Un retour attendu

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Vendredi à treize heures, dans son appartement, Ed se baissa et tira la malle sous son lit. Le rituel commença, puis tout excité, il quitta ses habits du quotidien pour enfiler la tunique orangée adorée des Lyonnais.

Devant le miroir, le jeune homme s'amusait à positionner sa barbe postiche et sa perruque. Il était méconnaissable, c'était parfait. Pieds nus, il sauta dans les sandales du magicien et il s'empara du baluchon. Edward devra rester muet et respecter son tour à la lettre pour ne pas se trahir, désormais, il était Sadjo Bel. Il serra la pierre dans sa main et les paupières closes, il visualisa sa destination.

Chaleur intense, noir total, lourdeur, en ouvrant les yeux Ed se retrouva proche de l'hôtel-Dieu et il pouvait distinguer le Rhône. D'un pas tranquille, avec son baluchon, il se dirigea place Bellecour et remonta la rue de la République pour atteindre la place Louis Pradel. Sur le chemin, il ne passa pas inaperçu. En vingt minutes, les citadins et les médias furent tous informés de son retour.

Quand, il arriva sur la place, beaucoup de riverains et de touristes l'attendaient et il fut accueilli comme une star. Des policiers étaient présents pour contenir la foule et éviter les débordements. Malgré de nombreux regards braqués sur lui, calmement, il déplia son baluchon puis il installa la structure métallique. Il ne lui restait plus qu'à la recouvrir avec la toile opaque.

Après quelques ajustements, il songea : « Voilà ! Tout est prêt, le tour peut enfin commencer ». D'un geste de la main, Ed écarta le rideau pour se glisser dans la cabine. Concentré, il ferma les yeux et se retrouva dans une remise. Au centre de la pièce, des tables et des chaises étaient mis en évidence. Ses dernières étaient empilées tête bêche. Le jeune homme souleva deux chaises et yeux clos, il s'éclipsa. Lourdeur, brouhaha, retour à la réalité. Arrivé à Lyon avec les chaises Edward traversa la toile. Il fut accueilli par une vague d'applaudissements. Le public était en liesse, Sadjo Bel faisait fureur. Face à la foule enthousiaste, il recommença l'opération quatre fois.

Avec une gestuelle fluide et travaillée, Edward s'engouffra derrière la toile pour se volatiliser, black-out. Dans la remise, chaque seconde était comptée. Ed s'empara d'une table et cligna des yeux en visualisant sa destination. Sensation de légèreté, noir total, pesanteur. Dans la cabine, il tenait tout juste avec la table. La précision de son pouvoir l'étonnait encore.

L'illusionniste sortait victorieux de la structure en tirant délicatement une table. Devant des spectateurs ébahis, le magicien répéta une seconde fois le processus. Avec une chorégraphie millimétrée, il aligna les deux tables sur la scène et les recouvrit d'une nappe. Ensuite, il plaça délicatement les chaises autour. Après cette besogne, Edward scruta attentivement son public. Il s'engouffra dans la foule et avec politesse, il invita plusieurs individus à venir sur scène. Parmi eux il y avait des habitués et des nouveaux venus. Une fois tous les convives en place, Sadjo Bel traversa la cabine pour en ressortir avec un plateau chargé de vaisselle. Il enchaîna en dressant la table avec une facilité déconcertante et fila derrière la toile pour chercher le plat de résistance.

Yeux clos, légèreté, destination Trévoux, noir absolu. Ed était dans une cour intérieure. Il marcha tranquillement jusqu'à une entrée et secoua doucement un carillon. Une vieille dame ouvrit la porte et le salua. Derrière elle, une marmite imposante reposait sur une servante à roulette. Ed passa le seuil pour empoigner le plat et déclara :

— Tu es géniale Gisèle ! Merci pour tout !

Ils échangèrent un clin d'œil complice et la porte se referma. Les bras chargés, le jeune homme se volatilisa.

Place Louis Pradel, la toile s'agita pour faire apparaître Sadjo Bel qui portait une marmite bien lourde. Acclamé par la foule, il continua son tour. Ed n'avait aucune idée du contenu car Gisèle tenait à garder le mystère sur ses recettes. Sous le regard attentif des invités, il posa la marmite sur la table et souleva le couvercle. La senteur du plat était exquise. Ed sourit en découvrant un bœuf bourguignon accompagné de pommes de terre, elle avait assuré !

Les applaudissements s'intensifièrent et le public scanda « Sadjo, Sadjo, Sadjo ! ». C'était un triomphe et Ed profita de cet instant magique pour servir les invités. Pendant que ses convives se régalaient, il plaça en bord de scène une pancarte « entracte » et plusieurs corbeilles pour la collecte de fonds. Assis en tailleur et savourant sa réussite, il entendait les pièces tomber abondamment dans les panières. Il aura largement de quoi rembourser Gisèle pour ce formidable repas et le reste, il le mettra de côté. Tendu et fatigué, il se sentait faiblir. Ed se frotta le front, il avait mal crâne. C'était pas grand-chose mais ça le perturbait. Avait-il trop forcé ?

Après avoir goûté aux fromages, les convives remercièrent le magicien et retournèrent dans la foule pour assister au clou du spectacle. Ed ramassa les panières chargées de pièces et de billets.

Dans la cabine, il utilisa la pierre pour se téléporter dans son appartement. Arrivé sur place, il déposa l'argent sur une table, puis en se concentrant, il s'envola pour Lyon. Il avait une représentation à terminer.

Arrivé sur scène le jeune homme commença sa chorégraphie. Avec grâce, il rangea les assiettes et les verres. Douleur intense, maux de tête, il vacilla un instant avant de se reprendre puis il posa les couverts dans la cocotte en fonte.

Allez, courage ! Le spectacle est bientôt terminé ! se répétait-il.

Le magicien souleva la marmite pour se tourner face au public. Chaleur intense, pierre brûlante, Ed se sentait partir. Déséquilibré, il s'écroula avec fracas. Par terre, l'illusionniste tenait sa tête entre ses mains. En tentant de résister à l'appel de la pierre, il convulsait et poussait des cris déchirants. Incrédules, les gens assistaient à la scène.

Lorsque les spasmes s'arrêtèrent, au sol, il ne restait plus que les vêtements, les tatanes, la perruque et la barbe postiche du magicien. Tétanisé, le public venait d'assister à la disparition de Sadjo Bel. L'illusionniste n'était plus et place Louis Pradel, une incompréhension totale s'installa. Des murmures s'élevèrent pour laisser place à une agitation sans précédent. Que venait-il de se passer ?

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