Chapitre 4 : Premiers pas en terre lointaine

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Je n'ai pas pu réécrire durant la traversée, c'était trop dur, je n'avais pas l'esprit suffisamment clair pour poursuivre ce carnet de "voyage". Je dois adopter une pensée positive si je veux continuer à survivre. Je dis bien continuer... car, pendant la traversée, nous avons perdu beaucoup de camarades. Dans ma cale, trois enfants sont morts. Le premier fut l'enfant malade dont je vous avais parlé, il n'a pas survécu à une forte poussée de fièvre et à la déshydratation. Le second était l'Allemand. Il a voulu imposer sa force dans la cale, mais quelques enfants n'ont pas voulu se soumettre et ils l'ont battu à mort pendant qu'il dormait. Cet évènement m'a empêché de dormir pendant le reste de la traversée, au moindre bruit je me réveillais et je me mettais en position de défense. Ce sera ça ma vie maintenant, toujours en éveil à vivre des situations plus horribles les unes que les autres? Je ne dois pas penser à ça, je dois continuer et survivre. Ces deux cadavres avaient été balancés à la mer sans aucune forme de ménagement.

"Pourquoi s'encombrer avec des poids morts?"

Mais je vous avais parlé de trois morts dans ma cale. Le dernier enfant décédé a été battu à mort par nos tortionnaires, il avait tenté de planter l'un des gardiens qui venait pour nous donner à manger. Mais ça n'était pas vraiment le pire dans l'histoire... Ils voulaient nous donner une sorte de leçon, comme à chaque fois "Rebellez-vous et vous verrez bien ce qu'il va se passer!". Ils n'ont pas jeté le cadavre à la mer tout de suite, ils l'ont laissé avec nous pendant plusieurs jours jusqu'à ce que l'odeur devienne insupportable pour tous et qu'ils se décident à nous en débarrasser. C'était répugnant, je ne pensais pas qu'on pouvait traiter d'autres êtres humains de cette manière.

Toujours est-il que je suis toujours là, toujours en vie. Depuis que nous avons débarqué nous avons repris la route. Ici, les routes sont plus confortables que chez nous, la charrette utilisée est plus grande (ou alors nous sommes beaucoup moins nombreux ce qui, semble-t-il, est aussi le cas) et plus confortable. Nous n'avons toujours pas le droit d'en sortir, sauf pour se soulager quand on nous le demande, mais cette partie du trajet est la moins désagréable. On ne nous bat plus, je pense que ceux qui restent n'ont plus vraiment suffisamment de volonté pour essayer de s'enfuir et, vu que nous avons survécu, ce serait dommage que nous disparaissions maintenant.

Des enfants qui viennent de mon village, je n'en vois plus qu'un. Je n'ai pas encore pu lui demander ce qui était arrivé aux autres mais je pense que je connais la réponse.

En plus des routes plus agréables, je me rends bien compte que la vie ici semble plus facile. Nous voyons de grandes maisons, des commerçants à tous les coins de rues, des villes splendides... Tout ici respire l'opulence et la liberté. Tout! Tout sauf... Nous, les petits blancs venus des pays pauvres du nord, nous qui sommes là pour assouvir leurs envies et leurs besoins, nous qui sommes des moins que rien. Je vois, lorsque nous traversons des villes, quelques jeunes hommes blancs qui doivent avoir une dizaine d'années de plus que moi mais qui en font trente de plus. Ils sont là, ils courent, ils portent, ils construisent, ils se font crier dessus (certainement des insultes mais je ne comprends pas la langue), ils se font fouetter, les gens les évitent, leur crachent dessus, les poussent, ils rigolent, se moquent d'eux... Je ne sais pas si je pourrais accepter tout ça, je ne m'en sens pas la force...

Je vais ranger mon cahier, le jour commence à se lever et je vais être repéré si je ne fais pas attention.

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