Chapitre 6 (1/3) - Oscar

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15.01.21

Appartement 32, étage 3, HLM B, Quartier de Barking & Dagenham, LONDON – 11h56 pm.

J'expire la fumée de mes poumons et je ferme les yeux. Assis sur le rebord de ma fenêtre – cascade assez périlleuse, si on prend en compte le fait que je sois au troisième étage – je laisse la drogue anesthésier doucement mon cerveau. Cela me fait penser que je dois remercier Yanis pour m'avoir refilé la beuh.

Tandis que le joint se consume doucement entre mes doigts, je regarde le paysage nocturne. Bien que la vue soit partiellement cachée par des tours, je peux quand même apercevoir au loin quelques lumières de la ville. Le ciel est dégagé, ce soir, laissant voir les étoiles briller. Je me mets à imaginer – aidé par les effets de la drogue – Londres vue du ciel, comme si je suis à la place de ces astres. Est-ce un peu comme si l'éclairage artificiel de la ville, répondant en miroir à celui, naturel, des étoiles ? Et si elles n'étaient qu'une seule et même pièce, l'une étant le revers de l'autre ?

Soudain, un léger grincement me fait sursauter. Je cache ma main derrière mon dos, camouflant tant bien que mal la fumée.

— Foutu chat, grogné-je à voix basse.

Maurice relève la tête et s'avance vers moi. Il saute sur mes jambes et se blottit en rond. Je le caresse distraitement. Il m'a foutu une vraie trouille, n'empêche. Pourquoi ma mère avait cédé au caprice de ma sœur en l'adoptant ? Si jamais elle me voit ainsi, le joint au bec, c'est sûr, elle me trucide sans une once de pitié. Je me mets alors à sourire. Je pense qu'elle n'est pas si bête que ça, et qu'elle sait pas mal de choses. Ça m'étonnerait même pas qu'elle sache pour ça. Mais je ne veux pas lui donner du souci, elle en a bien assez comme ça, avec papa en tôle. Papa...

Je secoue la tête, m'empêche de penser à lui. À la place, je dirige mes pensées vers demain. Enfin, aujourd'hui, vu l'heure qu'il est.

Même si je hais de devoir me l'avouer, je sais bien qu'une partie de moi a hâte d'être à la fête de Luna. Pas pour Liam ou pour la piscine couverte. Mais alors pas du tout. Au contraire, c'est l'autre partie de moi, celle qui redoute cet après-midi qui se méfie de ça. Non, j'ai hâte parce que je sais que pour Sarah, être invitée signifie beaucoup. Et c'est parce que je sais que ça compte pour elle que je suis encore plus inquiet. Un peu comme le serpent qui se mord la queue.

J'ai pas envie que Liam et toute sa clique jouent au con avec elle. Mais je sens que quelque chose cloche avec cette invitation. Peut-être que je suis bon à rien pour résoudre des problèmes de maths, mais sur ce genre de choses, j'ai le nez fin. Notre ancien lycée était rempli de ces types-là, et je ne vois pas pourquoi ce lycée serait différent.

Je me souviens alors de ce que nous avait dit Arthur. Il avait accepté de venir parce que nous serions là. Sinon, il n'y serait jamais allé, même s'il lui était arrivé de participer à ce genre de... fêtes qu'organisaient très souvent Luna et Liam, d'après ses dires.

M'enfin, ça servait à rien de tenter de savoir à l'avance comme ça se passerait. C'est quasiment impossible, et avec un gars comme Liam c'est encore pire.

Je termine d'une bouffée mon joint et jette le mégot à travers la fenêtre. Je chasse Maurice de mes genoux, referme la porte lorsqu'il quitte ma chambre, et me glisse sous les draps. Ce n'est qu'une fois dans le noir complet, bien au chaud sous ma couverture et les yeux fermés, que je m'autorise, l'espace de quelques secondes tout au plus, à imaginer Liam en short de bain.

XXX

16.01.21

24 Paradise Street, Quartier de Southwark, LONDON – 02:37 pm.

— Amusez-vous bien !

Je lève les yeux et la voiture de ma mère rugit doucement avant de s'engager sur la chaussée et de s'éloigner. On aurait très bien pu prendre les transports en commun, mais ma mère a tenu à nous emmener. La curiosité sans doute. Elle a sauté de joie – pas au sens littéral du terme, encore heureux – lorsque Sarah lui a annoncé qu'on était invités à une fête chez nos nouveaux camarades de classe. Puis son inquiétude maternelle a très vite repris le dessus. C'est pour ça qu'elle nous a emmenés.

