58.1

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Une heure du matin.

La lettre d’Ibranhem fleurait l’encens et le vent d’ouest. Bard éprouva une sorte de réconfort en la humant ; amer et brulant. La simple idée de décacheter l’envolée lui nouait les tripes. Hésiter ne lui était pourtant pas permit, car sa lampe brûlait ses dernières gouttes d’huile et, quand bien même il aurait eu de quoi s’éclairer toute la nuit, son lit vide finirait par éveiller les soupçons s’il tardait à le regagner.

L’écriture d’Ibranhem, reconnaissable entre toutes, trahissait son caractère pressé. Ses petits caractères penchés paraissaient courir les uns après les autres d’un bord à l’autre de la feuille. Son texte ne s’encombrait pas des salutations d’usage. Il assénait sa raison d’être comme un coup de poing.

« Emaëra est malade. Gravement. Cela faisait deux décans qu’une mauvaise fièvre lui faisait garder le lit lorsque sa santé s’est subitement détériorée en peu de temps, sans que personne ne sache vraiment pourquoi. À l’heure où je t’écris, le souffle lui manque au point de la gêner jusque dans son sommeil. Mes parents n’en dorment plus. Nous la soignons tous consciencieusement, mais rien ne suffit à la guérir. Le mal est sérieux et croissant, si bien que le pire est à craindre d’ici quelques lunes, sinon quelques jours. À l’heure où tu liras cette lettre, elle aura peut-être déjà quitté la Réalité.

En fervent généthliaque, Notre Père lui a représenté la mort comme suit : … »

La citation retranscrite en jerild demanda un effort de concentration nouveau à Bard, à l’heure où ses mains tremblaient déjà de choc.

« Tu nous es venue des astres. Et puisque les astres t’aiment autant que nous t’aimons, ils te rappellent à eux avec bienveillance. Si le voyage est long et rude, console-toi ; de la même façon que tu as oublié la douleur de ta naissance, tu oublieras celle ta fin.

Il y a un ciel par-delà le ciel, invisible. Les âmes y brillent comme des étoiles. Tu verras qu’elles forment une belle et grande constellation où se retrouvent tous les êtres. Ce ciel est la plus belle place de l’Éternité.

Notre père a un certain talent avec les mots que je lui envie. Il m’arrive même de penser qu’il croit réellement en ce qu’il dit. Naturellement, Emaëra bois ses paroles. La voir sourire sur ce qui sera peut-être son lit de mort a quelque chose de glaçant mais j’imagine que la voir pleurer serais pire.

Hier, un regain de vitalité lui a permis de se lever. Entre autres, elle en a profité pour faire quelques dessins, dont deux qu’elle m’a prié de vous envoyer. Tu trouveras le premier dans ta lettre. Le second est à Yue.

Une réponse est payée d’avance si tu as des remerciements ou des vœux à adresser à notre petite sœur. Ne répond que si tu en as envie.

Prends soin de toi.

Ibranhem. »

Bard tira du fond de l’enveloppe une feuille de papier bleue, très fine, quatre fois ployée sur elle-même. Le fabuleux ne comprit pas tout de suite ce que sa demi-sœur avait cherché à représenter. Son dessin ressemblait vaguement à un rameau de fleurs. Çà et là, de petits cercles interrompaient les lignes, associés à des noms dont beaucoup lui étaient inconnus. Parmis eux, ses parents, puis de ses grands-parents. Ailleurs figurait ceux d’Ismé, Krisha, Yue, Meryem… à l’opposé de la lige, ceux d’Ibranhem, Jagir, Isaac… Et le sien.

Le rameau semblait être une maison jeradienne. Emaëra y avait aménagé une place pour lui.

— Une constellation, comprit-il.

Sa lampe s’éteignit. L’obscurité l’avala tout entier. Subitement Bard eu froid.

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