Chapitre 7 - Tyran et Justice (1/4)

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— Serena, du raisin ! Encore !

La jeune Karin frémit et se dépêcha d'apporter, les mains tremblantes, la corbeille de fruits à l'homme qui venait de cracher ces mots. Le teint rosâtre de la jeune fille tourna légèrement au magenta. Elle frémit de nouveau lorsque l'homme attrapa la grappe avec ses mains grasses et monstrueuses. Une bague en diamant scintillait sur son annulaire gauche.

L'homme était avachi sur un canapé, entouré de coussins en soie. Il engloutit le raisin en aspergeant sa chemise et barbe de jus. Sa mastication bruyante rendait le spectacle encore plus horrible.

Lorsque l'Humain eut terminé, celui-ci ordonna.

— Va me chercher une bouteille de millésime de Saon, dépêche-toi !

La petite courra vers le couloir qui lui semblait être à des kilomètres d'elle. La maison de son maître était immense. Ce dernier passait une grande partie de ses journées dans cette grande salle qu'il appelait « la Salle des Affaires. »

Celle-ci était gigantesque et soutenue par quatre piliers en marbre placés aux quatre coins de la pièce. Face à l'entrée se trouvait le trône du maître de maison, qui recevait ses futurs collaborateurs... Ou ses futurs esclaves. Entre la porte et le trône était déroulé un tapis rouge. Sur les côtés de la salle se trouvaient des couloirs menant aux autres pièces de la maison. Mais cette dernière ayant des proportions démesurées, chaque distance que devait parcourir la Karin lui paraissait interminable.

Les couloirs étaient tellement longs qu'il était difficile d'en voir le bout. Lors de ses premiers jours ici, la Karin se perdait souvent. Les violentes punitions qu'elle reçut pour ses retards de service la forcèrent à apprendre par coeur le plan de la maison.

Elle déposa la corbeille de fruits aux cuisines et continua son chemin vers la cave. Elle passa rapidement devant la chambre de son maître qui lui rappelait de mauvais souvenirs.

Lorsqu'il ne travaillait pas, l'Humain aimait passer du temps dans sa chambre à jouer avec ses esclaves, garçons comme filles. Il aimait les regarder dans des positions embarrassantes avant de les violer sans gêne. Il les frappait s'il voyait une quelconque opposition. La jeune fille s'était résigné à se laisser faire, pleurant après chaque nuit passée avec lui.

Descendant d'un étage, la Karin tomba sur le hangar dans lequel son maître conservait tous ses vaisseaux spatiaux. L'homme avait la plus grande collection de la planète et en était fier.

La petite poussa l'imposante porte du hangar et avança de quelques pas pour observer les machines scintillantes éparpillées sur une surface immense.

Les vaisseaux étaient récurés quotidiennement, bien que son maître ne les utilise pas. Serena posa sa main sur la coque d'une grande navette argentée. Son visage marqué se reflétait sur les vitres de l'avant du vaisseau. Elle venait souvent ici pour rêver un peu. Elle espérait qu'un jour, quelqu'un vienne la chercher et l'emmener loin d'ici. La Karin n'avait jamais rien vu d'autre que la misère et le sable de Mosmo Era. Imaginer qu'il existait des mondes meilleurs ailleurs l'empêchait de devenir folle et lui donnait de l'espoir.

— Tu ne devrais pas rester ici, Serena, fit une voix fluette dans son dos.

Elle sursauta puis se retourna brusquement. Elle failli tomber car, sans s'en rendre compte, elle était monté sur l'escabeau près du vaisseau, prête à monter dedans. Derrière elle se tenait Sacha. Le petit Zantry s'occupait de nettoyer le hangar depuis le départ d'Edward. Il était plus jeune que la Karin mais sa carrure était large. Malgré son visage d'enfant, il était costaud et robuste. Le garçon avait un torchon sale dans une main, et un seau d'eau jaunâtre et trouble dans l'autre. Il venait vraisemblablement de terminer de récurer un des nombreux vaisseaux du hangar.

— Je sais bien, Sacha, mais comme j'allais à la cave, j'en ai profité pour venir ici.

Le Zantry allait répondre lorsqu'une voix puissante les fit trembler tous les deux.

— SERENA !

