Chapitre 21

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1er septembre 1940.

6h00

Des soldats nazis défoncèrent la porte d’entrée des Dufresne. Ils s’infiltrèrent dans toutes les pièces jusqu’à trouver la chambre des propriétaires. Coup de pied dans la porte.

  • Mon Dieu ! cria Marie se réveillant en sursaut.

Les cheveux en l’air, les cœurs palpitants, Lucien et sa femme se tenait l’un contre l’autre dans leur lit, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Une boule d’angoisse se forma aux creux de leur ventre. Cette situation n’était pas normale et cela n’augurait rien de bon. La panique s’empara du couple et des tremblements traversèrent leurs corps.

Les soldats et les Dufresne se toisèrent un instant, plus personne n’osait bouger. Que diable venaient-ils chercher ? Un allemand donna un ordre et tous foncèrent sur Lucien. En quelques secondes, il fut dans le couloir, plaqué contre un mur. Il tourna la tête, quatre, peut-être cinq hommes étaient là, tous avec cet uniforme vert gris.

Quelqu’un lui apporta son blouson. L’Allemand, qui le tenait, l’écrasa contre le mur et lui attrapa les bras. Il était comme un pantin au bout de son fil, on le manipula, l’habilla rapidement. Un sac en tissu noir passa de main en main pour finir sur sa tête. À quoi bon ? Il n’y voyait déjà plus. Des menottes claquèrent sur ses poignets. Le fer lacérait sa peau. Il descendit les escaliers à l’aveugle, puis fut conduit vers la sortie, presque soulevé de chaque côté par des bras puissants. Les nazis le firent ensuite monter dans ce qu'il devinait être un petit camion, la marche lui sembla haute.

Lucien avait le souffle court, trouvant difficilement une respiration normale à travers le tissu. Il tentait de comprendre ce qu'il lui arrivait. Que se passait-il ? Pourquoi l'embarquait-on ? Où allait-il atterrir ? C'était une erreur, forcément une erreur...

Marie était encore figée dans le lit quand les Allemands claquèrent sa porte d’entrée, Lucien avec eux. Elle mit du temps à réaliser que son mari venait d’être embarqué. Un million de questions l’assaillit, lui faisant tourner la tête. La boule d’angoisse, qui n’avait cessé de grandir au creux de son ventre, éclata soudainement, emportant tout sur son passage. Marie ne savait plus quoi faire, quoi dire, elle se sentait impuissante dans ce grand lit. Les larmes inondèrent ses joues et son corps tremblant se basculait d’avant en arrière. Elle resta ainsi un long moment, tétanisée par l’événement, incapable de réfléchir ou d’agir.

7h30

Des poings s’abattirent violemment contre la porte d’entrée des Perrin, réveillant toute la maisonnée. Joséphine, à peine réveillée, ouvrit la porte, laissant entrer une tornade dans la maison. Marie Dufresne était au milieu de l’entrée, agitant ses bras dans tous les sens et criant des mots inintelligibles à travers ses sanglots. La domestique tenta de la calmer, mais l’agitation de la femme était telle qu’elle ne pouvait s’approcher sans risquer de se prendre un coup. Yvonne et Madeleine, alertées par les cris descendirent précipitamment et découvrir leur amie dans tous ses états. Ensemble, elles attrapèrent Marie et l’emmenèrent dans le salon. D’un seul regard, la mère Perrin ordonna à sa domestique d’aller préparer un café, un thé ou n’importe quelle boisson chaude.

  • Marie… Marie ! Calme-toi. Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Madeleine d’une voix douce.
  • Ils ont… Ils ont emmené… Mon Lucien, répondit-elle entre deux sanglots.

Le sang d’Yvonne se glaça. Que pouvaient bien vouloir les Fritz à Lucien pour l’emmener de si bon matin ? Aucune raison ne justifiait cette intrusion. En avaient-ils au moins le droit ? Bien sûr, ces idiots se permettaient tout. La colère gronda dans les entrailles de la mère Perrin. Enfoirés de Boches. Yvonne coula un œil vers Madeleine dont le regard était emprunt d’inquiétude. Forcément. Ça ne sentait pas bon du tout cette histoire.

Yvonne se crispa et tenta de se calmer pour faire bonne figure devant son amie. Elle ne voulait pas l’angoissée plus qu’elle ne l’était déjà.

  • Ils ont donné des explications ? demanda-t-elle.
  • Non rien… Je… J’ai même pas pu demander. J’ai eu tellement peur !

Yvonne prit son amie dans ses bras. Evidemment qu’elle avait eu peur, qui aurait réagi autrement ? Personne, même pas elle. L’impuissance de Marie était palpable et la mère Perrin voulait l’aider. Hors de question de rester sans réponses. Nazis ou pas, ils ne pouvaient pas entrer chez les gens et embarquer quelqu’un sans donner d’explication.

  • Madeleine, tu restes ici. Je vais aller voir ce qu’il se passe, dit-elle froidement.

Elle s’habilla rapidement, négligeant son apparence pour cette fois et sortit de sa demeure. D’autres Lormontais devaient bien être au courant. Et si elle ne trouvait pas d’informations auprès des commerces, elle était prête à se rendre à la Kommandantur. Marie était son amie de toujours, sa sœur, personne ne pouvait s’en prendre à elle ou sa famille sans qu’elle ne s’en mêle. Froide, impitoyable, insensible. Ses défauts devenaient qualités lorsque la situation l’exigeait. Et aujourd’hui plus que jamais elle était prête à rentrer dans n’importe quel uniforme feldgrau.

