Chapitre 9 : Confinement

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Naturellement, quand Enora était rentrée et avait vu l’état de Robin, elle explosa en un mélange de panique, d’inquiétude et de rage. Elle passa par toutes les émotions possibles en moins de cinq minutes. Nous lui racontâmes l’épisode de l’attaque dans les tunnels à quelques détails près. En revanche, mon ami oublia de préciser que tout était de ma faute à l’origine ou peut-être l’eut-il fait exprès. Je m’étais déconcentrée durant le trajet du retour et avais perdu sa trace.

Je ne l’appris qu’en fin de soirée, mais il m’avait longtemps cherché après s’être rendu compte de ma disparition. Il s’était attardé près de toutes les entrées de tunnels, espérant m’y retrouver, ce qui avait sûrement facilité la tâche aux Syrus, qui devaient le guetter depuis déjà un moment.

Cette fois c’en était trop. Je ne pouvais plus me cacher indéfiniment derrière les autres et devais assumer mes fautes une bonne fois pour toutes. Sans mon manque de vigilance, nous serions rentrés sans encombres et les Syrus n’auraient pas eu le temps de repérer Robin, j’en étais persuadée. Je me décidai alors à me lever et me postai en face d’Enora, pour lui expliquer ce qu’il s’était réellement passé et lui dis la vérité, toute la vérité sans rien omettre, ce qui acheva la mauvaise opinion qu’elle avait déjà de moi. Mais je n’en avais que faire. J’avais besoin de me libérer de ce poids qui me pesait depuis notre retour à la maison. Enora ne m’adressa plus la parole après ça. Elle m’avait définitivement fermé sa porte.

Il s’en fallu de peu que je finisse à la rue, mais Robin insista tellement pour que je reste, qu’elle ne put rien dire de plus pour le convaincre de m’abandonner. Je fus cependant consignée au nuage toute la journée du lendemain et celles qui suivirent. Je n’accompagnai plus le garçon à l’atelier de clarosfène et j’en fus très attristée. Tous les soirs j’attendais impatiemment son retour, espérant qu’il n’ait pas eu de problèmes en chemin. Je restais postée devant la haute fenêtre du salon, assise sur le rebord d’un des fauteuils et surveillais la rue, attentive au moindre mouvement extérieur. Je guettais l’apparition du moindre danger possible et étais prête à bondir tel un chien de garde si l’un de mes hôtes avait des ennuis.

Les jours passèrent ainsi. Ils s’enchaînaient et se ressemblaient sans que rien d’exceptionnel ne se passe.

Je faisais et refaisais le tour de la maison, arpentant les différentes pièces les unes après les autres. Je connaissais maintenant par cœur tous les recoins du nuage, l’emplacement exact de chaque élément du mobilier, la contenance au détail près de chaque placard, de chaque tiroir, de chaque étagère. La trousse de secours était toujours posée au sommet du placard de la cuisine, derrière la table. Elle avait légèrement été déplacée depuis sa dernière utilisation. Je le savais car j’avais remarqué l’empreinte que celle-ci avait laissé dans la fine couche de poussière qui reposait sur toute la surface. La zone restée propre était maintenant visible, dépassant du positionnement actuel de la trousse. Il manquait un couteau dans le tiroir opposé au placard. Je le savais car toutes les fourchettes et couteaux faisaient parti du même service. Ils possédaient tous cette même forme de fine pétale de rose, qui s’incrustait dans le métal. Il y avait seize fourchettes et seulement quinze couteaux, ce qui impliquait la perte de l’un d’entre eux de toute évidence.

Les escaliers craquaient lorsque l’on s’appuyait sur certaines zones en particulier. Ici, tout à droite de la troisième marche et là, sur l’avant de la cinquième, pile entre le centre et l’extrême gauche de la pièce de bois. Les pires grincements se trouvaient au milieu des neuvième et dixième marches, comme si c’était là la source de la fragilité. Tous les jours, les rayons du soleil venaient frapper à travers la vitre droite de la fenêtre de ce qui était à présent ma chambre. Tous les matins, à dix heures trente-cinq précises, je m’asseyais au sol et observais les rayons traverser le sixième carreau en partant du haut de la vitre, qui venaient illuminer les plis de ma couette, jusqu’à la bougie violette sur la petite commode, qui se mettait alors à scintiller tel une améthyste et libérait ses divines senteurs de lilas.

Comme ce rituel m’était agréable. Parfois je me surprenais à connaître tant de choses sur cette maison qui n’était pas la mienne et m’effrayais de l’intérêt que je portais à ces choses sans importance. Ce n’était pas ça qui allait m’aider à sortir de ce pétrin. Je ne savais toujours pas comment rentrer chez moi et n’avais même plus accès à l’extérieur à cause du danger que je représentais pour le gouvernement de Christoval, qui n’acceptait aucun étranger. Pourtant, j’avais envie de m’intégrer, d’être utile pour faire quelque chose de bien, mais je dois dire que je n’approuvais pas la politique de la cité concernant les personnes inaptes à travailler. Ne se rendait-elle pas compte qu’elle se peuplait d’orphelins ? Quelle tristesse. Il n’y avait rien de plus important que le contact humain. Tiens ça m’allait bien de dire ça, moi qui finissais toujours par m’éloigner de ceux qui m’entouraient sans raison. C’était assez ironique quand on y réfléchit.

