Fin de vice

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La voix résonne encore dans ma tête. Ils sont toujours obligés de gueuler quand on s'apprête à les butter... J'ai joué un peu le syndicaliste l'autre fois, j'ai demandé au patron savoir s'il n'y avait pas moyen de les égorger ou de leur couper les cordes vocales, ou je sais pas quoi, je ne suis pas médecin. Mais nan, pas moyen. Il a dit : la terreur, les cris, ça fait aussi parti de la mise en scène. C'est pas faux, que je lui ai répondu.

Le chef, Pépé, comme on l'appelle tous, c'est un sacré gars. Avec tous les mecs timbrés qu'on est, il a plutôt intérêt. Il s'est fait connaître dans le milieu en buttant tous ceux qui avaient le business auparavant, ceux de l'Est. Lui venait d'Alençon. Ouais, ça en jette moins, mais en dix minutes, leurs effectifs sont étrangement passés de douze à zéro. Sachant que nous, on fait un peu de tout, on descend des gars, on suit des conjoints, on cherche des personnes disparues, on vend de la drogue... Bref, polyvalents. Notre éthique par contre : pas les putes. Pépé raconte souvent que sa mère a dû faire ça dans sa jeunesse car dans les années 60, quand tes parents sont morts et que tu as des origines étrangères, tu peux aller te faire foutre pour avoir une quelconque aide. Alors le proxénétisme non, on ne mange pas ce pain là. Moi je comprends, j'aime pas ça, de toute façon ici on est tous un peu acteur... Celui qui sait pas séduire une nana n'a pas sa place.

J'interroge ce type qui a gueulé depuis deux heures. Il ne raconte rien. On sait tous qu'il est en liaison avec une bande de types de l'Est qui veulent nous descendre. Des cousins des précédents propriétaires du fameux marché.

— Alors, il te reste trois secondes, après c'est tant pis, on fait les recherches nous-mêmes. Trois... Deux...

— Ok, on s'arrête là. Je vais tout te raconter Eugène, mais j'ai une requête, interrompit-il.

— Tu es le premier qui me coupe à deux, tu sais, ça c'est pas banal. Une fois il y en a un qui m'a tout raconté, alors qu'il avait déjà le couteau de planté. J'ai toujours pensé qu'il était quand même un peu bizarre. Toi t'es un original. En plus tu m'adresses une requête, ça, ça arrive de temps à autre. Là tu perds un point, mais je t'écoute, dis-moi tout.

Je m'approche tranquillement de lui en disant tout ça. Ce n'est pas vraiment honnête, je veux le pousser à s'attacher, à en avoir marre de moi, mais un peu confiance. Mais pas trop... Un jeu, en somme.

— Euh... Je veux bosser avec vous tous, j'en ai rien à foutre d'eux, ils m'ont obligé à travailler pour eux, se plaint-il.

— Tu te rends compte que, de base, tu viens pour nous niquer quand même ? Nous on est entraîné, on les voit les mecs qui viennent poser des trucs qui vont nous péter à la gueule, autrement, bah ça l'aurait pas fait.

— Oui... Oui... Mais je n'ai pas le choix, ils détiennent ma femme, me confie-t-il en baissant la tête.

Ce con commence à chialer.

— Ah les enculés. Je vois bien le truc. Ok, tu sais quoi, je vais tous les niquer et la récupérer, ils sont où ?

— Je... Je sais pas si c'est une bonne idée. Tu ne feras pas le poids, me fait-il, inquiet.

Je ris sur le moment. Je crois qu'il ne sait pas qui je suis. Une piqûre de rappel s'impose.

