Chapitre 11

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Annie était toujours agrippée à la jambe de Madeleine. Pourquoi tout le monde s’agitait ? Elle entendait le lieutenant hurler mais ne comprenait pas ce qu’il se passait. L’atmosphère était devenue soudainement pesante et elle n’arrivait pas à retenir ses larmes. Elle détestait quand les gens criaient. La fillette devinait que le changement d’attitude était dû au papier qu’elle avait ramené. Mais pourquoi ? L’homme qui lui avait donné n’avait pas eu l’air méchant.

  • Où t’as eu ça petite ? demanda sèchement le soldat.
  • C’est un monsieur qui nous l’a donné…

Les deux adultes se retournèrent vers le lieu où jouaient les gamins quelques instants plus tôt, mais il n’y avait plus personne. Annie sentit que le lieutenant tirait sur Madeleine pour l’emmener avec lui, alors elle s’accrocha plus fort à ses jambes.

  • Attendez, il faut ramener l’enfant, elle n’y est pour rien… supplia Madeleine.

D’un ton intraitable, l’homme en uniforme vert-gris s’adressa à d’autres soldats qui s’approchèrent d’Annie pour l’emmener. Cette dernière se mit à pleurer plus fort encore. Est-ce qu’elle allait être punie ? Elle ne voulait pas quitter Madeleine, elle ne savait pas que c’était mal d’accepter une lettre d’un inconnu. Elle se promit que plus jamais elle ne recommencerait.

  • S’il vous plaît, laissez-moi la ramener, elle est paniquée… implora Madeleine.

L’Allemand lui répondit, mais Annie n’avait pas réussi à comprendre. Elle se sentait fatiguée soudain et sa tête bourdonnait. Elle ne pensait plus qu’à ces larmes qui perlaient le long de ses joues et cette morve qui coulait de son nez. Elle en avait plein les mains à force de s’essuyer.

Madeleine s’abaissa et prit son visage entre les mains.

  • Annie, on va rentrer à la maison ensemble d’accord.
  • Promis, promis je recommencerai plus ! dit-elle en se jetant au cou de la jeune femme.
  • Oh ma chérie, ce n’est pas ta faute…

La pianiste embrassa l’enfant sur le front et passa les pouces sur ses joues avant de la prendre dans les bras. Elles partirent du parc, le lieutenant et deux soldats sur leurs pas.

Madeleine fut escortée jusqu’à l’appartement d’Eliane. Le trajet s’était déroulé dans un silence assourdissant et Annie s’était calmée. La jeune femme ne sentait plus les larmes de l’enfant contre son épaule. Elle culpabilisa soudain. Elle avait voulu soulager son amie et sortir avec sa fille qui ne supportait plus d’être enfermée, mais elle avait désormais peur que cette dernière soit elle aussi traumatisée par les nazis.

Arrivés devant l’immeuble, Wolffhart congédia les deux hommes puis se retourna vers la femme et l’enfant, reposée au sol.

  • Laissez-moi monter seule, s’il vous plaît, sa mère n’est pas bien.
  • Hors de question.
  • Mais il n’y a aucune échappatoire ! Je ne peux pas m’enfuir.
  • C’est non !

La jolie brune souffla longuement. Cet homme était buté. Ne comprenait-il pas dans quelle situation il la mettait ? Il avait pourtant bien entendu l’enfant parler des pleurs de sa mère. Mais le défier ne servait à rien. Madeleine le savait, si elle voulait le convaincre elle devait se montrer larmoyante. Elle posa une main sur le bras du lieutenant et ancra son regard au sien.

  • S’il vous plaît…

Les mâchoires de Wolffhart se crispèrent, il ferma les yeux et se pinça l’arête du nez pour contenir sa colère. Pouvait-il lui faire confiance ? Certainement pas. Pourtant, il s’entendit aboyer :

  • Dépêchez-vous !

Sans perdre une seconde, Madeleine prit l’enfant et grimpa les marches. Arrivées devant la porte, la jeune femme se pencha vers l’enfant et lui essuya les larmes avec le bout de sa robe.

  • Annie, tu sais comme maman est triste en ce moment. Alors on ne va rien lui dire d’accord ?
  • Mais…
  • Ce sera notre secret, pour que maman soit heureuse, tu comprends ?

La petite fille hocha la tête et Madeleine souffla, espérant qu’Annie puisse garder le secret au moins quelques jours. Elle lui fit un clin d’œil et tira la langue pour décrocher un sourire à l’enfant. Il fallait avoir l’air naturel, donner l’impression que la balade s’était bien passée. Elle frappa à la porte et attendit Eliane.

Plus bas, Wolffhart patientait. Les secondes s’égrenaient et paraissaient des heures. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de la laisser partir seule ? La tension grimpait, il se demandait si elle allait vraiment redescendre. À peine trente secondes s’étaient écoulées depuis qu’elles étaient montées, mais ça lui semblait une éternité. Il avait regretté ses paroles tout de suite après les avoir prononcées. Poings serrés dans les poches, épaules tendues, il se retenait de faire les cent pas. L’air pesant de l’été, additionné au stress, lui donnait chaud. Si elle s’échappait, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Il bouillonnait, ses dents grinçaient d’anxiété.

