47.1

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Le matin de l’anniversaire, après le gros ouvrage, les esclaves désoccupés s’entendirent pour se rejoindre à la laverie et s’aider les uns les autres dans leurs apprêts. Il s’agissait de ne commettre aucune erreur, ni dans la façon de retrousser la manche, ni dans celle de ceindre le tablier, très exactement sur la couture. Le baron avait transmis des instructions précises, illustrations à l’appui. Naturellement, il avait aussi décidé du pli capillaire, permettant çà et là de légères variantes pour seoir à tous types de cheveux. En étant habile, Bard se débrouilla pour avoir ceux de Cha entre les mains.

— Serre pas trop, lui intima-t-elle tandis qu’il brossait. J’ai peut-être pas beaucoup de sang dans le crâne, mais j’ai quand même besoin qu’il circule.

— Tu as vraiment moins de sang qu’un humain ? douta Bard.

— J’sais pas, j’imagine. Pourquoi j’en boirais, sinon ?

— Pardon ? C’est stupide comme raisonnement. Moi, je ne bois pas de lave.

— T’as de la lave dans le corps ?

— Pas celui-là, mais oui. Je suis un dragon vulcanien.

Cha fit volte-face, arrachant sa chevelure châtaine aux mains de son coiffeur.

— T’as un bordel de volcan dans le corps et c’est que maintenant que tu me le dis ?

— Tu ne m’as jamais posé de questions, je pensais que tu savais ce que j’étais.

— Je savais que t’étais un dragon, pas un volcan à pattes ! Je suis censée savoir tout ce que j’t’ai pas encore demandé ?

— T’es censée te laisser coiffer, lui rappela une consœur agacée par ses jérémiades.

Grace à elle, Bard put achever son œuvre sans se faire tanner les oreilles. Sitôt que la demoiselle fut prête, elle revint à la charge en exigeant qu’il se transformât séance tenante. Il s’y déroba en rappelant que lui-même avait à se préparer.

Passer des vêtements propres, chauds et seyants fit à Bard l’effet d’une renaissance. Les mains de Cha semblaient irrésistiblement attirées par l’étoffe de fourrure rase de sa cape. Elle les faisait inlassablement glisser ses épaules et son dos pour en apprécier la douceur. Et sous l’étoffe frissonnait une peau jalouse.

— T’as l’air d’un mestre, observa-t-elle.

Elle avait craché cela du bout des lèvres, comme une insulte, mais sans cesser de dévorer l’habit des yeux.

— Ou d’un mercenaire royal, se ravisa-t-elle d’un ton plus doux. T’es vraiment sûr d’avoir assassiné personne ?

— Tu as meilleure opinion des assassins que des mestres ?

— À débattre. Peut-être pas aujourd’hui, par contre. Là, il faut qu’on y aille.

— Partez devant, il faut que je repasse à la cabane récupérer mon invitation.

Les voituriers étaient déjà sur place lorsque Bard rejoignit le castel, plantés de part et d’autre de l’entrée comme des soldats de plomb. Toutes les portes de l’enfilade centrale avaient été ouvertes, de sorte que depuis l’allée, on devinait la cour arrière. Un long tapis avait été déroulé le long du chemin, brodé de petites fleurs. Bard ne le foula pas du pied. Même chaussé de neuf, il avait à faire le tour pour accéder au jardin.

Le garde posté en faction au portique commença par lui refuser l’accès, son habit n’étant pas conforme. Bard dut lui présenter l’invitation qu’il avait eu soin de garder avec lui pour obtenir passage.

Il faisait clair. L’air était doux et une senteur gourmande embaumait l’atmosphère. Les bouquets de fleurs avaient été arrosés d’eau sucrée pour attirer les papillons : le soin du détail à son paroxysme.

La domesticité se confondait aux meubles. Au centre de ce tableau : Yue. Sa mise était aussi faste et fantaisiste que l’exigeait la circonstance : des souliers fins, des bas de soie colorés, des jupons courts très amples constellés d’affiquets, un justaucorps travaillé…. Une autre enfant qu’elle eût pu être incommodée par pareil habillement, mais Yue savait porter un costume.

L’espace d’une seconde, Bard envisagea d’aller lui présenter ses vœux et la remercier pour son invitation. Il y renonça aussitôt que le baron vint se ranger à ses côtés ; le fabuleux baissa la tête et rasa les haies jusqu’au fond du jardin.

Le défilé des convives débuta incessamment. Les voitures se pressèrent dans l’allée, déchargeant des messieurs et dames élégantes, de petits héritiers tirés à quatre épingles et des serviteurs chargés de cadeaux.

Au fur et à mesure que les convives se présentaient, les domestiques se déployaient pour leur offrir à boire, à fumer, ou des fleurs à se mettre à la boutonnière pour se raccorder au thème. Le tableau était aussi charmant qu’il était absurde.

Le premier imprévu survint un quart avant deux heures. Léopold Makara allait lever son verre en l’honneur de la petite fille qu’il avait exploitée toute sa vie lorsque deux retardataires parurent.

Là où la plupart des invités s’était mis sobrement par pudeur et soucis de praticité, celles-là – une fillette et sa mère – semblaient s’être fixé pour objectif d’accaparer tous les regards. Elles portaient leurs cheveux blonds coiffées en boucles sous de majestueux chapeaux voilette, des perles aux oreilles et des robes brocard. L’adulte avait les lèvres rouges, les épaules nues et deux bagues à diamant enfilées par-dessus le gant.

La figure du baron se décomposa lorsqu’il posa les yeux sur elles. Denève et Aline Vassaret venaient de s’inviter à sa réception.

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