L'appel, bien qu'étouffé par le béton, fit vibrer la pièce. Le visage de la Karin tourna au blanc et se figea. Sacha s'exclama.

— Dépêche-toi ! Le maître va encore s'énerver, tu sais comment il est.

La jeune fille acquiesça et se mit à courir en direction de la porte. Elle sortit du hangar puis continua vers les escaliers qui menait à la cave, où l'Humain entreposait tous ses alcools. Survolant les étagères, elle prit la bouteille demandée et remonta rapidement.

La Karin sprinta en faisant de son mieux pour ne pas faire tomber l'énorme bouteille qu'elle devait tenir à deux mains. Elle attrapa un verre en cristal dans la cuisine puis revint dans la salle principale où son maître se trouvait.

Elle se dépêcha de déposer le verre sur la petite table en bois verni près du canapé. Elle commença à verser le breuvage, mais c'était déjà trop tard.

Son maître s'était levé. Son visage était rouge de colère et son expression était sombre. La jeune fille eut à peine le temps de finir de remplir le verre qu'elle reçut une gifle en plein visage. Le coup la projeta dans les escaliers, face à trône. La bouteille lui échappa des mains et éclata en morceaux sur le sol. La jeune fille sentit une douleur la lancer dans sa cheville, en plus de la joue, mais elle se releva tout de même. Sans attendre d'ordre, elle ramassa le plus de bouts de verre qu'elle put, en évitant soigneusement de se couper, et les emmena dans la poubelle de la cuisine. Une autre esclave l'aida à nettoyer le vin sur le sol pendant que l'Humain pestait et les insultait de tous les noms, leur expliquant que le tapis rouge était maintenant devenu bordeaux et qu'il ne recouvrait jamais sa couleur d'origine.

Des larmes avaient commencé à couler le long des joues de la jeune Karin mais elle les essuya rapidement. Elle jeta les serviettes enduites d'alcool dans la poubelle et alla dans sa chambre. Elle se coucha sur son lit et blottit sa tête contre l'oreiller. Elle ne chercha plus à retenir ses larmes et éclata en sanglots. Elle ne pouvait plus s'arrêter. Les larmes venaient à elle naturellement, rien qu'en pensant à quel point Sylfan était un monstre.

L'esclave avait réparé sa faute et était retourné dans sa chambre, mais sa bêtise avait mis en rogne l'aristocrate.

Sylfan prit une grande inspiration et s'assit dans son canapé. Il avait encore quelques rendez-vous à traiter avant de pouvoir aller se détendre un peu.

— Suivant ! Cria-t-il à ses gardes qui ouvrirent la porte principale pour laisser entre un couple de marchands Taeil à l'apparence paysanne.

Leurs habits miteux et leur visage noirci par la crasse arracha une expression de dégoût à l'aristocrate. Le couple s'avança lentement vers le trône au centre de la pièce. Leurs chaussures boueuses laissaient des traces marrons sur le tapis rouge. Ils se mirent à genoux devant Sylfan, s'inclinant en avant jusqu'à ce que leur front touche le sol.

L'aristocrate n'avait aucun doute. Ils voulaient lui vendre quelque chose et ils espéraient en tirer le meilleur prix. Il leur indiqua d'un signe de main qu'ils pouvaient se relever et commencer à lui exposer leur problème. L'homme prit la parole.

— Maître Sylfan, nous sommes de pauvres vignobles venus de loin pour vous offrir la crème de notre production aux meilleurs prix. Nous avons une délicieuse collection de vin rouge d'Irfily...

— Irfily ?! Coupa l'aristocrate en s'étouffant presque avec un petit four que venait de lui apporter une jeune esclave, c'est une planète du système Elenor, non ?

— C'est exact monseigneur, répondit le paysan, étonné par cette question soudaine.

Sylfan se leva brutalement et cracha au visage de l'homme qui ne frémit pas.

— Voilà ce que je pense du vin de votre système, pesta l'aristocrate, même la pisse de nos esclaves a un meilleur goût.

— Monseigneur, ne vous méprenez-pas, dit la jeune femme, chaque planète produit des vins différents car son orientation par rapport à l'étoile n'est pas la même. S'il-vous-plaît, je vous en supplie, goûtez au moins une bouteille.

