40.2

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— Pardon, je… balbutia Bard en réaction au silence réprobateur d’Hiram. Je croyais que c’était quelqu’un d’autre.

— Y a-t-il quelqu’un ici à qui tu parles couramment sur ce ton ? l’interrogea Hiram dont la mine s’aggravait.

Le fabuleux pâlit en articulant plusieurs syllabes muettes ou inintelligibles.

— Je te prie de changer de manières, reprit le père devinant une affirmative. Tout le monde ici a droit au respect.

Il assortissait généralement ses semonces de longs discours pédagogiques et moraux. Cependant, le temps lui manquait pour être édifiant.

— Ibranhem, retourne dans ta chambre, s’il te plait. J’étais inquiet de ne pas t’y trouver.

Le concerné se renfrogna. Il ne comprenait pas vraiment le bienfondé de cette requête.

— Mais… Vous m’avez trouvé. Je suis ici. À deux portes de ma chambre.

— Tu es souffrant. Retourne te coucher.

— Je peux me reposer ici, s’obstina-t-il.

— Retourne te coucher dans ta chambre et n’en sors pas, insista une ultime fois Hiram.

Sans tout à fait se départir de son scepticisme maussade, Ibranhem consentit à obéir.

— Ta chambre est tout à toi, jeta-t-il Bard à en passant sa porte.

Hiram ne s’attarda pas. Dès son départ, le fabuleux se prit à regretter la compagnie trop rare de tous ceux qui l’avaient successivement envahi, puis abandonné. Le silence reprit sa place ordinaire au côté de Bard, ses trois facettes et sa solitude tandis que ses yeux retombaient sur son atlas.



Maleka travaillait consciencieusement lorsque son époux se présenta à son cabinet de couture. Occupée à fignoler le tissage d’une tenture qu’elle destinait à la chambre d’Isaac – un motif d’inspiration qessaranne – elle ne remarqua Hiram que lorsqu’il s’éclaircit la gorge. Aimablement, elle lui sourit.

— Bonjour, Mon Astre. Comment se passe ta matinée ?

— Mal, Mon Idole. J’ai à te parler, si tu veux bien.

Le visage de Maleka s’aggrava.

— Je t’écoute.

Sans détours, Hiram apprit l’identité de l’invité de sa coépouse et rapporta fidèlement toute la conversation qu’il avait eue avec lui, sans autre interruption qu’un hoquet de surprise occasionnel et un monosyllabe réprobateur mal contenu. Lorsqu’Hiram se tut pour offrir la parole à sa femme. Maleka prit difficilement son souffle.

— Tu… Qu’as-tu décidé ? s’enquit-elle.

— De te consulter, Maleka, répondit son époux passablement agacé. Je veux que cette décision soit la nôtre.

— Tu as bien un avis sur la question ?

— En effet, mais je veux connaitre le tien.

Maleka poussa un profond soupir et s’arma d’un sourire de convenance.

— Non, tu ne le veux pas, Mon Astre. Je connais ton cœur, et je connais ta position. Tu veux que je la soutienne pour te donner meilleure conscience, et je crois le devoir en tant qu’épouse. Aussi, je te soutiens. Mais contre mon propre avis.

Stupéfait, Hiram demeura sans voix.

— N’aie pas l’air si surpris, le pria-t-elle. Tu n’ignores pas que communiquer avec Yue m’est difficile, sinon impossible, quoique tu aies la bonté de ne pas me le reprocher. Elle est constamment en révolte contre moi, sans que je sache pourquoi. Pour ne rien arranger, elle s’adapte très mal à notre mode de vie. Crois-tu normal qu’il faille enfermer une petite fille à clef pour la faire obéir ? Envisagerais-tu de procéder de la sorte avec Ismé ou Emaëra ?

— Si l’une de mes filles se trouvait un jour déboussolée au point de devenir un danger pour elle-même, oui, je l’envisagerais. Mais je ne songerais pas à les abandonner si leur comportement me causait du souci.

— Tu envoies Ibranhem à l’université quatre ans plus tôt que prévu. Pourquoi, sinon par démission parentale ?

— Tu penses que c’est par démission parentale que j’ai pris cette décision ?

— Je pense que tu disposais d’autres moyens d’exercer ton autorité, et que la sévérité de la punition dépasse de beaucoup la gravité de la faute.

— Je n’ai pas cherché à être répressif, mais à faire ce qu’il y a de mieux pour notre fils. Il a besoin de poursuivre son éducation et de gagner en maturité. Il ne peut faire ni l’un ni l’autre, ici. Nous le couvons beaucoup trop, et sa soif de connaissance est trop grande pour Hizaar.

— Tu ne me feras pas croire qu’aucun homme en ville, ni alentour, n’est suffisamment savant pour enseigner quoi que ce soit à un garçon de seize ans.

— Ibranhem est un jeune homme déjà très instruit qui a besoin d’être accompagné dans son développement intellectuel à hauteur de son potentiel.

— Pourquoi ne pas lui trouver un nouveau précepteur ? Ou plusieurs ? L’un dans l’autre, je trouve injuste de l’éloigner de nous ainsi. Tout comme je trouve injuste que tu veuilles mettre l’avenir de tous nos enfants en péril pour engager un bras de fer juridique avec ce Léopold.

— Yue aurait pu être notre enfant, Maleka. Isaac aussi. Et quoi qu’en dise Mildred, je sais que Bard est mon fils, au moins en partie.

Maleka se leva.

— Il n’est pas question d’Isaac, objecta-t-elle. Lui se plaît ici, et n’a jamais fait de mal à personne. Mais Yue ne veut pas être notre fille. Et si ce fabuleux est réellement ton fils, songe qu’il a failli tuer Ibranhem. Si Krisha n’avait pas été épuisée par sa lutte contre lui, elle n’aurait peut-être pas perdu son bras. Tu ne peux pas faire comme s’il ne s’était rien passé ! Cela pourrait recommencer ! Nos enfants sont peut-être en danger !

— Tes enfants, rectifia Hiram. J’ai le sentiment d’en avoir deux fois plus que toi.

— Je t’ai donné mon avis, Hiram, conclut Maleka en reprenant son ouvrage et son calme. À présent, laisse-moi travailler, s’il te plaît.

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