Des nains de grand chemin

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Le pavé, rôti par un cuisant soleil, que battait sans trop se fouler notre héros Mono juché sur la croupe incendiaire de son porcin destrier, le faisait se déhancher comme l'unique danseur eunuque d'un bordel bon marché de la côte qu'il affectionnait tout particulièrement. C'était de ces endroits où envers et contre les meurs, Mono aimait à se ressourcer.

Le temps était clément avec notre aventurier, et il reniflait le vent, le nez en l'air, heureux de ce chemin qui s'était ouvert sur le trajet de sa destinée.

« Halte voyageur esseulé ! »

Le cri semblait sortir de nulle part, aussi Mono n'y prêta pas attention, pensa un temps que Don-Haldtrommepe avait dû éternuer et continua à rêver à sa gloire future le blase au vent.

« Manant ! Plus un geste ! »

Cette fois, le bruit avait été plus aigu, comme celui d'un essieu de charrette mal graissée, mais de charrette Mono n'en voyait nullement, et pour ce qui était de la graisse, il savait que sa monture en était assez pourvue pour que rien ne vînt jamais gripper les rouages de leur aventure.

Don-Haldtrommepe, du pas leste d'un géant traversant les montagnes pour envahir un empire agonisant, continuait imperturbable son petit bonhomme de chemin. Soudain, sans crier gare, car crier ne sert pas à grand-chose quand on a une épée à la main et que l'effet de surprise se suffit à lui-même, le royal animal sentit une pointe d'acier se poser doucement, mais avec un certain entrain, dans les replis innombrables de la peau de sa gorge gargantuesque.

Le hurlement qu'il produisit n'a pas à être retranscrit ici, car nous savons respecter l'âme sensible de nos lecteurs, mais les trolls des montagnes racontent encore que ce jour fut celui où, pris de panique ils se terrèrent plusieurs nuits durant, pensant que la fin du monde avait surgi de la plaine près de la mer. Mono ne résista pas au subit arrêt de son compagnon, et bascula par-dessus la crinière flamboyante de la bête, pour se retrouver nez à nez avec un étrange petit bonhomme au chapeau pointu, dents noircies et glaive bien en main. Pirouettant tout autour de lui, six de ses semblables, barbus comme les filets de pêche des marins des mers du Sud, agitaient leurs armes aiguisées dans sa direction. L'un d'eux semblait cependant à la fois moins pourvu de pilosité, et ses cris sonnaient plus proches de ceux d'un nourrisson qu'on arrache au sein de sa mère pour lui créer une fratrie.

« Qui êtes-vous, minis êtres pour oser comme cela stopper l'élan de l'épopée et de la gloire éternelle de l'humanité, leur aboya Mono, car il avait le sens de la définition, et sa quête n'en méritait pas moins.

– Prends garde chevaucheur de bidet ! Car nous sommes les nains de grand chemin !

Mono, dont les connaissances sur les créatures de la région étaient aussi grandes que son agacement de l'instant était intense, compris qu'il avait affaire aux fameux détrousseurs dont les bardes comptaient les rapines avec autant de craintes qu'on annonce à une belle-mère que sa soupe est trop poivrée. Il se pétrifia d'effroi, bien qu'il n'en fit rien paraître, car il avait les nerfs solides et un sphincter fragile.

– Donne-nous tes bourses ou tu tâteras de nos dards acérés !

Atteint subitement dans sa virilité par cette injonction, il porta sa main à la boucle de son ceinturon comme pour s'assurer du parfait ordre des choses. Tout était heureusement bien à l'emplacement où il devait être.

Mono ne bougea pas. Puis soudain il comprit que le minuscule bout de chair poilue qui agitait tel un forcené son aiguille à tricoter sous son œil, comme une mégère menace sa vierge fille des pires tourments, était prêt à en découdre et en voulait en fait à son or.

– Tes deux sacoches, là, donne-les-nous ! Tout de suite !

Reprenant ses esprits, Mono se redressa et toisa la bande qui lui faisait face. Don-Haldtrommepe, terrifié, vibrait comme s'il avait reçu un appel d'une force obscure.

– Je suis Mono, héros certifié, vous faites obstacle à ma quête, et il vous en coûtera de ne pas me laisser continuer mon chemin paisiblement !

– Qu'est-ce donc que cette étrange bête que tu es ? jeta le moins touffu de ces perturbateurs de sa voix haut-perchée, mi-homme-hirsute, mi-goret, est-ce que tu es un de ces centaures porcins venus des montagnes de l'Est ?

– Je suis ce que je suis, s'emporta Mono, et ce que je suis n'a pas besoin de s'excuser d'être auprès de vous !

– Tu as compris quelque chose ? souffla celui qui tenait une masse d'arme à son voisin immédiat.

– Rien du tout, reste concentré ! lui rétorqua ce dernier.

– De ma fidèle Khastrô, je m'en vais vous embrocher comme les sept petits reliquats d'erreurs de la nature que vous êtes ! Je ne le demanderai pas une fois de plus, qui pensez-vous être pour vous montrer face à moi comme sept crottes de boucs malodorantes ?

– Nous sommes les nains détrousseurs de bourgeois, horreurs et malheurs des fortunés ! vociféra l'un d'eux qui semblait à la fois être affublés des faux-cils et être complètement marteau.

– Nous sommes, reprit le nain tout de suite à côté de celui qui tenait Don-Haldtrommepe en respect, les sept nains issus de la seule portée qu'engendra notre illustre aïeul Heugeaineleu, potier des rois, dont la semence fit, de deux jets, taire tous les autres prétendants qui gravitaient autour de notre sainte mère, l'aigle Lise, vénérée maîtresse des airs et des champs de sons.