Je reporte mon attention sur la bâtisse qui se tient devant nous. Entourée de murs, elle ressemble à une forteresse : impossible de voir à quoi ressemble le jardin. Le portail électrique ouvert permet tout de même d'en apercevoir un morceau. Sarah et moi échangeons un regard. Les basses de la musique résonnent jusqu'à nous. Le bruit à l'intérieur doit être assourdissant.

— Allons-y, lancé-je.

Je fais le premier pas, Sarah dans mon sillage. Mes yeux s'ouvrent de plus en plus grands tandis que nous remontons le petit chemin. Je n'ai jamais vu une maison aussi énorme et... époustouflante : de forme cubique, les façades sont en nuances de gris. L'étage est... Eh bien, je ne sais même pas si c'est réellement un étage. D'immenses vitres remplacent une bonne partie des murs et permettent de voir à l'intérieur. Je fais une petite grimace. L'architecture est tout de même étrange. Franchement, jusqu'où peut aller la folie des grandeurs des personnes qui ont de l'argent à jeter par les fenêtres ?

Au moment où nous atteignons le porche, la porte d'entrée s'ouvre à la volée sur un gars en short de bain. Nous nous arrêtons, surpris. Il nous dévisage et sourit de toutes ses dents.

— Santé ! s'écrit-il en levant son gobelet en plastique rouge.

Il vide son contenu d'un cul sec avant de nous dépasser en titubant.

— Ah oui, quand même.

— Peut-être qu'il ne tient pas l'alcool, suppose ma sœur.

Mais je vois dans ses yeux qu'elle n'y croit pas non plus. La porte s'étant refermée après l'entrée – enfin la sortie – fracassante de l'alcoolisé, ma sœur appuie alors sur la sonnette.

— Tu sais, je pense qu'on peut directement entrer, ça choquera personne.

— Ce n'est pas une façon de faire.

Je roule des yeux. Être complètement arraché en plein milieu de l'après-midi n'est pas ce qu'on peut considérer comme un acte de savoir-vivre. Mais bon, si ça lui fait plaisir. Plusieurs secondes passent.

— Je ne suis pas sûr qu'on nous entende avec la musique...

Mais le bruit d'une porte qui s'ouvre me coupe la parole. Luna apparaît en maillot de bain deux pièces rouge sang. Elle a attaché ses cheveux bruns en une longue queue de cheval qui lui tombe sur la poitrine. Je crois comprendre maintenant pourquoi Sarah la trouve belle.

Elle nous dévisage pendant quelques instants d'un air étonné, comme si elle ne nous reconnaissait pas. Puis soudain, son visage s'illumine.

— Ah, ce n'est que vous ! J'ai cru que les flics avaient débarqué... J'avais oublié que je vous avais invité, ajouta-t-elle dans un murmure parfaitement audible.

Sympa.

— Entrez, maintenant que vous êtes là.

Elle se retourne, sans se soucier si nous la suivons ou non. Je laisse passer Sarah devant moi. Nous avançons dans un petit couloir qui débouche dans une immense pièce à vivre. Et je pèse mes mots. À gauche se trouve une salle à manger. Enfin, je pense, parce que le nombre de personnes présentes laisse peu de moyen pour réellement voir. Je prends alors conscience du monde présent à cette fête. Sarah semble avoir saisi elle aussi. Soudain, j'aperçois notre hôte faire un grand geste. Nous nous dépêchons de la rejoindre en faisant attention de ne pas bousculer quelqu'un.

— C'est pas trop tôt. Anyway, pourquoi vous êtes habillés ? Quelle partie vous n'avez pas compris dans « venez en maillot de bain » ?

— On les a pris... commence Sarah en montrant son petit sac.

Luna nous regarde, perplexe.

— Ah ouais, je vois le truc. Je suppose qu'il vous faut un endroit pour vous changer, souffle-t-elle.

Elle s'engage alors dans un couloir et ouvre une porte.

— Vous deux, dégagez de là, on ne copule pas chez moi, tonne-t-elle en fusillant du regard deux filles qui s'embrassaient à pleine bouche.

Celles-ci ricanent, peu embarrassées par le fait d'être prises sur le fait et encore moins impressionnées par Luna, et sortent.

— Sarah, ici, et toi là, dit Luna en désignant du doigt une autre pièce en face. Amusez-vous bien.

Elle nous lance un clin d'œil et repart en levant la main en l'air et en se déhanchant, en proie à la musique.

Sarah et moi nous regardons, complètement perdus. C'était donc ça, une fête chez des bourges ?

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