14.3

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La petite fille ne bougea pas d’un cil. Son immobilité fit craindre le pire à Célestine.

— Excusez-la, intervint-elle. La pauvre enfant est en état de choc. Elle ne comprend pas ce qui se passe.

L’intéressée ouvrit la bouche sur une exclamation muette. Célestine la fixa droit dans les yeux et les vit prêts à s’épandre en larmes. Ses pupilles dépareillées n’avaient plus de point d’accroche.

Décidément, Célestine ne se faisait pas à son hétérochromie. Même après deux ans, elle se surprenait encore à osciller nerveusement d’une couleur à l’autre. L’iris noir, surtout, la perturbait.

— Je comprendrais si tu m’expliquais.

Yue s’était exprimée d’une voix si faible qu’on eût dit un miaulement : celui d’un chaton blessé. Le chemin de Célestine devait être voué à croiser ce genre de petites bêtes.

Mildred Makara observait la scène en affichant un intérêt très relatif. Célestine eut voulu qu’elle fît montre d’impatience, de sorte à lui donner une porte de sortie plus facile que celle que Yue entravait à la seule force de ses yeux tristes.

— Écoute, Yue. Je ne sais pas où est ton père. Personne ne le sait. Je te souhaite de le retrouver bientôt, si cela est encore possible, mais pour le moment, Mestresse Makara est la personne dont tu dépends. Tu n’as rien à comprendre de plus.

Elle s’approcha et déposa sur le front de Yue un baiser aussi froid que ses dernières paroles.

— À partir d’aujourd’hui, je ne peux plus faire semblant d’être ta maman, conclut-elle.

Une lueur s’éteignit dans le regard de Yue. Sa figure pâlit. Elle se rassit sous l’effet d’un vertige.

Célestine crut sage de ne rien ajouter. Elle quitta le pavillon en s’efforçant de tout oublier de ce qui s’y était passé. un peu d’effort, elle finirait bien par se pardonner l’abandon dont elle se rendait coupable. L’un dans l’autre, avait-elle eu le choix ?

Célestine n’avait pas fait dix pas hors de la tente que son châle lui tomba des épaules. Elle avisa la main qui avait retenu l’étoffe.

— Isaac ?

Son visage était livide. Il balayait le camp du regard. En l’imitant, Célestine crut voir ce paysage dans toute son horreur pour la première fois.

Un nuage noir écrasait les ruines du camp : amalgame compact de fumées et de cendres volatiles. Une odeur de chair calcinée, de viscères chaudes et d’eau sale empoisonnait l’air. Le sol était tapissé d’une boue infâme. Près de la ménagerie, cette même boue était jonchée de cadavres. On les y avait alignés pour en faire le compte sans avoir la décence de les recouvrir. Ils gisaient à la vue de tous. Même la foule de curieux maintenue à distance de la scène pouvait deviner l’horreur qu’avait traversé cet amoncellement de charognes.

— Bravo Célestine… se flagella-t-elle. Encore une fois, tu n’as aidé personne.

— Célestine, je… balbutia Isaac. On doit retourner… tu sais avec, Dragon… si maman ne revient pas, ce sera ma… ma dernière...

Un haut-le-cœur lui coupa la parole. Une acidité lui scinda la gorge. Il vomit.

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