La pierre

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En franchissant la porte de la boulangerie, Ed déclencha le tintement d’une sonnerie : « ding-dong ».

La boulangère se tourna vers lui :

— Monsieur, vous désirez ?

— Une baguette s’il vous plaît !

— Ça vous fera quatre-vingt-cinq centimes.

Edward plongea la main dans la poche de son pantalon à la recherche de quelques pièces. En découvrant la poignée de monnaie récupérée, il se figea.

« Qu’est-ce qu’elle fait là cette pierre !? Marianne l’avait jetée à travers la chambre ! Bordel, je l’ai sûrement récupérée quand j’étais bourré ? »

La dame le tira de sa rêverie en déclarant :

— Monsieur, vous allez bien ?

— Heu, oui, excusez-moi, j’étais dans la lune ! Voilà un euro.

— Et quinze centimes pour vous. Merci et bonne journée.

— Au revoir .

Sur le trajet du retour Edward gambergeait toujours.

« Est-ce que j’ai utilisé la pierre ? J’ai peut-être franchi le pas, mais je me rappelle de rien. »

« Si je suis toujours ici, c’est que Marianne avait raison, tout ça c’est que du pipeau. Les songes restent des songes. Si ça aurait marché, je me serais réveillé à l’autre bout du monde. Mais qu’est-ce que je raconte bordel, j’vais finir cinglé ! »

Perdu dans ses pensées, Ed rentra chez lui, Marianne lui sauta au cou, elle était habillée et prête à partir. À la hâte, elle expliqua :

— Mon cœur, une amie m’a appelé pour m’inviter à un cours de salsa. Elle passe me prendre dans quelques minutes en bord de Saône. Je te laisse ! On se voit sûrement demain. À très vite.

Avant qu’il ne puisse prononcer un mot, ses lèvres pulpeuses se posèrent sur sa bouche. Cheveux virevoltants, parfum enivrant, elle s’élança sur le palier et dévala les escaliers. Maintenant, il était seul ! Elle était comme ça Marianne, capable de s’en aller d’une minute à l’autre pour faire des activités de toutes sortes avec des gens très différents. Lui était de nature plus réservée, il avait du mal à trouver sa place dans les groupes. À l’école primaire et au collège, il était toujours un des derniers à être choisi pour rejoindre les équipes dans les activités sportives.

Il sentait un vide, à peine partie, Marianne lui manquait déjà et une envie germa dans son esprit. Il glissa la main dans sa poche pour en sortir la pierre, puis il s’allongea sur son lit. Serein, Ed ferma les yeux et il se remémora des passages du « Dream Journal ».

Le rongeur tendit une pierre et baragouina :

— Voici ton échappatoire. Avec, où tu veux être, tu seras.

Tenir la pierre dans le creux de sa main pour sentir cette chaleur apaisante, c’était l’objectif. Pour cela, il fallait se rappeler des sensations du rêve et penser à une destination, la place Bellecour à Lyon fera l’affaire.

Ayant déjà traversé cette place, il essaya de la visualiser dans son esprit. La statue de Louis XIV, le sol ocre, les stations de métro, l’agencement des rues. Progressivement, comme un peintre, Edward ajoutait des petites touches pour amener du volume. Il commença par le fond de la toile pour terminer par le premier plan, puis, se surprit en voyant arriver des passants et perdit le contrôle de son tableau. Les coups de pinceau affluaient et les détails fourmillaient. Dépassé, son imaginaire s’emballait, l’ambiance lumineuse de la scène était impressionnante, il naviguait dans son œuvre. Il était ébloui et entendait des murmures, tout devenait confus. Sensation de légèreté, flottement, vide total, noir absolu.

Lourdeur, courant d’air, les murmures étouffés se transformèrent en paroles. Se sentant perdre pied, il décida de se réveiller. Sa conscience força son imaginaire et il brisa le rêve.

Edward ouvrit les yeux. Il était à Lyon, place Bellecour ! Un passant le bouscula avant de s’excuser brièvement et de reprendre sa route. Il resta là hébété. Personne ne semblait faire attention à lui. Rêvait-il ? Désorienté, il constata que tout était réel. Il y avait des mégots par terre, la rue était sale et en se pinçant, il ressentait la douleur. C’était incroyable, il venait de parcourir trente kilomètres juste en fermant les yeux, il exultait. Oubliant la faim, la soif, il flânait dans Lyon, et troublé, il voyait le monde différemment. En regardant son téléphone, il se rendit compte qu’il était dix-sept heures. Une bouffée de stress l’envahit, comment allait-il rentrer ? Il s’affala sur un banc, saisit la pierre puis il pensa aux bords de Saône à Trévoux, mais il se ravisa aussitôt. Et si les passants le voyaient disparaître ? Il se ressaisit, personne ne l’avait vu venir Place Bellecour ! Edward ferma les yeux et se concentra. À proximité, un gamin hurla : « Maman je veux des bonbons », et il perdit son attention. « Rentrer sera plus compliqué que prévu » songea-t-il !

Il essaya de se téléporter dans des endroits isolés, sans succès. Garder son calme lui était impossible. Il dut se résoudre à rentrer en train en direction de Villefranche sur Saône. L’objectif c’était d’atteindre une gare proche de Trévoux. Après, il marchera sur une dizaine de kilomètres…

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