60.3

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J'ai repris la fin du chapitre d'avant. Pardon d'avance pour les noeuds que je risque de faire à vos cerveaux.

Cordialment, Ana au bout du rouleau.

— Oh, ainsi le sujet est clos ?

— Quel sujet ?

— Vous auriez pu me préparer à l’accueil que devait me réserver vos aînés.

— J’aurais voulu pouvoir m’y préparer moi-même. Aux dernières nouvelles, Claud n’était pas rentré de campagne et Archibald séjournait sur la côte est pour sa santé.

— Pourquoi sont-ils ici, dans ce cas ? Pas pour soutenir votre neveu, je suppose.

— Non, effectivement. Son frère aîné tient plus volontiers ce rôle. C’est à moi qu’ils venaient parler.

— À votre air, la conversation n’a pas été agréable.

— Elle a dut l’être pour Claud. Toutes les opportunités de me narguer lui sont bonnes. L’an dernier, c’est à lui qu’Archibald a confié la traque de mes assaillants après le massacre de l’Héliaque. Quant à moi, j’avais reçu l’ordre de faire profil bas. Je ne devais pas faire ressusciter mon enseigne, éviter de mentionner publiquement le massacre et tâcher de me faire oublier du monde.

— Ce qui devait être beaucoup vous demander...

— Infiniment trop. Si je me suis résigné à laisser cette brute de Claud se mêler de mes affaires, ce n’était qu’en nourrissant l’espoir que son entreprise soit couronnée d’échec. Je le voyais déjà commettre la même erreur que moi : sous-estimer nos ennemis et tout y perdre.

— A-t-il été plus prudent qu’escompté ?

— Plus chanceux. Le groupuscule s’étant spontanément suite à notre rencontre, les individus qui le composaient ne représentaient plus la même menace. La plus dangereuse, l’huldra, s’est faite tuée par les fines lames du mari de ma sœur dans un moment de faiblesse. Plus tard, l’ogre a été retrouvé mort au fin fond de la Vallée de Trois Couronnes. Quant à l’héritier de la Toute-Puissance d’Arë’n, il y a fort à parier qu’il s’en soit retourné chez lui. Il n’y a plus trace de lui en Terres Connues depuis près d’un an.

— Reste la bête, si je ne m’abuse.

— Capturée.

— Par Claud ?

— La fabuleuse avait trouvé refuge dans une ferme isolée du Menèg en revêtant ses traits humains. Lorsqu’ils ont découvert sa vraie nature, ses sauveurs ont cherché à la vendre. Plus tard, un incendie s’est déclaré sur leur propriété et le hasard a placé le vicomte dans le voisinage, prêt à capturer le smilodon qui avait profité du chaos pour fuir. Tirez-en les conclusions que vous voudrez.

— Je suppose que la gloire d’un Collectionneur est beaucoup amoindrie lorsqu’il achète ses créatures au lieu de les chasser.

— Cela dépend du prestige du vendeur et de la catégorie desdites créatures. Puisque Claud collectionne les chimères de combat, les antécédents de ses monstres sont moins importants que ceux des miens, l’apparat étant un monde plus regardant. Cependant, sa fortune et le mienne ne sont pas comparables. Il mène une vie dissolue, ses affaires sont en désordres. Son argent dort lorsqu’il ne brûle pas. Acheter au prix du marché ne lui est plus possible depuis longtemps. Naturellement, cela ne l’empêche pas de vendre à des prix indécents.

— Vous voudriez la lui racheter ?

— Je n’ai pas renoncé à ravoir mes chimères disparues. Cette créature est ma seule piste, d’autant qu’elle est douée de parole. Le vicomte le sait. Il sait aussi à combien s’élèvent mes fonds disponibles et voudrait me mener au bord de la ruine.

— Que comptez-vous faire ?

— Cela ne regarde que moi.

— Léopold. Que n’ai-je pas encore fait pour mériter votre confiance ? Vos cachoteries finiront par me vexer.

Un rictus étira les lèvres du mestre.

— Je m’abstiendrais de vous répondre devant votre fille. Respectez mon silence et je respecterai le vôtre.

— Mon silence ? Je ne vous ai jamais refusé un mot de vérité.

Le regard de Léopold se durcit. Denève se sentit rougir, puis pâlir.

— Ne m’obligez pas à vous demander pourquoi Yue n’insiste plus pour que j’adresse du courrier à sa famille adoptive ces dernières lunes, ni d’où vient la lettre que j’ai confisqué à son fabuleux.

La veuve inspira profondément pour se redonner contenance et affronter plus fermant les yeux perçant du baron.

— Quoi que vous ayez à me reprocher, je vous défends de me parler sur ce ton.

Le sourire de Léopold passa. Sa main se referma sur le menton de Denève qui l’en extirpa sèchement.

— Aline, remets ton chapeau, ordonna la mère. Nous allons prendre nos places en tribunes.

— Vous… vous êtes sûre, maman ? s’attrista-t-elle. Vous disiez que la vue était meilleure et…

— Ne discutes pas, nous y allons.