— Ahah ! Tu sais qui je suis gamin ? On dit souvent que toutes les grandes inventions viennent de la France. Eh bien voilà, je suis un des grands inventeurs. Tu connais l'opération "Black Shadow" ? Pour faire simple, il s'agissait d'une opération pour déstabiliser les gangs en place, en l'occurrence au Salvador et dans le reste de l'Amérique Centrale. L'idée vient de moi, on forme des gars pour abattre les cartels. Officiellement, ce sont des gars de l'armée et des flics qui font justice eux-mêmes. Officieusement, le but est de former des mecs solides avec l'aide de la CIA, leur apprendre à reprendre le business des cartels en disant instaurer enfin une paix sociale tant voulue. Forcément, les États sont plutôt pour, étant donné ce que ça rapporte. Je te cache pas que les méthodes sont musclées, ce que j'ai fait avec toi n'existe même pas, pour faire parler, la première étape est la brûlure au fer rouge. Bref, pourquoi je te raconte tout ça déjà moi ? Ah ouais, donc tu crois que je fais pas le poids ? Cette blague. Tu as leur numéro ?

— Oui, tiens, prends mon téléphone, c'est Alex, dit le prisonnier en me tendant son téléphone.

— Et son vrai nom ?

— Je ne le connais pas, je sais juste qu'on l'appelle Alex, me répond-il en essuyant son sang sur sa tempe.

— Ok j'appelle... Allô, je voudrais parler à Alex. Ah c'est toi ? Eh bien nous avons ton ami avec nous. Ouais. Je voudrais juste récupérer sa femme... Ok alors on va changer de ton : ici c'est chez Pépé. Tu connais "Black Shadow", comme tous les mecs de ton espèce je suppose ? Eh bien c'est moi. Sache que si tu fais du mal à cette femme, ou si tu cherches à continuer de nous ennuyer, ça pourrait très mal se passer pour vous tous... Toutes les têtes finissent par tomber. Eh bien ? Tu dis plus rien ? Ne t'inquiète pas, on vous buttera pas si vous la relâchez et que vous partez ailleurs. C'est compris ? Ok super, merci. J'aime beaucoup quand ça se passe comme ça. Je vous laisse nous amener ce qu'il faut. Pour information, vous pouvez aller au Nord de Paris, on gère l'Est. Mais le marché est un peu plus tendu, en partie car on l'a détendu nous... Bref, j'attends la femme d'ici dix minutes. Si elle n'est pas là, j'envoie tout le monde sur votre cul. Adios.

— Mais t'es malade ? Et s'ils s'en foutent et se barrent ? demande-t-il.

— Ah parce que tu crois qu'on va les laisser partir ? Tu dis qu'ils sont combien ?

— Au moins six. Pas plus d'une vingtaine. Ancienne usine Timaris à Bobigny, me précise-t-il.

Je sors le FAMAS d'un coffre, déjà chargé. Les vingt-cinq balles feront l'affaire. Allez, je me lance un petit défi : en utiliser que dix, même si j'en ai vingt-cinq. Comment on obtient un FAMAS avec des munitions ? Rien de plus simple quand on a bossé avec la CIA.

Je grimpe sur ma Peugeot 103, et je roule jusque là-bas, l'arme dans un sac de tennis. Je croise un taxi avec une nana dedans. Sans aucun doute le colis. J'arrive sur les lieux : un jeu d'enfant. Personne ne garde l'extérieur... Je tourne autour du bâtiment avec un bidon d'essence que j'ai toujours sur ma mobylette au cas où. Je jette une allumette. Très vite, le bâtiment commence à cramer. Des junkies en sortent en titubant.

— Merde. Merde. L'enculé de merde. Putain. Il faut vite que j'appelle le QG... Allô Pépé ? Ouais. Le mec que j'interrogeais s'est foutu de ma gueule ! Je dois rentrer au plus vite !

— Oui, il est toujours là. Ah attends j'arrive, un taxi est là ! me répond Pépé.

— Pépé ! Non, n'y vas pas ! C'est un pu... C'est un piège ! gueulé-je comme un sourd dans ce foutu combiné.

Je monte sur la mob' et j'y vais à toute vitesse. En même temps j'appelle André via kit mains libres.

— Ouais, Dédé ? T'es au QG ? Assure-toi que tout aille bien s'il te plaît, articulé-je avec le bruit de la bécane derrière.

— Oh mais tout va bien... Rassure-toi, me répond une voix fourbe.

— Oh putain, c'est toi la baltringue ? Je t'assure que si tu touches à un seul de mes potes, ça va mal se passer pour toi ! menacé-je.