Sa patience épuisée, il décida de monter récupérer cette femme lorsqu’il la vit arriver. Tout l’air qu’il avait retenu s’échappa, mais très vite la colère écrasa le soulagement. Il fallait régler cette histoire de France libre. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur il lui agrippa le bras fermement. Plus tôt, il avait envoyé les deux soldats chercher un véhicule. Il ne voulait pas perdre une minute de plus.

٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭٭

Madeleine, assise dans le bureau du lieutenant à la Kommandantur, tenait le papier froissé entre ses mains. Elle ne savait pas pourquoi cette lettre lui était revenue, peut-être une erreur ou le hasard. Quoi qu’il en soit, elle n’avait rien à voir avec ça.

Les yeux du lieutenant lui lançaient des éclairs, il exigeait des explications. Une enfant qui sort un tract au hasard, ce n’était pas possible. Cette femme était forcément impliquée dans quelque chose. Se servait-elle de la fille pour faire passer d’autres messages de ce genre ? Wolffhart regretta de l’avoir laissée rentrer, il aurait pu l’interroger. Tous les autres gamins s’étaient échappés dès qu’il avait levé les yeux du papier. Madeleine était son seul témoin.

  • Dites-moi qui a donné le tract à cette enfant ? s’énerva-t-il.

La jeune femme souffla, exaspérée. Elle aussi, avait les nerfs à vif.

  • Pour la énième fois, je ne sais pas…

Emmerick contenait sa colère, elle le voyait : une veine ressortait sur sa tempe et ses mâchoires étaient serrées à s’en casser les dents. Pour autant, Madeleine ne se démontait pas. Elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi elle était la seule ici, alors que les autres gamins avaient aussi certainement ramené le papier à un adulte. Ce point l’agaçait particulièrement. La situation était injuste et elle en avait marre de vivre encore et encore les mêmes scènes. Le souvenir de sa première arrivée à la Kommandantur lui sauta aux yeux et l’irrita. Marre d’être enfermée ici pour des raisons ridicules. Ces Allemands étaient complètement aliénés.

  • C’est l’hymne nationale de la France, c’est tout, ça ne veut rien dire.
  • Rien dire ? hurla Wolffhart, je trouve que c’est au contraire plein de sens !
  • Ce sont certainement des petits rigolos qui se sont amusés à écrire ça, c’est ridicule…

Brusquement, Emmerick se leva et s’approcha de la jeune femme. Il n’arrivait plus à se contenir. D’une main, il lui saisit le visage, appuyant fortement ses joues.

  • Alors dites-moi qui sont ces petits rigolos !

Nerveusement Madeleine ricana, elle en avait assez de cet acharnement. Elle n’était coupable de rien, pourquoi s’obstinait-il sur elle ?

  • Lieutenant… J’étais avec vous. Si j’avais vu quelque chose, vous l’auriez vu aussi !

Des flammes frondeuses dansaient dans les yeux de Madeleine. Elle le défiait. Furieux, Wolffhart resserra sa prise sur son visage. Les lèvres charnues de la Française se retrouvèrent tendues vers lui. Il ne put s’empêcher de dévier le regard vers cette bouche vermeille. Il se raidit et un silence troublant s’installa.

N’en pouvant plus, Madeleine tenta de se dégager. Il lui faisait mal.

  • Je me baladais simplement avec une enfant lieute…

Les lèvres d’Emmerick se posèrent violemment sur celles de la jeune femme, lui coupant la parole. Elle essaya de résister, gardant les lèvres pincées, mais il appuya plus fermement sur ses joues l’obligeant à entrouvrir la bouche. Il saisit l’opportunité pour la dominer de sa langue, l’entrainant dans une chorégraphie tyrannique. Madeleine tenta de retirer la main qui lui enserrait le visage, mais le lieutenant, plus fort, ne bougeait pas, continuant ses assauts sur sa bouche. Elle sentit chaque centimètre carré de sa peau se tendre et le duvet dans sa nuque se dresser. C’en était trop. À bout de force, elle finit par serrer les dents pour le mordre.

Surpris, l’Allemand se détacha vivement et lui lâcha le visage. Deux yeux vert-noisette l’incendiaient. Une lueur craintive traversa le regard de Madeleine et le lieutenant se rendit compte de son geste.

  • Dégagez, aboya-t-il.

Aussitôt Madeleine courut vers l’extérieur. Emmerick claqua la porte derrière elle, avant d’y jeter son poing. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Il n’était pas du tout un homme qui forçait les femmes. Alors pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi elle ? Cette femme lui faisait perdre ses moyens et le rendait chèvre. Il revoyait cette bouche voluptueuse qui se mouvait, ne demandant qu’à être vénérée. Un véritable appel à la passion. Il avait agi sans réfléchir et s’en voulait de s’être comporté comme un animal. Quel genre d’homme devenait-il à son contact ?

Reprenant ses esprits, il lissa la veste de son uniforme et retourna vers le bureau. Les derniers effluves de son parfum, sucré tel une confiserie, flottaient dans l’air. Il inspira profondément. Un bonbon, voilà ce qu’elle était. Attirante et faussement inoffensive. Elle le manipulait, il en était sûr.

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