Chapitre 13 : Voyage dans ma tête

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Madame Tarot nous fit sortir de son bureau et nous nous enfonçâmes encore plus loin dans le temple. Il me parut encore plus immense à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous déambulions dans les multiples couloirs croisés depuis cinq bonnes minutes, quand nous arrivâmes dans un espace plus ouvert. Deux grandes fenêtres étaient postées de chaque côté. Juste en dessous de celle de gauche, un étroit escalier tournant semblait descendre au sous-sol. C’est là que la femme nous conduisit.

Robin et moi hésitâmes à la suivre lorsqu’elle s’engouffra dans le petit passage obscur qui s’étendait sous la terre, s’entortillant tel un serpent descendant dans sa tanière. Nous n’avions cependant pas le choix. Nous n’avions pas fait tout cela pour rien. Nous nous mîmes alors à descendre l’escalier avec précaution. Le silence devenait de plus en plus pesant et je m’étonnais de ne pas encore avoir trébuché dans les marches tournantes. Notre guide venait de se stopper devant une porte qui marquait l’arrivée et sortit une clé de sa poche, qu’elle inséra dans la serrure.

Nous nous trouvions dans une salle assez spacieuse, qui ressemblait étrangement à un laboratoire, en plus propre et mieux rangé. Il y avait quelques fioles vides posées sur un rebord qui longeait tout le mur de droite, un microscope et d’autres instruments étranges que je ne reconnus pas. De grands placards étaient incrustés partout dans les murs et au centre de la pièce trônait une sorte de table, au-dessus de laquelle pendait une grosse lampe. L’atmosphère était froide et légèrement effrayante. Je fus prise d’un frisson.

Madame Tarot se mit à fouiller dans l’un des placards, à la recherche d’un objet qui ne lui avait plus été utile depuis un certain moment.

-Ah ! Les voici !

Elle avait déniché une petite boite en forme de spirale qu’elle brandit dans notre direction. Des capteurs. Elle referma la porte du placard et se dirigea vers nous.

-Bon, tu es prête ? me demanda-t-elle. Il y a un moment que nous n’avions pas eu besoin d’utiliser ces vieilles choses. Depuis que les chasseurs ont commencé à s’en servir comme des armes, nous avons trouvé qu’elles n’étaient plus… dignes de nous.

-Attendez, j’intervins. Si vous fouillez dans ma mémoire, est-ce-que je perdrais aussi des souvenirs ? m’inquiétai-je.

La femme se posta près de la table métallique.

-Non, répliqua-t-elle fermement. Ton esprit sera quelque peu embrouillé, mais tu conserveras tout. Nous ne sommes pas des voleurs contrairement à ceux qui se trouvent dehors.

Elle finit sa phrase avec un air de mépris, ce que je ne pu lui reprocher après avoir eu affaire aux Syrus.

-Viens ! Allonge-toi sur la table, m’ordonna-t-elle.

Je m’exécutai et inspirai une grande bouffée d’air pour tenter de me détendre. La dirigeante alluma la lampe qui se trouvait au-dessus de ma tête et m’éblouit d’une lumière blanche vive. Elle sortit les capteurs de leur boîte et en plaça un sur ma tempe. L’objet était terriblement froid, comme un glaçon. Ma respiration s’accéléra. Robin, qui se tenait debout juste à côté de moi, me prit la main et je me mis à la serrer fort, me disant que cette pression serait la seule chose qui me relierait à la réalité pendant cette expérience.

-Ne me lâches pas, chuchotai-je.

-Jamais.

J’eus à peine le temps de voir madame Tarot coller le deuxième capteur sur sa propre tempe, qu’elle posa ses doigts sur le mien et d’un coup tout disparu. Je flottais dans le vide et me retrouvai à nouveau dans les « limbes ».

Non ! Qu’est-ce-que je faisais ici ? Les ténèbres, les voix, tout se mélangeait. Je voulais sortir d’ici à tout prix, je ne voulais pas rester là une seconde de plus.

