit ce dernier d'une voix traînante, avant de sortir, non sans souffler.

Alors que la petite fille lui emboîtait le pas, sa mère la retint un instant.

« Attends, enfile-ça, tu vas attraper froid, sinon. Tu n'as pas envie de tomber malade, pas vrai ? ».

Marie répondit en secouant énergiquement la tête.

« Voilà, tu peux y aller » dit sa mère après lui avoir passé son chaperon blanc autour des épaules et rabattu le capuchon sur le front, satisfaite.

Ainsi vêtue, la petite fille se fondait dans le manteau glacé, dont les dunes s'étendaient à perte de vue, sur le chemin et dans les champs. Le panier d'osier dans une main, et celle de son frère dans l'autre, elle s'enfonça dans la forêt. Les branches des arbres craquaient sous le poids des flocons, et nombre d'animaux fuyaient à leur passage. Marie avait l'habitude de traverser le bois pour se rendre chez sa grand-mère, de l'autre côté.

À mi-chemin, Lucien déclara qu'elle était presque arrivée et la planta là pour retourner au village, persuadé qu'elle arriverait à destination en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Mais ce ne fut pas le cas.

À l'heure du dîner, voyant que la petite fille ne rentrait toujours pas, son père partit la chercher. Mais la grand-mère lui apprit qu'elle ne l'avait pas vue depuis que toute la famille était venue lui rendre visite, la semaine passée.

Inquiets, tous les habitants partirent à sa recherche, fouillant les alentours. Ce ne fut qu'à la tombée du jour qu'un chasseur ramena avec lui la dépouille d'un loup gris et un chaperon rouge. C'est avec une voix enrouée qu'il révéla comment il avait trouvé l'animal dans les bois, la gueule et les poils couverts de pourpre, en train de se débattre avec un morceau d'étoffe coincé entre ses dents.

« Celui de ma fille est blanc » protesta la mère en prenant le tissu.

Mais à bien l'observer, elle s'effondra sur la neige, des larmes brûlantes aux yeux. Car si le chaperon qu'elle tenait entre les mains était rouge, ce n'était que de sang.

Depuis ce jour, lorsque c'était à son tour de faire la classe aux enfants du village, elle leur racontait toujours l'histoire d'une fillette au chaperon rouge qui, allant amener galette et confiture à sa grand-mère, rencontra un grand loup gris dans la forêt ; et qu'allant lui parler, personne la revit jamais.

Ainsi apprenait-elle aux enfants à se méfier de ces animaux, et d'avoir peur des forêts sombres qui entouraient leur maison. Puis une fois le conte achevé, les enfants avaient toujours droit à une tranche de brioche et un grand bol de lait.

De nombreuses années s'écoulèrent, si bien que tous les adultes s'étaient entendu conter l'histoire de la petite fille. Sa mère, dont les cheveux avaient terni, et la peau ridé, continuait de la narrer aux enfants de ses anciens élèves.

Depuis ce jour tragique, plus aucun d'eux n'avait été pris par un loup, car aussi bien les chasseurs que les innocents prenaient garde aux bêtes qui rodaient dans les bois. La mère de Marie, qui s'était liée d'amitié avec l'homme qui lui avait rapporté la dépouille du loup et la vérité sur sa fille, venait souvent lui apporter une part de tarte ou de gâteau, le dimanche après-midi.

L'un de ces jours, elle ne trouva que le silence lorsqu'elle frappa à sa porte. Inquiète, elle tourna le bouton ; le chasseur ne l'avait pas verrouillée.

Elle le trouva allongé dans son lit, aussi pâle que la neige qui avait couvert le village, un jour lointain, où un loup mort vint à elle. Ses yeux étaient grands ouverts, et une bave mousseuse salissait un côté de ses lèvres. Le cœur meurtri, elle recula de plusieurs pas, larmoyante, et buta contre la table. Elle s'aperçut alors qu'une lettre portait son nom, écrit d'une main gauche et pataude.

Tremblante, elle l'ouvrit, la lut, puis la serra dans sa main, chiffonnant le papier. Les larmes roulèrent sur ses joues, et ce fut comme si sa fille mourait une seconde fois. Dans sa lettre, le chasseur expliquait que Marie ne s'était pas faite attaquer par un animal. C'était lui qui avait barbouillé la gueule de la bête, après l'avoir tuée. La petite fille n'avait jamais croisé de loup dans les bois. Elle n'y avait croisé qu'un homme.

Par la suite, la vieille dame continua tout de même de raconter son histoire aux enfants, mais elle y ajouta une morale. D'une voix mélancolique, elle disait toujours :

''On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles

Belles, bien faites, et gentilles,

Font très mal d'écouter toute sorte de gens,

Et que ce n'est pas chose étrange,

S'il en est tant que le Loup mange.

Je dis le Loup, car tous les Loups

Ne sont pas de la même sorte ;

Il en est d'une humeur accorte,

Sans bruit, sans fiel et sans courroux,

Qui privés, complaisants et doux,

Suivent les jeunes demoiselles

Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;

Mais hélas ! Qui ne sait que ces Loups doucereux,

De tous les Loups sont les plus dangereux'' *

*NdA : Bien évidemment, cette morale est celle de Charles Perrault, et en aucun cas la mienne.

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