57.1

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La majorité des personnes présentes au Médaillon ce jour-là ne s’y trouvaient que pour aménager les locaux techniques. Il était question d’organiser la ménagerie et les vestiaires sous la direction des coordinateurs de l’évènement pour faciliter l’enchaînement des tableaux. Au second sous-sol de la structure, d’autres s’établissaient dans les dortoirs mis à leur disposition pour toute la durée des répétitions. Les derniers, détenteurs de petits rôles, venaient se présenter aux équipes et s’initier au projet.

Le ballet aérien n’avait que deux nouveaux membres à intégrer : Yue et sa monture. Il incombait à Mestre Selemeg, de superviser cette insertion.

Repérer la fillette lui fut une mince affaire. En plus de ne ressembler à personne, elle attirait à elle tous les regards : ceux des désœuvrés massés dans les tribunes comme ceux des derniers à occuper l’arène à proprement parler. Son dragon et elle attendaient au bord du cercle, entre une wyverne et un amphiptère.

— Bonjour, gamine, la salua Selemeg. Pardon pour le retard.

Elle se leva pour lui présenter ses civilités. Son dragon se rangea derrière elle.

— Il est docile, ton volcan, observa le draconnier.

Il jaugea la petite fille de haut en bas.

— Tu es la pupille du baron Makara, c’est bien ça ? Quel âge as-tu ?

— Neuf ans et demi, répondit Yue.

— Ah. J’espérais que tu en aies au moins onze.

Le draconnier obliqua un regard au vulcanien : presque un bébé aussi.

— Vous avez beaucoup volé ensemble, ton dragon et toi ? douta Selemeg.

— Beaucoup, non.

— Ce n’est quand même pas votre baptême de l’air aujourd’hui, si ?

— Non plus. Je monte souvent, et Bard vole souvent, mais je monte un dragon qui sait voler depuis longtemps et Bard, c’est quelqu’un qui monte depuis longtemps qui le fait voler. Aujourd’hui, ce sera la…

Elle compta sur ses doigts.

— La quatrième fois pour nous deux, ensemble.

Une grimace chiffonna les traits burinés du draconnier.

— Bon. Écoute, gamine. Je suis sûr que vous vous en sortez très bien à la maison tous les deux, mais si… Bard, c’est ça ? Si Bard et toi, vous n’avez pas l’habitude l’un de l’autre, ni l’habitude du public…

— J’ai l’habitude du public, le détrompa Yue. Je monte sur scène depuis mes quatre ans. Et je suis très douée, plus que les grands. Puis je connais déjà la chorégraphie, vous voulez voir ?

Le draconnier resta sans voix. Yue décida d’interpréter son silence à l’affirmative. Elle se hissa sur la selle du vulcanien, défit l’appareillage que le muselait sous le regard scandalisé du draconnier.

— Il préfère comme ça, se justifia la fillette.

Sans laisser à Selemeg le temps de répliquer, le dragon fit tempêter ses ailes. Emergeant d’un nuage de poussière, il vrilla vers les cieux à la force d’une unique impulsion. Au plus haut de sa trajectoire il déploya ses ailes.

Le draconnier regarda subitement le duo d’un autre air.

Après l’ascension, la chute ; un piqué maitrisé, presque trop, redressé à la dernière seconde pour décrire un demi-cercle au ras de sol en une seconde volte de sable. Les pieds solidement appuyés aux étriers, les mains agrippées aux guides, la fillette se tint droite, le corps légèrement renversé pour assurer son équilibre.

Un nouveau battement d’ailes. Le duo reprit de l’altitude, décrivit un nouvel arc, puis exécuta une boucle parfaite, puis un rétablissement normal maladroit. Le draconnier inquiet serra le poing, songeant que la voltigeuse devait être étourdie au-delà du raisonnable après ce premier enchaînement. Cela n’empêcha pas le duo de poursuivre sur une série de tonneaux, lents, puis de plus en plus rapides.

Ils esquissèrent les figures à la chaîne, allant jusqu’à complexifier les plus simples par des prouesses acrobatiques de Yue.

Enfin, deux nœuds aériens de faibles amplitudes annoncèrent la fin de la chorégraphie. Pour l’atterrissage, une figure en M aux angles à peine trop graves : une note moyenne, en somme, qui ne raviva pas l’émerveillement du public. Pas avant la touche personnelle de la voltigeuse.

Dès que sa monture eût suffisamment décéléré, se fût suffisamment approché du sol, Yue se mit tout à fait debout sur la selle, puis mit pied à terre au moyen d’un salto admirablement réceptionné tandis que, plus laborieusement, le dragon dérapa sur plusieurs mètres de sable avant de parvenir à s’arrêter tout à fait.

Un silence ahuri planait sur le Médaillon, entrecoupé de murmures. Yue était en nage, mais tint sa position de longues seconde avant de s’autoriser le repos.

Selemeg, reconnaissant son erreur de jugement, offrit à la fillette une série d’applaudissements mesurés. Toute la troupe aérienne s’y joignit.

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