65.2

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Ombre demeurait introuvable. Aline retourna sa chambre en vain, allant jusqu’à répandre les friandises de prédilection du félin partout autour d’elle pour l’attirer.

Bientôt, elle étendit ses recherches à tout l’étage, puis à tout le chalet.

— Ombre ! Ici, chaton ! Où est-ce qu’il est ?

Toujours armée de sa boite de croquettes, elle s’aventurait du côté de la cuisine lorsqu’un miaulement attira son attention. En suivant l’appel de son chat, Aline arriva à la porte entrebâillée de la bibliothèque. Ombre pouvait-il s’y être glissé ?

Elle appela une énième fois. Le chat se fit entendre à son tour. Heureuse de l’avoir retrouvé, Aline entra le sourire aux lèvres… son visage se décomposa lorsqu’elle vit son familier prisonnier de sa cage de voyage, posé tel un bibelot sur une table. Au bout de ladite table, Léopold travaillait à ses comptes, la pièce lui servant fréquemment de bureau. Sa belle-fille tombait de haut. Elle l’avait cru sorti pour affaire.

— Bonjour, salua-t-il d’une voix blanche.

Léopold leva les yeux, l’avisa de haut en bas, puis replongea dans sa paperasse.

— Je suppose que les vêtements de jour te sont aussi utiles que les chaussures sont utiles à Yue. À tes yeux, cela fait joli, tout au plus.

L’adolescente se sentit rougir en baissant les yeux sur sa robe de chambre. À dix heures passées, improviser la moindre excuse était exclu.

Quant à Ombre, il s’agitait de plus belle entre les barreaux de sa cage dorée. Aline esquissa un pas vers lui, sans oser pousser l’initiative jusqu’à libérer son animal.

— Beau-papa… Je suis désolée qu’Ombre soit venu vous embêter pendant votre travail. Puis-je le remmener ? Je vous promets de mieux le surveiller.

Le baron s’interrompit pour de bon, se calant les coudes au creux des bras de son fauteuil.

— Tu te méprends, Aline. Ombre n’est pas venu m’importuner de lui-même.

— Il… Vraiment ? Pourquoi, alors…

— Tu ne saisis pas ? Tu pensais peut-être que ta petite folie d’hier resterait sans conséquence ? Au regard de ta négligence, j’ai décidé que plus aucun être vivant ne devait souffrir ta domination. Ni esclave, ni animal. Je reconsidèrerai ma décision lorsque tu te seras décidé à mûrir.

Un rire nerveux échappa à Aline, suivi d’un frisson de repentir. Si Léopold n’avait pas souvent le sourire aux lèvres, il avait encore plus rarement l’air aussi sérieux qu’à cette seconde. Aline se rengorgea.

— Je m’occupe d’Ombre depuis qu’il est né. Vous n’avez pas le droit de…

— Tu as le culot de vouloir me dicter mes droits ? Quelque chose t’échappe, décidément.

— Veuillez me pardonner, je me suis mal exprimée.

— Voilà qui est peu dire. Autre chose, j’ai cru comprendre que Ruh craignait ma réaction dans le cas où elle aurait refusé de t’obéir. Je t’accorde le bénéfice du doute en supposant que tu n’as rien fait pour lui induire cette peur, mais sache que mon autorité n’appartient qu’à moi. Ne t’avise jamais d’invoquer mon nom pour te l’approprier, autrement, je te rosserai comme tu n’as jamais été rossée. Suis-je suffisamment clair ?

Aline recula d’un pas craintif. Incapable d’articuler sa voix, elle se contenta d’opiner. Jugeant qu’il avait produit une impression suffisante, Léopold replongea dans ses comptes.

Prisonnier de sa cage dorée, Ombre poussait de petits cris désespérés pour attirer l’attention de celle qui n’osait plus le regarder et qui, bientôt, dut se résoudre à l’abandonner.

Les jambes d’Aline tremblaient encore lorsqu’elle remonta l’escalier vers sa chambre. Son cœur battait à tout rompre. Les larmes menaçaient de se déverser en torrent sur ses joues. À la dernière seconde, au lieu de pousser sa porte, elle alla quelques pas plus loin tambouriner à celle de sa mère.

La grossesse de Denève lui infligeait tous les maux. Elle ne s’arracha que péniblement à son fauteuil au son de ce charmant appel. Aucune surprise ne l’affecta en trouvant sa fille derrière la porte.

— Je devine que tu as parlé à Léopold. Viens, entre.

Aline s’adossa au mur, les bras refermés sur la poitrine.

— Maman. J’exige que vous fassiez quelque chose.

Un sourire fatigué tira les traits de Denève.

— Que veux-tu donc que je fasse ?

— Il m’a pris Ombre !

— Et te le rendra bien assez tôt.

— Il n’est pas question que de cela. Il a menacé lever la main sur moi !

— Tu es surprise ? Est-ce que tu ne l’as jamais vu lever la main sur Yue ?

— Je ne suis pas Yue !

— Je te l’accorde, et j’aurais aimé que tu t’en souviennes, hier, au moment où tu malmenais son esclave. Ma nuit aurait été moins longue et ta journée moins pénible.

— Je n’ai malmené personne ! Ce n’est quand même pas ma faute si Ruh a attrapé froid.

— Tiens-tu réellement à engager cette lutte ? À soutenir que Ruh t’a calomniée ? Tu as tout à y perdre, je t’en préviens.

— Si je comprends bien, vous ne comptez pas intercéder en ma faveur.

— Si tu comprenais bien, tu verrais que j’ai déjà fait mon possible.


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