À peine arriva-t-elle devant la boulangerie de Madame Pelletier qu’elle entendit une femme, dans le même état que Marie, crier à une autre :

  • Ils ont juste dit : rendez-vous à dix heures sur la grande place ! Colette, j’ai peur…

9h30

Le mot était passé, plus rapide qu’un éclair et toute la ville était sur pause. La panique foudroya tous les Lormontais. Ces derniers se rassemblaient sur la grande place, nerveux et impatients. Plusieurs hommes avaient été arrachés à leur foyer, sans que personne n’en connaisse les raisons.

Joséphine, Madeleine, Yvonne et Marie attendaient depuis déjà une heure. La mère Dufresne n’avait pu se résoudre à rester chez son amie jusqu’à dix heures. L’effroi la gagnait de plus en plus et elle craignait de ne plus jamais revoir son Lucien. Arriver sur la place ne la calma pas, elle faisait les cent pas et ses pensées changeaient constamment, passant de la peur à la colère, de la culpabilité à la tristesse. Marie n’avait déjà plus beaucoup de nouvelles de son fils et refusait l’idée de se retrouver sans son mari. Elle était prête à échanger sa place, de toute façon à quoi bon rester en vie si elle se retrouvait seule ?

10h00

Le colonel Von Faber en première ligne et une quinzaine de soldats derrière lui arrivèrent, entourant les prisonniers de leur corps. Marie aperçut Lucien et un crie, mêlé au sanglot, s’échappa.

  • Lucien ! s’époumona-t-elle.

Ce dernier tourna la tête dans la direction où il devinait sa femme. Il avait l’air fragile dans son pyjama blanc, ses traits étaient tirés comme s’il n’avait pas dormi depuis dix jours et il se trainait sans savoir où il allait. Il voulut l’appeler, se jeter dans ses bras et lui dire que tout ceci était un grand malentendu, mais un soldat lui tenait fermement le coude.

Le colonel Von Faber s’arrêta au centre de la grande place et aboya un charabia allemand à un soldat. Ce dernier se précipita maladroitement vers lui avec cinq chaises empilées dans les bras. De ses mains tremblantes, il les installa en ligne et partit se cacher derrière ses confrères. Il était mal à l’aise. Le colonel hurla une nouvelle fois et cinq hommes furent jeter sur les chaises. Lucien et les quatre autres étaient rabattus sur le côté, entouré de soldats qui les empêchaient de s’enfuir.

Malgré le monde présent, le silence régnait. Tous les Lormontais étaient dans l’attente. Qu’allait-il se passer maintenant ? Pourquoi toute cette fanfare ? Marie ne pouvait détacher ses yeux de Lucien, elle était au bord de la crise et si Madeleine et Yvonne ne la tenait pas si fermement, elle se serait laissée tomber depuis longtemps. Son cœur battait à tout rompre, sa gorge se nouait à ne plus respirer. Elle était proche du malaise.

Le colonel s’avança vers les Lormontais, suivit du sergent Prat. Il parla dans sa langue au jeune soldat qui en fit la traduction à voix haute :

  • Mesdames, Messieurs, depuis plusieurs jours rôde dans la ville un coupeur de câbles. Cet homme se croit sûrement malin, mais ne pensez pas en faire un exemple. La Wehrmacht est loin d’être une farce. Nous nous sommes montrés courtois, nous avons essayé de facilité cette transition et voilà ce que nous avons en échange ?

Des soldats avancèrent d’un pas et se positionnèrent face aux cinq hommes assis. Plus personne n’osait respirer.

  • Aujourd’hui, dimanche 1er septembre, la Wehrmacht va vous montrer qu’il ne faut pas se moquer d’elle. Ces cinq hommes que vous voyez-là, vont être exécuté. Peu importe leur implication, nous n’avons ni le temps ni l’énergie de chercher un responsable. Que cela vous serve de leçon, n’essayez plus jamais de vous mettre en travers de notre chemin, sinon d’autres innocents mourront.

Dans le silence de plomb, les soldats chargèrent leurs armes et un tonnerre de feu retentit dans la grande place. Le vacarme ahurissant coupa le souffle de tous les habitants. Les nazis reculèrent et le colonel salua la foule avant de repartir avec sa troupe, laissant les cinq autres hommes pantois. Ceux-ci venaient d’échapper de justesse à la mort.

Des cris s’élevèrent et des femmes se jetèrent sur les corps inertes. L’adrénaline explosa dans les veines de Marie qui se précipita dans les bras de son mari, suivie de Madeleine et Yvonne. Jamais Lucien n’avait été serré si fort dans les bras de ces trois femmes. La peur retomba subitement, terrassée par le soulagement. Les larmes abondèrent sur les joues des Dufresne et des Perrin, ils ne pouvaient plus se détacher les uns des autres de peur qu’on leur arrache à nouveau Lucien. Ce dernier pris le visage de sa femme entre ses mains et essuya ses larmes du pouce.

  • Rentrons, tout va bien… Tout va bien, je suis là.

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