— Restez, les arrêta Léopold. Veuillez m’excuser, je me suis montré grossier. Je vous ai invitées pour une raison précise et toutes ces circonstances fâcheuses me l’ont faite oublier. Puis-je vous demander de consulter ce dossier.

Il désigna la pochette d’un bleu familier déposée sur console qui longeait la balustrade devant les quatre sièges.

— S’il s’agit d’une nouvelle tentative de racheter ma propriété, elle est refusée d’avance.

— Vous vous méprenez. Mon but n’est pas de vous faire céder, mais de me rendre. Vous avez gagné, Madame.

La surprise la laissa interdite.

— Lisez, insista Léopold.

Denève affecta le détachement en se rendant à la volonté du baron. Elle prit son siège, droite et digne, puis ouvrir porte document. Son cœur manqua un battement lorsqu’elle découvrit les premières lignes. Un rire nerveux lui échappa, puis une larme furtive. Ébranlée par l’émoi, elle peina à reconstruire sa façade : sa voix trembla.

— Vous êtes…. Incorrigible, Monsieur. Vous n’avez rien trouver de moins romantique qu’un contrat de mariage ?

— Le romantisme n’est plus de mon âge et n’a jamais été de mon caractère.

— Je ne vous comprend pas… Il y a trois ans vous… Pourquoi maintenant ? Qu’y gagnez-vous ?

— Prenez le temps d’étudier toutes les clauses, de les faire lire à votre notaire et même de rédiger les vôtres, notamment celles concernant la position que vous voulez me voir prendre auprès de votre fille.

Un sourire confus illumina le visage d’Aline.

— Vous allez vous marier pour de bon ? s’enthousiasma-t-elle. Nous retournons vivre à la baronnie ?

Un tir de canon coupa court à l’échange. Trois autres suivirent, provoquant une pluie de confettis colorées sur les tribunes. Un tonnerre d’applaudissement retentit en réponse, progressivement rejoint par le roulement exalté des tambours.

Tour à tour, trois dragons adultes de tailles conséquentes foulèrent le sable de leurs pattes puissantes, le cou fièrement hissé, observant intelligemment le public qui les acclamait. Enne, la dragonne du Mestre dragonnier impérial, esquissa comme une révérence en direction des loges d’honneur, transformant les clameurs en murmures appréciateurs.

Embrasser d’un même regard autant de majesté chimérique n’était pas donné au commun des Réels. Beaucoup dans l’assemblée savouraient ce privilège pour la première et dernière fois.

À pas gracieux, presque dansant, les trois dragons désencombrèrent l’accès d’où ils avaient jailli, révélant la présence du plus petit d’entre eux.

Le soleil qui glissait sur ses écailles minérales conféraient à sa cuirasse la l’éclat irisé d’une perle noire. La cavalière sur son dos le drapait d’une interminable traine blanche : un choix risqué, mais qui devait centupler la grâce de leurs mouvements aériens.

La dragonne du grand mestre ouvrit le bal, rapidement suivie des deux autres adultes. Comme un seul corps, synchronisés jusque dans leurs battements d’ailes, les trois chimèrent fendirent le ciel.

Tandis qu’ils décrivaient un cercle d’ampleur grandissante au-dessus du Médaillon, le dragonneau pris les airs à son tour, perçant leur figure en plein centre.

Une sorte de jeu débuta alors, les trois adultes exécutant la même chorégraphie rigoureuse et lisse, tandis que le vulcanien circonvoluait autour d’eux avec fougue, créant un désordre espiègle et harmonieux.

Tantôt, le dragonneau se joignait aux autres pour l’exécution d’une série de mouvements canoniques, puis redéfinissait sa trajectoire en exécutant une cabriole aérienne folâtre.

Si quelques faussetés venaient à jalonner sa performance, elles passaient pour faites exprès et participaient au génie de la performance.

La fin approchante, le vulcanien dévala le premier du ciel. Il stabilisa son vol à quelque hauteur du sable. Arrachée à la selle de da monture, Yue se leva. Ses manches et les pans de sa robe asymétrique claquant furieusement dans son sillage sous l’effets du vent. Au bout d’un tour d’arène ponctué de saluts à l’assemblé, l’acrobate défit la sangle qui assurait son maintien à la selle pour en sauter.

Sa cascade vertigineuse suspendit la foule au tourbillon de ses voiles. Yue chutait. Infiniment. La douceur irréelle de son impact au sol fit à peine lever le sable sous ses pieds. Le jeune dragon acheva son vol aux pieds de la petite voltigeuse qu’il encercla de son corps reptilien.

Pour conclure, toujours comme un seul corps, les trois grands planneurs finirent leur course en atterrissant simultanément sur l’arène pour laisser les cavaliers mettre pied à terre. Réunis atour de leur jeune recrue, les draconniers tirèrent leur révérence sous une gerbe de feu contrastée de couleurs crachée par le vulcanien en direction du ciel.

Brandissant cent drapeaux pour autant de Maisons collectionneuses, les membres de la parade terrestre prirent leurs relais sur fond de tambours et de hourras.

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