Chapitre 16

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Le banquet semblait avoir du succès. Tous les invités étaient arrivés et le colonel Von Faber avait présenté le jardin qu’il avait parsemé de draps ou chaises longues pour pouvoir admirer le ciel. Pas de conteur d’histoires ou d’astronome cette année, mais les Lormontais invités se réjouissaient de la fête. L’orchestre, venant de Bordeaux, était arrivé avec plus de trente minutes de retard. Un problème de transport, disaient-ils. Le colonel n’avait pas cherché plus loin et avec Madeleine, ils jouaient les partitions données.

Après un long moment de musique classique permettant à tout le monde de manger et discuter tranquillement, la chanteuse arriva et égaya la soirée. Les invités se regroupèrent dans la salle de réception pour l’écouter interpréter les musiques actuelles et admirer cette jolie femme. Certains jeunes couples courageux s’avancèrent au milieu de la pièce pour danser sur les chansons plus rythmées. Les rires fusaient, les regards brillaient, l’atmosphère était légère et la soirée fonctionnait à merveille. Français et Allemands se mélangeaient sans craintes, s’amusaient et parlaient ensemble. Le colonel se félicitait, il avait reçu comme recommandation par son général de fédérer les peuples. La France allait devenir un allié économique sustentant son pays, il ne fallait plus en faire une ennemie.

La chanteuse reprit un nouveau morceau qui ne nécessitait pas de piano. Madeleine en profita pour s’éclipser. L’euphorie de la fête la gagnait aussi et elle se sentit coupable d’être enjouée. L’absence de Benoît, l’enfermement d’Eliane, la multitude d’uniformes gris-vert l’étreignirent soudainement et la ramenèrent à la réalité. Dans le fond, Yvonne avait raison. Il valait mieux rester chez soi. Les Allemands se montraient tellement charmants ce soir que les Lormontais en oubliaient la raison de leur présence.

Honteuse de s’être laissée prendre au jeu, elle monta à l’étage pour s’éloigner un peu de la musique et ouvrit la première porte qui s’offrait à elle. La jeune femme entra dans un beau salon de style rocaille. Un vert très clair mêlé de gris pigmentait les boiseries murales et les moulures involutées étaient ornées de feuilles d’acanthe et de palmes. La pièce était assez petite, mais chaleureuse malgré l’absence de mobilier. Madeleine devinait facilement que les Allemands les avaient récupérés. Elle ouvrit la fenêtre puis s’appuya contre la rambarde. L’air frais caressait sa peau et lui remettait les idées en place. Cette soirée n’était qu’un leurre, elle ne devait pas se laisser duper.

Soudain, la lumière du salon s’éteignit. Le noir l’envahit. Madeleine entendit des hoquets de surprise et comprit. Tout le château était plongé dans le noir. Une coupure de courant. Devait-elle redescendre ? L’idée de se mêler à une foule en panique la rebuta. Il valait mieux rester ici le temps que l’électricité revienne. Elle rejoindrait l’orchestre après. Et ça rallonge ta pause aussi…

Elle se replaça contre la rambarde et profita de l’instant pour admirer les étoiles.

  • Vous êtes là Fräulein, entendit-elle dans son dos.

Surprise, la jeune femme sursauta et se retourna vivement. Le sergent Prat se tenait à l’embrasure de la porte, éclairé par le clair de lune. Il avança vers elle. Col déboutonné, rictus mauvais, lueur malsaine dans le regard. Madeleine frémit.

  • Je… vais redescendre, dit-elle.

Elle entreprit un pas, mais le feldwbel la rejoignit en deux enjambées, l’empêchant d’avancer. Il la surplomba de son corps et Madeleine se ratatina contre la balustrade.

  • Sergent ? J’aimerais passer… tenta-t-elle.

Il ne répondit pas et se rapprocha encore plus. Leurs corps étaient pratiquement collés l’un à l’autre et Madeleine manqua de s’étouffer quand il lui souffla sur le nez. Il empestait l’alcool. Elle essaya de le repousser, sans autre résultat que de le faire rire.

