Chapitre 24

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  • Répète-moi encore une fois : à quoi ressemblait le monsieur déjà ? demanda Eliane.

Annie ferma les yeux, tentant de visualiser la scène, mais les images de ses amis prenaient le pas sur celle du Monsieur. Depuis le pique-nique au parc avec Madeleine, sa mère ne cessait de la questionner sur l’apparence de l’homme qui lui avait donner la lettre.

  • Je me souviens plus trop… Il avait un béret et une grosse moustache brune.

Cette description n’aidait pas Eliane. Souvent, elle demandait à sa fille s’il n’y avait pas un détail, même infime, qui lui revenait à l’esprit. Une caractéristique particulière, n’importe quoi qui permette de distinguer cet homme parmi les autres. Cependant, l’enfant en était incapable. Pourquoi sa mère insistait-elle à ce point pour voir ce Monsieur dont elle se souvenait à peine ? S’il y avait bien une chose dont se rappelait Annie, c’étaient les réactions en chaîne que l’acte avait provoquées. Les traits de l’homme au tract lui avaient échappé, mais le visage de l’Allemand qui les avait emmenées de force était clair dans son esprit et elle ne voulait plus revoir ni l’un ni l’autre.

Néanmoins, si les questions de sa mère l’inquiétaient, son changement d’attitude lui faisait plaisir. Depuis le pique-nique, elles venaient plus souvent au parc et Annie pouvait revoir ses nouveaux amis. Inscrite depuis quelques jours à l’école Marie Curie, elle avait sympathisé avec les filles de sa classe.

  • Je peux retourner jouer avec mes copains ? demanda la petite, tout excitée.

Eliane hocha la tête et la laissa partir vers le groupe d’enfants quelques mètres plus loin. La jeune femme ne savait pas très bien dans quoi elle s’embarquait, ni qui elle recherchait vraiment. Tout ce qui l’intéressait, était de protéger sa famille.

En avait-elle les moyens ? Seule, elle ne pouvait rien. Cependant, son anonymat auprès des Lormontais la mettait à l’abri. Pas de dénonciation, pas de persécution. Personne ne la savait juive. À part les Allemands… Eliane était prise entre deux feux : croupir dans son appartement et attendre la sentence ou agir et éventuellement mettre sa famille en danger. Au milieu de ce chaos, l’homme aux tracts semblait lumière. Personne de courage qui affrontait l’ennemi indirectement. Il devait sûrement avoir des ressources. Imprimer ces papiers était illégal. Qui sait ce qu’il pourrait imprimer d’autres ? Une nouvelle identité ?

Trouver cet homme devenait sa priorité, son nouvel objectif. Elle lui proposerait de l’aide en échange s’il le fallait. N’importe quoi, tant qu’elle pouvait agir. Plus question de rester enfermée dans son microscopique appartement à attendre, la peur au ventre. Attendre quoi d’ailleurs ? Que les Allemands viennent la chercher ? Cela allait forcément arriver. Ils savaient qui elle était. Ils savaient où elle habitait. Ce logement était sa prison et finirait par sceller son destin. Hors de question qu’elle reste les bras croisés désormais.

Depuis son mariage avec Pierre, elle ne pouvait plus compter sur sa famille et encore moins sur sa belle-famille. Son mari étant catholique, leur union n’était pas approuvée par leurs proches respectifs. Les parents d’Eliane l’avaient menacé de la renier si elle ne respectait pas les traditions familiales et si elle ne se mariait pas à ce charmant cousin qu’ils avaient trouvé pour elle. Et ils s’étaient très bien appliqués à mettre en œuvre leurs paroles, ne donnant plus aucun signe de vie à leur fille après son mariage avec Pierre. Du côté de ce dernier, l’histoire était la même : ses parents ne voulaient pas d’une Juive dans la famille.

Eliane souffla. Penser à son mari la faisait souffrir. Exilée de Paris depuis juin, elle ne savait même pas s’il lui avait envoyé des lettres. Était-il prisonnier ? Ou pire… Mort ? Elle tressaillit. Non. Elle ne voulait pas y songer. Si elle souhaitait se battre aujourd’hui, c’était pour retrouver plus tard une famille unie. Pierre reviendrait, il l’avait promis.

Désormais à Lormont, il ne lui restait plus que Madeleine et l’espoir de trouver l’homme au tract. Une douce chaleur se diffusa dans sa poitrine. Sensation rassurante, comme si la solution était tout près. Si un Français prenait le risque de distribuer des papiers séditieux et qu’un autre coupait des câbles électriques, c’est qu’il y avait sûrement encore des moyens de se battre contre l’Occupant. Suivre Pétain ou sa propre voie ? La décision était prise.

Eliane n’avait pas parlé cette recherche à son amie, sachant très bien que cette dernière l’en dissuaderait. Peut-être qu’en effet la jeune mère était un peu folle de se lancer dans une bataille dont elle ne mesurait pas les conséquences, mais pour la première fois depuis le début de la guerre elle sentait que c’était la bonne chose à faire.

Elle se leva, passa la main sur sa robe et plia le drap sur lequel elle était assise.

  • Annie, ma chérie, on rentre !

Ce jour-là encore, elle n’avait pas aperçu l’homme à la lettre, mais elle repartait avec une nouvelle résolution en tête.

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