Chapitre 13.2

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  • Allez, juste un verre, insista Werner, t’es tout tendu regarde-toi !

Emmerick souffla, résigné. L’enthousiasme de son ami le gagnait et il se laissa guider. Le lieutenant de l’Abwehr l’entraina à « la Guinguette de la Gironde ». Reconnaissant la devanture et le son du piano, Emmerick se figea, pas certain de vouloir la revoir. Son ami le poussa à l’intérieur, ne remarquant pas son trouble, et il la vit. Madeleine. Machinalement, il inspira à la recherche de son parfum sucré, mais il ne sentit que l’odeur de tabac froid qui emplissait la pièce.

Madeleine termina la mélodie et décida de faire une courte pause. Alors qu’elle allait se lever pour prendre l’air, un allemand s’approcha d’elle. Markus. Depuis qu’il lui avait offert une Gauloise, le soldat l’accompagnait à chacune de ses pauses. Il n’était pas méchant, mais la jeune femme supportait mal cette compagnie allemande. Il ne lui parlait jamais, ne sachant dire un mot français, se contentant de lui sourire et de lui proposer une cigarette qu’elle refusait à chaque fois. Que lui voulait-il exactement ? Elle ne savait pas très bien. Madeleine se montrait impassible. Si son but était de la séduire, alors elle ne voulait pas lui laisser d’espoir.

Markus lui tendit un verre de vin qu’elle refusa. Il insista gentiment. Sourcils levés, lèvres étirées, il posa la main sur son bras pour l’inviter à le prendre. La jolie brune lui fit un sourire gêné et tourna les talons.

Des yeux perçants apparurent dans son champ de vision. Les prunelles bleues qu’elle espérait ne jamais revoir. Spontanément, elle posa le pouce sur ses lèvres, en souvenir du baiser que le lieutenant lui avait arraché. Poitrine comprimée, cœur tambourinant, elle sentait la colère ressurgir. Elle se précipita à l’extérieur pour l’éviter. Pourquoi était-il ici ? Des cafés, bars, guinguettes, il y en avait des tas d’autres à Lormont. Venait-il la narguer ? La surveiller ?

Madeleine s’appuya contre le mur. Les souvenirs du baiser refirent surface. Elle s’était sentie objet, simple poupée de chiffon entre ses mains. Sa fuite à Paris, lui avait permis de s’émanciper de sa famille et d’échapper à un mariage forcé. Hors de question de se retrouver asservie par un Allemand. Sa rage grandissait à mesure que les images lui revenaient en tête. Elle se retrouva à nouveau dans ce bureau, le lieutenant au-dessus d’elle. Il ne criait plus mais la fixait intensément. À nouveau il se jeta sur sa bouche, tel un animal. La sensation de ses lèvres sur les siennes lui mordit les tripes.

Markus arriva devant elle, la sortant de son cauchemar. Il lui tendit encore une fois le verre de vin que Madeleine accepta et but d’une traite. Sa présence était étouffante, mais celle du lieutenant dans la guinguette était écrasante. Boire si vite l’étourdit un peu, mais lui donna du courage. Elle n’allait pas se laisser déstabiliser. Une énergie nouvelle se répandit dans ses veines. L’ignorer, faire comme s’il n’était pas là, comme si son acte ne l’atteignait pas, était la solution. Se mettre en colère ? C’était lui accorder trop d’importance.

Markus sur les talons, elle retourna à l’intérieur et posa le verre sur le comptoir en souriant à Mr Boulay. Ce dernier lui rendit, heureux que sa pianiste se sente à l’aise dans son établissement. Évitant soigneusement le regard du lieutenant, elle remercia rapidement le jeune soldat pour le vin et s’installa au piano.

Emmerick fronça les sourcils. Il n’avait pas perdu une miette du manège entre Markus et Madeleine. La jalousie lui enserrait la poitrine et faisait danser des flammes dans ses yeux. Impossible d’imaginer cette femme qu’il avait déjà fait sienne dans les bras d’un autre Allemand.

  • Arrête de penser à ces imbéciles de l’école primaire, souffla Werner, excédé de voir son ami en colère.

Ce dernier se méprenait sur la raison de ses émotions, mais cela arrangeait Wolffhart, incapable d’expliquer ses réactions en présence de cette femme. Elle était belle c’était indéniable, mais il en avait croisé des jolies demoiselles sans qu’elles ne lui fassent perdre la raison pour autant.

La porte s’ouvrir soudainement sur le sergent Prat. Madeleine se retourna et ses convictions s’effondrèrent. Karl, Markus, Emmerick sous le même toit. Était-ce une conspiration ? Elle se sentit soudainement noyée, ne pouvant plus sortir la tête de l’eau.

Il s’approcha, félin, rictus mauvais collé aux lèvres. Le souffle de la jeune femme se coupa. Qu’est-ce qu’il lui voulait ? C’était bien la première fois qu’il venait la voir ici. Il s’arrêta soudain devant elle et changea d’attitude. Elle remarqua alors une présence aux côtés du sergent, un homme d’une bonne quarantaine d’années, grand, svelte avec un gros nez, une jungle de poils aux oreilles et une moustache poivre et sel.

  • Bonjour Fräulein Perrin, je vous présente le colonel Von Faber, commença Karl.

Madeleine le salua, boule au ventre, cœur battant. Pourquoi cet homme venait-il la voir ? Wolffhart avait-il évoqué l’histoire du papier à son supérieur ? Elle n’était pas prête à subir un autre interrogatoire, encore moins en présence de Prat.

Von Faber parla en allemand au feldwebel qui traduisit à la jeune femme :

  • Dans trois jours aura lieu un banquet pour célébrer la Nuit des Etoiles. C’est bien une fête que vous organisez chaque année ?
  • Euh… oui

Le soulagement l’écrasa et elle faillit faire un malaise en sentait à nouveau l’air entrer dans ses poumons. Depuis combien de temps retenait-elle sa respiration ?

Von Faber avait raison. Chaque 23 août était célébré la « Nuit des étoiles » qui permettait d’observer le ciel et d’y découvrir des étoiles filantes. Certaines années, le maire de Lormont arrivait à faire venir astronomes et conteurs qui relataient ou narraient histoires et fables. Cependant, cette fête semblait ridicule en sachant qu’un mois plut tôt la Kommandantur avait interdit tout rassemblement pour le 14 juillet.

  • Il aimerait que vous soyez la pianiste de la soirée, continua Prat.

Madeleine se tourna vers le colonel, son regard était sévère et son attitude ne semblait pas vraiment lui donner le choix. D’un mouvement de tête, elle accepta puis les deux hommes repartirent aussitôt.

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