Les jours passèrent. Les nuits passèrent. En réalité, je me désolais de passer autant de temps seule à présent et de ne voir Robin que si peu de temps chaque jour. Même Enora et son mauvais caractère finissaient par me manquer parfois. Tous deux partaient tôt le matin et revenaient tard le soir. Alors je me retrouvais encore dans le silence complet, n’entendant plus que les quelques piaillements d’oiseaux, qui avaient bien de la chance de pouvoir voleter en toute liberté. Les craquements de l’escalier me paraissaient beaucoup plus forts que d’habitude, comme s’ils se fatiguaient eux aussi de ce silence pesant. Il m’arrivait par moment de distinguer une véritable plainte dans ces craquements. C’était ça, une plainte. Ils hurlaient, ils pleuraient, ils agonisaient. C’était de pire en pire et j’en vins à rester le plus longtemps possible à l’étage pour éviter d’avoir à les faire souffrir en les écrasant.

Se pourrait-il que je commence à perdre la tête ? Que l’enfermement ait pris le dessus sur moi et me dévore toute entière, jusqu’au plus profond de mon âme ?

Je suppose que je ne le saurais jamais, n’ayant aucun témoin de ma folie mentale. Pourtant j’étais sûre de ce que je voyais. Des ombres. Des dizaines d’ombres noires qui me suivaient à la trace dans mes déplacements. Un instant elles étaient derrière moi et un autre instant elles avaient disparu et je demeurais à nouveau seule dans la maison. Je savais ce que c’était. Mes cauchemars m’avaient suivi dans la réalité. Ils me poursuivaient pour m’emporter dans les ténèbres. Les ombres avaient été envoyées des limbes pour venir me chercher et me ramener de là où je venais, là où était ma place. Je ne voyais pas d’autre explication, c’était forcément ça. En arrivant à Christoval, j’avais réussi à m’échapper du vide et de mes peurs, mais aujourd’hui elles revenaient petit à petit me hanter.

La nuit, c’était le pire. Les cauchemars devinrent encore plus récurrents. Je me retrouvais encore et encore dans le gouffre sombre où mes émotions et ma volonté disparaissaient. J’entendais à nouveau le « Tic, Tac » qui s’amplifiait d’abord, avant de s’éloigner et de laisser place aux voix qui me ramenaient à la réalité. Mais parfois les voix n’étaient pas présentes et je me réveillai en sursaut au petit matin, en criant. Alors Robin accourait à mon chevet pour me rassurer et m’apporter de l’eau. Il me caressait le visage et plongeait ses grands yeux bleus dans les miens. Son coquard avait fini par disparaître et libérer son œil gauche.

Cependant, chaque fois qu’il venait, son regard changeait. Il devenait de plus en plus inquiété et effrayé par mon comportement. Il me disait que tout allait bien et s’évaporait une fois de plus pour le reste de la journée.

Même réveillée, le « Tic, Tac » ne me quittait plus. Quand je descendais à la cuisine, je l’entendais, ce « Tic, Tac » qui provenait de l’horloge accrochée au mur au-dessus de l’écran de télévision. Je pouvais parfois m’asseoir dans le canapé et rester là pendant des heures, à fixer les aiguilles avancer de millimètres en millimètres dans ce son répétitif qui frappait tel des coups de marteau. « Tic, Tac », « Tic-Tac ». J’en étais convaincue à présent, je sombrais petit à petit dans la folie et allais embarquer tout le nuage avec moi. C’était irréversible.

Un matin, je me réveillai sans cauchemar et sursaut pour la première fois depuis longtemps. Il était tard, déjà onze heures et Robin et sa sœur avaient déjà quitté la maison. Je me levai sans motivation et sans but comme je le faisais depuis maintenant environ trois semaines il me semble. Peut-être moins ou plus, je ne savais plus, j’avais complètement perdu la notion du temps. C’est à ce moment que ma plus proche amie, sur qui je pouvais toujours compter, se décida à réapparaître sans prévenir. Ma bien-aimée maladresse était de retour. J’eus à peine le temps de me mettre debout, que je me pris les pieds dans un pan de couette qui traînait au sol. Je trébuchai et tentai de me rattraper au mur à ma gauche, mais au lieu de ça je heurtai le petit écran accroché au mur et nous finassâmes tous deux par terre. Je me redressai rapidement et fus prise de panique en apercevant l’écran, face contre terre. J’eus peur de l’avoir cassé. Je le retournai alors et le posai sur mes genoux pour vérifier qu’il était en bon état. Je constatai avec soulagement qu’il n’avait rien de brisé. C’est là qu’une lumière blanche s’alluma, en provenance de l’objet.

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