Tous les nains se mirent à hurler ensemble des hourras glorieux, en se cherchant du regard les uns les autres comme pour se congratuler de leur propre existence.

Mono ne broncha pas. Sa main imperceptiblement, et profitant du désordre causé par le discours de celui qui semblait être le leader de ses assaillants, avait saisi le pommeau de Khastrô, qui dévouée, se préparait à nouveau à répandre un carnage de chairs mêlées de poils drus.

– Je suis Ernie, dit le leader.

– Donnie, la masse d'arme.

– Cunnie, son voisin.

– Gémie, c'était celui aux faux-cils.

– Alie, qui tenait le majestueux cochon en respect.

– Alia, c'était le moins poilu.

– Flappie ! dont Mono n'avait pas remarqué jusqu'alors la présence.

Ils avaient annoncé leurs noms dans un ordre et avec une mélodie dans la voix qui démontraient qu'ils avaient répété cet instant dans leur tanière durant des heures. C'en était presque symphonique, bien qu'on y sentit un ton vindicatif.

– Quelle drôle de mise en scène vous me faites là, vous êtes aussi pathétiques que les comédiens ambulants de ce théâtre où le grand acteur Khôll cause parfois, mais laisse surtout la place à de moins doués camarades, s'énerva Mono. Car il aimait ce théâtre et cet acteur et ne supportait pas la déchéance dans laquelle il s'enfonçait, mais ce n'était pas le sujet.

– Tais-toi, intervint de nouveau Ernie, nous lutterons comme des forçats, jusqu'à la fin, pour qu'internationalement les nains deviennent le genre humain dominant ! En attendant, nous volons aux aisés pour distribuer leur fortune mal acquise aux créatures nécessiteuses.

Mono n'avait pas compris un traître mot de ce discours abscons, mais ne comptait pas marcher dans leur combine. Sa bourse lui était aussi précieuse que l'était le trésor de ses parties, et il était paré à faire front. Il eut envie de leur hurler à nouveau de s'en aller, il avait en lui des propos sur le point à jaillir qui auraient pu effrayer les plus téméraires des bandits, mais su, comme un vrai Prôh, les taire. Les Prôhs étaient en ces temps reculés, un peu comme nos professionnels d'aujourd'hui, des êtres reconnus pour leurs compétences dans un domaine. Et celui de Mono entre autres merveilleuses compétences était de savoir se maîtriser.

Vif comme l'éclair, il défourra Khastrô, prête à trancher tout sur son passage. L'étincelle que sa sortie du fourreau envoya dans l'œil de Don-Haldtrommepe, le fit se cabrer, ce qui, croyez-le, nécessitait que ses muscles des membres arrière aient été bien préparés à cet événement soudain. Ce n'était pas le cas, et le titan des basses-cours s'affala moelleusement sur son flan. Y'avait-il d'autres manières plus superbes de s'affaler? C'en fut d'une beauté émouvante. Le héros aux bourses convoitées s'en retrouva projeté par un rempli de graisse sursautant sous la pression du corps du porcin, à quelques encablures de là. Les nains furent surpris, et Mono furieux. Ils le regardèrent, il les dévisagea, les sept à la fois, ce qui n'était pas une mince prouesse, ils grognèrent, il cria et se redressant, montra à cette troupe décidément aussi téméraire qu'un jouvenceau devant une lointaine cousine trop entreprenante, qu'il ne se laisserait pas couper les sacoches facilement.

Les nains comprirent que l'affrontement ne tournerait pas à leur avantage. Don-Haldtrommepe s'était déjà remis, et sa chute l'avait rendu fou. La bave qui coulait de ses babines finit de convaincre les petits êtres de prendre la poudre d'escampette, leurs jambes à leurs cous, et tout ce qui traînait à porter de leurs mains, en bons voleurs qu'ils étaient.

Mono sauta à dos de Don-Haldtrommepe et, Khastrô toujours au poing, lui intima l'ordre de charger à la suite des minuscules fuyards. Malgré leurs courtes guiboles, ces derniers se montraient particulièrement véloces, et les pattes de la bientôt légendaire monture ne rivalisaient que de justesse avec ces insignifiants malandrins. Qu'importait, l'honneur devait être sauf et leurs têtes tranchées.

Surgissant de l'horizon, Mono vit une colline rocheuse se rapprocher rapidement d'eux, c'était certainement l'inverse et notre équipage qui se rapprochait de la colline, mais cette licence poétique apporte ici au récit et à la nature presque divine de notre protagoniste, une dimension supplémentaire qu'aucun historien n'a jamais remise en cause. Au pied de cette éminence, une ouverture dans la pierre noire : la grotte ! La tant attendue anfractuosité était juste là de l'autre coté de la troupe fuyarde des sept bonnets pointus qui galopaient toujours à bonne distance, et qui s'y engouffra.

Mono fit s'arrêter Don-Haldtrommepe. Il fallait qu'il se prépare. Il mit pied à terre, saisit quelques vivres, une lampe à huile, caressa la crinière de son compagnon qui lui grogna son affection, puis se dirigea vers l'entrée. Il comptait bien dans ces souterrains réussir la quête qui l'avait amené sur cette route de la destinée, et rattraper ces petits impertinents pour finir de leur apprendre qui il était.

Mono s'avança vers le trou béant et sombre, et posa le pied gauche, car cela portait bonheur, dans la grotte.

[et toi lecteur : trouve l'easter egg et tu seras déifié !]

(to be poursuivie)

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