  • Madeleine…

Sa voix rauque lui glaça l’échine. Elle tenta de s’échapper sur le côté, mais le sergent l’attrapa et ses lèvres se pressèrent violemment contre les siennes. Féroces et intrusives. C’était brutal et humiliant. Elle s’efforça de le repousser, faisant pleuvoir les poings contre son torse. Il colla son corps contre le sien et bloqua ses attaques. Brutalement, il lui arracha une bretelle de sa robe. Elle voulut hurler, mais la bouche de Prat étouffait ses cris. Les larmes menaçaient de couler sur ses joues. Elle ne voulait pas se laisser faire, mais il était trop puissant.

Karl détacha sa bouche un instant, emprisonnant le visage de Madeleine de sa main droite. Il jubilait. Cela faisait presque deux mois qu’elle se pavanait devant lui dans ses petites robes cintrées. Deux mois qu’il se retenait de la plaquer contre un mur. Cette soirée, cette coupure d’électricité, c’était l’occasion rêvée. Il se lécha les lèvres, prédateur, et se rua de nouveau sur elle, retroussant sa jupe et imposant sa force. Madeleine serra les cuisses comme ultime défense. Son cœur palpitait, ses tripes se nouaient et ses mains tentaient vainement de le repousser. La peur s’empara de son âme, elle sentait qu’elle n’avait aucune issue.

Prat défit sa braguette, lâchant son emprise sur le corps de sa proie. L'adrénaline grimpa, décuplant ses forces, et la pianiste profita de ce moment. Ecoutant son instinct de survie, elle le repoussa de toutes ses forces en hurlant. Ivre, il perdit l’équilibre et recula de quelques pas, laissant la place de s’échapper. Madeleine courut aussitôt, mais manqua de se tordre la cheville à cause de ses talons. Elle les jeta rageusement avant de reprendre sa course.

Un corps la bloqua lorsqu’elle arriva aux escaliers.

  • Fräulein Perrin ?

Dans le noir, elle distingua difficilement deux iris bleus. Le lieutenant Wolffhart. Instinctivement, elle recula, le cœur battant. Avaient-ils manigancé ça ensemble ? Elle se sentait prise au piège entre ces deux hommes.

  • Madeleine… chantonnait Prat en titubant derrière elle.

Souffle court, peur au ventre. Sa gorge se noua pour bloquer le sanglot qui menaçait de sortir. Elle était foutue. Lentement, elle se colla au mur le plus proche. Prat à sa gauche, Wolffhart à sa droite, elle était coincée.

  • Sergent ? dit Emmerick en franchissant la dernière marche.

Le sourire du concerné s’évapora et il fit claquer le talon de ses bottes.

  • Lieutenant, cette femme… M’a attaqué !

Madeleine était tétanisée contre ce mur, muette. Le sang pulsait dans ses tempes. Elle ne pensait qu’à s’échapper. Incapable d’analyser la situation, elle se sentait toujours prise au piège. Discrètement, elle tenta de se glisser derrière le lieutenant pour prendre les escaliers, mais ce dernier lui attrapa le bras.

  • Vous avez attaqué un soldat, Fräulein ?

Elle écarquilla les yeux et sentit ses jambes la lâcher.

  • Non… NON ! C’est lui qui…

Sa voix se cassa. Le regard d’Emmerick, insistant, la détailla. La pianiste tenait contre elle sa bretelle arrachée et malgré l’obscurité il aperçut sa coiffure en désordre. Il lui lâcha le bras brutalement et elle manqua de s’effondrer au sol. Puis, il se retourna vers Prat, le sang bouillonnant, les poings serrés.

  • Partez ! éructa-t-il.

Mais Madeleine était pétrifiée. Sa tête tournait et sa vision se troublait. Ne la voyant pas bouger, il cria plus fort, ce qui la réveilla. Elle dévala les escaliers et se réfugia aussitôt dans une salle de bain, fermant la porte à clé.

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