— Marrant, car les flics ont du recevoir un appel anonyme d'un terroriste se promenant avec un sac de tennis sur les épaules, contenant en fait une arme de guerre ainsi que des bombes, selon le signalement. Il se dirigerait maintenant en direction du centre de Montreuil. Drôle non ? se fout-il de ma gueule.

Pépé avait toujours été clair, jamais les bleus. Je veux vraiment respecter ça. J'emprunte des petits chemins.

— Eh toi ! Arrête-toi ! hurle un policier en me pointant avec son arme.

Je continue mon chemin, je sais qu'il ne peut pas tirer grâce à l'indication de la présence de bombe, je frôle les immeubles et continue. Je ne me fais pas d'idée, si personne ne répond, c'est qu'ils sont déjà en sale état. J'appelle les pompiers en leur indiquant une urgence. Il me reste moins d'un kilomètre à parcourir.

J'arrive sur les lieux. Une vingtaine de mecs, tous plus hispaniques les uns que les autres, m'attendent.

— J'ai commandé des nachos ou quoi ? blagué-je.

Un gars s'avance. Il porte un masque.

— Toujours aussi désopilant, mon cher Eugène, me lance un grand mec au visage diforme.

Je crois savoir de qui il s'agit maintenant, avec ce Français impeccable. Au début je me suis dit que c'était simplement un des nombreux mecs à qui j'avais dit que leur famille ne reverrait plus jamais leur visage.

— Frank ! Comment va mon vendu favori ? T'as que ça à foutre de revenir me faire chier en France ?

— Toujours aussi désopilant, vraiment. Ernesto, tire lui dans le pied, ordonne-t-il.

Je bouge à temps et évite la balle.

— Tu as encore de beaux restes. Armando, occupe-toi d'Ernesto. Merci, ordonne-t-il à nouveau.

Un autre mec s'approche et tue celui dont j'ai évité la balle.

— Tu vois. Tu continues à semer la terreur et le désespoir partout, c'est plus fort que toi. Ernesto ne verra jamais grandir sa fille par ta faute. Ces mecs dans ce bâtiment désaffecté vont tous crever. Dire que tu voulais changer. Le bon côté n'est pas celui des gouvernements, mais celui des forces alternatives, nous le prouvons actuellement, déclare-t-il solennellement.

Le flic de tout à l'heure arrive sur la scène. Il s'apprête à contacter des renforts mais Frank le refroidit. J'en profite pour sortir mon FAMAS et le tenir en joue.

— Ah mon pauvre Frank. Toujours aussi mauvais, avec des hommes mauvais eux aussi. Baissez vos armes ou je l'abats. Vous pouvez pas faire confiance à un mec qui a trahi tous les siens, provoqué-je.

— Tu oublies que moi aussi je te cible. Aujourd'hui nous cherchons à nous étendre en Europe. Paris est parfaite, dit Frank le traître.

— Pour information, combien de personnes as-tu molesté ? questionné-je.

— Deux, marmonne-t-il.

J'éclate de rire.

— Tu sais que nous sommes dix-huit ? On va tous vous tuer ! Allez les gars sortez de vos cachettes, ordonné-je.

Je bluffe. Mais un petit vent de panique se sème tranquillement. C'est à ce moment-là que j'en butte dix en une rafale. Plus que trois : le chef, tel un lâche, qui a survécu en se mettant derrière les autres, et deux qui pointent leur arme dans ma direction.

— J'ai l'impression que le jeu est terminé ? Non Frank ? demandé-je en souriant.

— Laisse-moi deviner, Eugène. Tu t'es dit en partant d'ici sur ta mob de merde : je vais utiliser que dix balles aujourd'hui. Mais la vie n'est pas un jeu. Tu ne peux pas t'amuser avec la vie des gens, car tout ce que tu as fait, mon visage, ces morts partout, tout ça c'est réel ! Tu n'es plus un gosse, tu dois mettre fin à ce jeu stupide ! me sermonne-t-il.

— Prends soin de Pépé, s'il te plaît, demandé-je gravement.

Je me suis levé, et j'ai mis fin au jeu : une balle au bon endroit, je sais où viser.


Ai-je perdu... ou gagné ?

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