Brusquement, je fus ailleurs et je retrouvai la lumière du soleil. J’étais à la fenêtre du salon de mon appartement parisien. Je regardais la rue, j’écoutais le son strident des klaxons de voitures et humais l’air pollué qui venait chatouiller mes narines.

Pourquoi je m’infligeais ça ? Je me sentais mal, très mal. Et si je passais par-dessus le rebord et que je tentais de toucher la route ou d’attraper un de ces véhicules ? Pourquoi je voudrais faire ça ? Je ne peux pas faire ça.

Puis, tout devint confus dans mon esprit. Les souvenirs allaient et venaient et je changeais d’émotion en quelques secondes à peine. Je me retrouvai maintenant au milieu d’un désert de terre rouge, complètement déboussolée et entourée de gigantesques écrans. Plus maintenant. J’étais au nuage et prenais la main de Robin lorsqu’il me confiait la tragédie de sa famille. Je pouvais ressentir sa tristesse et me retrouvais désemparée face à sa souffrance.

Tout devint flou et sombre, plusieurs formes se mêlaient ensemble et tentaient de m’attraper. La peur. La peur m’envahissait toute entière quand je vis les Syrus utiliser les capteurs de souvenirs sur Robin. Il convulsait et les spirales blanches brillaient dans l’obscurité. Je m’effondrai et fus de retour au nuage.

J’étais dans ma chambre et tombais à terre, emportant le petit écran dans ma chute. Nous y étions. Ma conversation avec l’esprit de madame Coronas. Le moment où les grésillements étaient apparus et que je fus prise de panique, je crains qu’elle ne reparle plus jamais. Elle me fit ensuite la révélation, le souvenir de Robin, la faille. Tout me revint dans les moindres détails. Je lui avais promis que j’allais faire quelque chose, que j’allais agir et je poussai le cercle blanc pour l’éteindre. Suite à ce même mouvement, je me retrouvai à nouveau dans le noir.

Je retrouvai peu à peu la vue, d’abord très floue, puis je commençai à percevoir des formes qui se mouvaient devant moi. Je me redressai lentement et retrouvai mes esprits, soutenue par Robin. Je me tenais la tête dans les mains. Elle me semblait si lourde ! J’avais l’impression qu’elle était remplie de plomb et que mon cou pourrait la lâcher à n’importe quel moment.

-Comment tu te sens ? me demanda le garçon qui me tenait pour m’empêcher de vaciller.

-J’ai un horrible mal de crâne. Sinon je pense que je suis à peu près entière.

-Tant mieux, me répondit-il avec sa douceur habituelle.

Je me remis progressivement sur pied et descendis de la table de laboratoire pour faire face à madame Tarot, qui rangeait tranquillement les capteurs, sans avoir dit le moindre mot depuis mon réveil. Elle revint vers nous après avoir fermé le placard du fond de la pièce.

-Je te remercie de m’avoir permis de voir ce souvenir. Je l’ai enregistré et pourrai ainsi le montrer à mes collègues. Soyez sûr que nous redoublerons de vigilance concernant le sujet de cette… faille. Je vous demande de ne plus vous occuper de ça à présent.

-Et c’est tout ? s’écria Robin. Vous n’allez même pas nous dire comment vous comptez procéder ou ce que c’est que cette faille ? On oublie et c’est tout ? Comme s’il ne s’était rien passé ?

-Exactement, vous n’êtes que des enfants et vous en savez déjà beaucoup trop, répliqua-t-elle fermement. En revanche, j’aimerais m’entretenir avec vous sur certains points…

La femme avait soudain adopté une expression plus sombre et menaçante, ce qui ne fut pas sans nous inquiéter.

-En réalité… vous devez vous doutez que je peux ne peux pas vous laisser repartir aussi facilement. Je suis navrée, mais je n’ai pas d’autres choix.

Je sentis brutalement la peur m’envahir et comprenant que quelque chose clochait, je me mis à reculer vers le fond de la pièce, tirant Robin avec moi.

-Comment ça ? Que voulez-vous dire ? la questionna-t-il méfiant.

