47.2

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Leopold fit bonne figure en dépit de tout. Ayant ravalé sa surprise il alla présenter ses civilités, imité par sa petite marionnette de neuf ans.

— Elle existe donc bel et bien, observa Denève lorsque Yue lui fit la révérence. Vous êtes encore plus captivante en vrai qu’en portrait, chère petite. J’aurais aimé vous voir du temps où l’Héliaque était encore.

Yue avait pour consigne de préférer l’abstinence à l’étalage de son inanité d’éloquence. En l’occurrence, elle opta pour le silence et fit bien. Une esclave arriva à point pour offrir une liqueur d’orange à Madame Vassaret. Le baron en profita pour achever son discours interrompu, siffler son vin, faire partir la musique et déplacer les enfants plus arrière dans le parc.

Les convives trouvèrent aisément à s’occuper entre eux. Léopold profita du premier moment d’inattention pour écarter Denève de la foule et la confronter.

— Je suis surpris, Madame, récrimina-t-il sitôt qu’ils furent à l’intérieur du castel. Je ne me rappelle pas vous avoir invitée, ni vous ni votre fille.

— Je m’en suis doutée à votre air, répondit-elle calmement. Sachez pourtant que vous l’avez fait.

— Expliquez-vous.

— Le jeune fils de Mestre Raulet n’a-t-il pas été convié, ainsi que ses parents ?

— Si fait.

— Par retour de missive, ils vous ont prié d’accepter que la cousine du garçon se joigne à la fête, ainsi que sa mère. Vous avez accédé à cette demande en faisant parvenir un second billet à leur adresse. Ignoriez-vous qu’Aline était cette cousine et que ce second billet devait m’être transmis en son nom ?

— Cela a pu m’échapper, reconnut-il.

— Vous êtes toujours si occupé, l’excusa Denève. Cela n’a pas dû aller en s’arrangeant, dernièrement. Les langues de la cour ne sont toujours pas tannées des récits de vos déboires.

— Je ne l’ignore pas.

—Vous avez donc vraiment été confronté à ces apatrides qui affolent la cour impériale depuis tant de lunes, vous aussi ?

— Y a-t-il encore une âme en Terres Connues pour en douter ?

— Probablement non, mais beaucoup s’interrogent. Vous avez survécu, Léopold. Peu ont eu cette chance. Les Mestres Collectionneurs ciblés par ces barbares ont presque tous perdu leurs têtes. Cela a été pour votre ancien collaborateur, n’est-ce pas ? Comment avez-vous échappé à ces bourreaux jusqu’ici ? Ils frappent encore dans les contrées avoisinantes. Ne craignez-vous pas de les voir revenir pour finir ce qu’ils ont commencé ?

— Je ne trouve pas convenable de discuter de cela à un goûter d’anniversaire.

— Allons bon, vous n’avez pas trouvé meilleure excuse ?

Il lui saisit le bras avec force, si subitement qu’elle hoqueta de peur.

— Soyez attentive, je ne me répéterai pas, articula Léopold. Au regard de mon étourderie, je suis disposé à tolérer votre présence à la seule condition qu’elle ne trouble pas ma réception. Or, je viens de vous dire que je trouvais votre conversation inconvenante. Tâchez d’en tenir compte ou vous aurez à le regretter.

Le souffle court, Denève assentit amèrement. Leopold la lâcha et la trace de ses doigts demeura, rougeoyante. Une pointe de regret l’éperonna.

— Nous vous ferons donner de la pommade, offrit-il d’un ton plus courtois.

— Inutile, déclina-t-elle. Votre sollicitude m’écœure, j’irai chercher mon châle.

— Ne soyez pas si fière.

Elle leva les yeux au ciel.

— C’est bien de vous, cela. M’est avis que vous supportez mal qu’une femme puisse partager vos traits de caractère ; qu’elle soit fière, obstinée, ambitieuse, matoise…

Elle fit jouer les diamants de ses deux bagues trophées sous un rayon de soleil pénétrant, jetant des faisceaux colorés sur la figure impassible du baron, et se fendit d’un sourire fiévreux.

Denève Vassaret et Léopold Makara ne s’étaient plus trouvés seuls ensembles depuis plus deux ans. Elle n’était pas plus disposée qu’alors à lui vendre ses terres. Lui n’avait toujours aucune intention d’en faire sa légitime épouse. À quelque distance se déroulait simultanément une réunion mondaine et un bal d’enfants. Se figurant que rien de tout cela n’avait plus d’importance, ils se prirent à la bouche.

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