59.2

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La fillette avança, incertaine.

— Tu t’es battu ? crut-elle.

Le fabuleux pesa ses mots, puis fit au plus simple.

— Pas exactement, Mestresse.

— Alors quoi, exactement ?

Répondre s’avéra très au-dessus des forces du fabuleux. Il se mura dans un silence atone que Yue prit le parti de respecter.

— Je te pardonne, tu peux te lever, permit-elle maladroitement.

Il n’usa pas de ce droit. Son immobilité aggrava la mine de Yue.

— Lève-toi, insista-telle.

Il faillit tourner de l’œil en se redressant et eut un spasme douloureux lorsque la fillette le soutint par le bras.

— Tu as de la fièvre, diagnostiqua-t-elle au contact brûlant de sa peau.

— Je suis un dragon, rectifia le fabuleux. Ma température est normale.

— Les dragons aussi ont la fièvre, décréta Yue. Il faut que tu te reposes.

— Je vais le raccompagner en bas, proposa Éli.

— Non, refusa Yue. Ça va. Tu peux t’en aller.

L’esclave ne se laissa pas congédier facilement. Elle ne céda qu’à contrecœur lorsque le ton de la fillette se fit plus impérieux. Yue pria également Cha de lui procurer des draps et des coussins. La sang-mêlé s’exécuta sans discussion.

En quelques minutes, la petite fille convertit la méridienne de sa chambre en lit de malade qu’elle mit le tout à disposition de Bard. Allongé malgré lui sans parvenir à se détendre, le fabuleux fixait les moulures du plafond l’air aussi inquiet que si le ciel s’apprêtait à lui tomber dessus. Yue l’observait depuis le rebord de sa fenêtre tandis que Cha achevait de mettre la pièce voisine en ordre.

— Tu veux que je lui demande d’arrêter ce qu’elle fait pour rester avec toi ? offrit Yue à Bard.

Il secoua la tête, faiblement, mais perceptiblement.

— Qu’est-ce que je peux faire, alors ? bruissa-t-elle d’un ton suppliant.

— M’attacher les poignets et les chevilles, suggéra Bard. Félicie a dû monter avec…

— Arrête, répond moi pour de vrai.

À nouveau, le silence ; éloquent à sa façon.

— Tu veux plus faire la paix ?

Il lui obliqua un regard trouble.

— Pardon pour hier, ajouta Yue, de pas avoir été gentille. Et les jours d’avant aussi. Parfois je parle pas vraiment comme je pense, parce que je suis en colère. Mon papa dit que je suis…

Le mot ne lui revenait pas.

— Impulsive ? l’aida Bard.

— Mmh, confirma-t-elle. Est-ce que c’est parce que je t’ai dit de partir quand tu es venu me voir que t’as pas dormi où tu devais ? Tu te cachais parce que t’étais fâché ?

Bard secoua la tête d’un unique aller-retour. Il devina que Yue ignorait tous des détails de la circonstance ou n’en saisissait pas le sens. Somme toute, elle comprenait peu de choses. Sa forme d’ingénuité particulière altérait sa perception de la réalité au-delà de ce que le fabuleux parvenait à imaginer.

— Je t’assure que ce n’est pas de ta faute, la rassura-t-il.

La petite fille força un sourire, peu convaincue.

— Tu as reçu une lettre, récemment ? l’interrogea-t-il.

Elle confirma.

— Faut pas le dire à… tu sais. La maman d’Aline m’a apporté un dessin d’Emaëra ce matin. Tu veux le voir ?

Sans attendre de réponse, elle se leva, poussa une chaise vers ses étagères, l’escalada pour atteindre la plus haute, y récupéra un de ses carnets, puis vint se nicher près de Bard, la tête appuyée contre son épaule. Le nuage cotonneux de ses cheveux sentait l’agrume et la menthe poivrée, réhaussé de notes sucrées. Cette odeur fit honte à Bard par réflexion. Lui devait embaumer la sueur, l’air renfermé du sous-sol et l’alcool médical.

— Regarde.

Elle lui fit voir une fine feuille de papier coloré sur laquelle figurait à l’encre deux silhouette de fillettes se tenant la main. La malade avait accordé un soin particulier au dessin des yeux.

— Je trouve ses yeux plus jolis que les miens, mais elle les a faits pareil pour nous deux. Tu peux me dire ce qui est écrit, là ?

Elle poussa son bras, laissant apparaitre une inscription en Jerild. Tu vas me manquer quand je serais dans le ciel, déchiffra Bard.

— Elle dit que… qu’elle est pressée de te revoir, reformula-t-il. Si tu veux, je peux t’aider à lui écrire une réponse.

— Tu… t’es sûr ? Tu préfères pas te reposer ?

— Certain. Tu as du papier et de l’encre, ici ?

Pour réponse, elle embrassa le front de Bard.

— Merci, chuchota-t-elle.

Il lui adressa un pâle sourire.

— Ne me remercie pas. S’il-te-plait.

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