-Oh, je suis sûr que vous pouvez deviner ce que je veux dire. Vous avez l’air de jeunes très intelligents. Quel gâchis ! se lamenta-t-elle.

Elle se trouvait à l’opposé de la salle, pile devant la porte et l’accès aux escaliers, ce qui n’arrangeait pas notre situation si nous estimions que nous ne devions pas rester dans les parages. Nous étions en train de contourner la table lorsque la dirigeante aux cheveux et aux yeux aussi noirs que mes pires cauchemars, annonça ce que je redoutais.

-Vous êtes trop instables et je suis sûre que vous-mêmes vous en êtes conscients, tenta-t-elle de nous amadouer de la plus mauvaise manière. Toi mon garçon, le simple fait de dévoiler ton identité t’a condamné à l’instant où je t’ai rencontré. Tu seras dématérialisé, c’est une question de précaution et comme ton père, ton esprit perverti ne sera pas conservé.

-Non !Vous ne pouvez pas faire ça ! hurlai-je de terreur, affolée à l’idée que Robin puisse disparaître pour toujours.

Je le sentais également frissonner à côté de moi et il se mit à pâlir.

-Aélys, recules, me dit-il, mais l’affreuse femme intervint avant que j’eu esquissé le moindre mouvement.

-Oh, c’est inutile, tu es aussi concernée jeune fille.

Cette fois-ci, Robin sortit de ses gonds et répondit dans une colère noire en avançant d’un pas.

-Non, non ! C’est hors de question, vous ne la toucherez pas ! Je vous interdis de lui faire quoi que ce soit !

Cependant, elle sembla s’amuser de sa réaction et s’écarta légèrement de la porte.

-Mmm… bien sûr, répliqua-t-elle sur un ton sarcastique. Tu sais, dit-elle en s’adressant à moi, après t’avoir croisé dans la rue, j’ai fait quelques recherches et j’ai découvert un point très intéressant te concernant. Tu ne travailles pas à l’atelier de clarosfène et mieux encore ! Tu n’es même pas inscrite dans nos registres ! Curieux n’est-ce pas ?

Elle fronça les sourcils.

-Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont tu as pu t’infiltrer à Christoval tout ce temps et j’avoue que cela m’intrigue. Même tes souvenirs n’ont pas su me le dire.

-Attendez je vous en prie, supplia Robin. Je suis sûr qu’elle peut vous être utile, elle pourrait travailler. Elle sait… elle sait soigner ! Magistralement je pourrais dire ! Elle serait parfaite dans les services médicaux.

-Robin ! m’écriai-je. Je ne resterai pas ici sans toi !

-Tu l’as entendu ? Comme c’est adorable. De toute manière nos services médicaux ont largement assez de personnel comme ça, j’irai même jusqu’à dire qu’ils sont bien trop nombreux. Il faudra réduire encore un peu les effectifs, aussi bien des infirmiers que des patients…

-Comment pouvez-vous dire une chose pareille, la coupa Robin d’un air de dégoût. J’en ai assez entendu, on s’en va Aélys !

Sur ce, il me tira vers la porte, mais madame Tarot venait de nous barrer à nouveau la sortie.

-Vous n’irez nulle part, ne rêvez pas.

Elle actionna un petit bouton rouge incrusté dans le mur derrière elle et une alarme stridente se mit à retentir dans tout le bâtiment, m’obligeant à me boucher les oreilles. Sous le coup de la surprise, je ne vis pas Robin foncer vers elle et lui asséner un coup qui la fit se tordre de douleur et tomber à terre. Je la vis heurter le sol, repliée sur elle-même et lançai un :

-Oh mon dieu !

Je me couvris la bouche et ouvris de grands yeux, choquée de la violence qui avait prit mon ami en si peu de temps.

-Dépêches-toi, montes ! me cria-t-il à travers le vacarme de l’alarme.

Il m’attendait dans l’escalier, prêt à remonter et s’enfuir. Je m’empressai alors de le suivre.

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