Elle avait terminé sa phrase à genoux, en priant l'aristocrate d'accepter. Celui-ci rétorqua, impassible.

— Vous cherchez à m'empoisonner, c'est ça ? Ce sont d'autres bourgeois du bas peuple qui vous envoie m'assassiner ?

— Détrompez-vous, monseigneur, intervint l'homme, nous ne sommes que de simples paysans cherchant à gagner notre pain.

— Soit ! L'arrêta Sylfan de la main, je vais faire venir mon goûteur. S'il apprécie votre produit, je m'y tenterais aussi, mais si votre vin à un goût ignoble, n'essayez même pas de revenir ici la saison prochaine. Compris ?

— Compris ! Répondirent à l'unisson le couple en s'inclinant une nouvelle fois. Merci pour votre considération.

Ils sortirent un moment de la salle et revinrent avec un tonneau brun marqué de leur nom : Carpason. Sylfan appela l'un de ses esclaves, Sam, qui s'occupait des cuisines. L'enfant Humain était joufflu, assez large, et avait une connaissance du goût et des odeurs incomparable. Il aimait tout manger et boire, et était donc le cobaye idéal.

Le paysan servit le vin dans une coupe en argent et la tendit à l'esclave. La jeune femme avait l'air horrifié.

— Est-ce normal de faire goûter de l'alcool à un enfant ?

Sylfan eut envie de la gifler pour son insolence mais se retint.

— C'est ma maison, ici, c'est moi qui décide qui à quel rôle.

Il ordonna à Sam de boire le verre et le garçon s’exécuta aussitôt, presque machinalement. Il avala tout d'une traite et la chaleur de l'alcool dans sa gorge lui arracha une violente toux. Il se plia en deux, se tenant le ventre avec une expression de douleur. Sa tête avait viré au cramoisi.

— Poison ! Hurla Sylfan en pointant le tonneau du doigt.

— Attendez un peu, s'exclama la femme, ce n'est qu'un enfant, il ne pas avoir l'habitude de boire ça.

Après quelques minutes, l'esclave se redressa en se raclant la gorge. Tous le fixèrent en attendant son verdict. Ses yeux étaient sur le point de pleurer. Il inspira profondément et déclara.

— Âpre au palet, peu de goût. L'alcool cache trop le sucré du fruit. L'arrière-goût est assez dérangeant. La conservation est à revoir et la distillation a été négligée. Il se tourna ensuite vers son maître et continua.

— Le rapport qualité-prix n'est pas assez intéressant. Je peux l'utiliser pour mes plats mais impossible de le boire, trop peu raffiné.

L'aristocrate regarda le couple de marchands et déclara.

— Vous avez entendu mon goûteur ? Votre vin n'est pas digne de toucher mes lèvres. Vous pouvez donc récupérer votre jus de raisin et rentrer chez vous. Ou aller dans les quartiers pauvres de cette ville vendre votre camelote pour quelques solaires.

Sylfan avait déjà pris sa décision et commença à appeler les gardes, mais les marchands insistèrent pour négocier. La femme s'interposa.

— Attendez ! Goûtez encore un verre ! Notre vin peut avoir un goût particulier au premier abord mais il est bon.

L'expression sur le visage de l'esclave confirma la pensée de Sylfan. Le vin ne valait même pas la peine d'être goûté une deuxième fois.

Sans même prêter attention à la marchande, il indiqua à ses gardes de les saisir et de leur montrer la sortie. L'homme souhaita tout de même offrir le tonneau de vin à l'aristocrate en lui disant qu'il pouvait toujours le contacter si jamais il changeait d'avis. Sylfan accepta à contrecoeur, pour rester poli.

La femme continuait d'insister pour vendre son produit, et au fur et mesure qu'elle se faisait emmener par les gardes, elle commençait à pester et à insulter l'aristocrate d'un vocabulaire très varié.

Sylfan n'entendait rien et les regarda partir avec un léger sourire, puis, quand la porte fut refermé, il ordonna de jeter le vin dans les égouts et de mettre le tonneau à brûler dans la cheminée. Il renvoya Sam aux cuisines d'un coup de pied aux fesses et recoiffa son bouc.

Un nouveau rendez-vous l'attendait.

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