Chapitre 5 : Enora

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-C’EST QUOI CE BORDEL? furent les premières paroles qu’elle prononça à mon égard. La grande sœur de Robin m’observait comme si j’étais une chose infâme, un insecte dégoûtant qui se serait introduit chez elle. Sa réaction me surprit tellement qu’elle me fit presque peur.

Elle restait debout, hébétée, nous fixant à tour de rôle et s’attarda sur mes mains, dans lesquelles je tenais encore celle du pauvre garçon. Ayant remarqué sa contrariété, je les retirai en vitesse et me renfrognai, priant pour devenir invisible. Enora était hors d’elle.

-Robin ! Dépêches toi de m’expliquer ce que cette fille fiche ici en pleine nuit ! Le couvre-feu vient de tomber et il est interdit de recevoir d’autres gens que ceux de son domicile je te rappelle, surtout en cette période, tu as oublié ? s’écria t-elle avec rage.

Robin se leva, tenta de la calmer en abaissant ses mains devant lui et répondit, parfaitement détendu.

-S’il te plaît Enora, calmes-toi, je connais très bien le règlement, mais je n’avais pas le choix. Laisses-moi t’expliquer OK ? Je te présente Aélys. Elle n’a nulle part où aller, c’est pour ça que je l’ai ramenée. Elle ne vient pas d’ici. Je ne sais pas comment elle s’est retrouvée à Christoval, mais elle était évanouie au beau milieu du cimetière des souvenirs et j’ai déterminé qu’il était de mon devoir moral de l’aider, je pense que tu peux le comprendre non ?

Le discours rassurant de Robin me permit de me détendre un peu et d’oser espérer qu’il ne me laissera pas me faire jeter à la rue par sa sœur, malgré le fait qu’elle était encore loin de décolérer. Au contraire, en plus d’être furieuse elle paraissait maintenant aussi paniquée que moi. J’étais vraiment dans de beaux draps !

-Quoi !

Elle émit un rire forcé et repoussa ses cheveux derrière ses oreilles, en détournant la tête avant de parler.

-Non mais dites-moi que c’est une blague ? Tu es en train de me dire qu’on va devoir héberger une étrangère apparue comme par magie et garder ça secret, comme si de rien n’était ? Est-ce-que tu te rends compte du danger que tu nous fais prendre Robin ? Si la patrouille rapplique nous sommes morts ! Tu comprends ça ? Morts !

Elle hurla ce dernier mot si fort que j’en eus des frissons. Je demeurai complètement bloquée sur ma chaise, ne sachant pas quoi faire pour la calmer et la rassurer sur mon talent en terme de discrétion. En vérité, je pense qu’elle était si furieuse contre son petit frère pour avoir pris cette décision sans lui en parler, qu’elle ne remarquait même plus ma présence. Cela me mettait très mal à l’aise.

-Je t’en supplie Enora, ne cries pas si fort ! s’écria Robin, ayant lui-même haussé le ton pour se faire entendre. Si Aélys était restée dehors tu connais très bien le sort qui lui aurait été réservé et je sais que tu ne souhaites ça pour personne.

Robin avait apparemment touché une corde sensible, car elle finit par s’enfoncer dans un fauteuil mollement, épuisée et mit son bras sur l’accoudoir pour soutenir sa tête. Elle paraissait en pleine réflexion, tandis que nous l’observions, dans l’attente d’une nouvelle réaction. À mon grand étonnement, elle répliqua beaucoup plus calmement et froidement.

-Tu as raison. Elle ne mérite pas ça, mais nous non plus, dit-elle en me fixant de ses yeux bleus envoûtants. S’il nous arrive quoi que ce soit par sa faute, tu en seras l’unique responsable Robin. C’est toi qui la prendras en charge le temps qu’elle restera. Il est hors de question que je me fasse soupçonner de rébellion à cause de vous.

Enora avait posé strictement ses règles, avec détermination et ne reviendrait pas dessus. Je le voyais à son visage. Elle refusait d’être mêlée à quoi que ce soit me concernant. Et moi je restais là comme une idiote en face, une petite chose fragile ayant besoin d’être protégée. Pourtant, j’aurais aimé lui répondre, la contredire, lui assurer que je pouvais me faire discrète et m’occuper de moi, que je n’avais pas besoin de sa protection, que j’étais assez forte pour me débrouiller seule et ainsi ne pas les mettre en danger ; seulement je fus incapable de sortir un mot de ma bouche, parce que c’était ce que j’étais, une petite chose fragile et je me détestais profondément pour ça. C’était atroce. Robin, lui, était courageux et savait défendre ses choix, même s’ils pouvaient lui porter préjudice. Il resterait sur sa position et ne laisserait jamais quelqu’un dans la misère s’il avait moyen de lui venir en aide. Cela pouvait paraître un peu fantaisiste, mais je le devinais rien qu’en le regardant et je l’admirais pour ce caractère. Il ne m’abandonnerait pas à mon sort. Il ne me laisserait pas tomber et je l’en remerciai mentalement.

-C’est d’accord, répondit-il sérieux. J’en prends la totale responsabilité et tu n’auras aucun soucis à te faire. Personne ne découvrira sa présence chez nous.

-Il y a intérêt, lança-t-elle en se levant du fauteuil et se dirigea vers les escaliers placés au centre de la maison, formant la coupure parfaite entre la cuisine et le salon.

Elle monta les marches, qui grincèrent légèrement sous ses pas, me laissant seule en compagnie de Robin, qui adoptait toujours une expression tendue et préoccupée. Puis il me regarda, immobile sur ma chaise et se radoucit.

-Ça aurait pu mieux se passer hein ?

Lorsqu’il s’adressa à moi, je sortis de ma pétrification et retrouvai brusquement la parole.

-Si j’avais su. Je suis désolée, je n’aurais pas dû te suivre. Je ne cause que des ennuis à ceux qui m’entourent, dis-je avec une pointe de regret et un fort sentiment de culpabilité.

-Ne dis pas n’importe quoi voyons. Ce n’est quand même pas ta faute si tu es tombée du ciel, me répondit-il avec une voix d’une exquise douceur.

-Si, je le sais. C’était déjà le cas avec ma famille.

-Comment ça ? Qu’est-ce-que tu veux dire ?

Je me mis alors à repenser à mon père, médecin neurologue et ma mère avocate que je décevais continuellement par mon inaction constante. Mais ce n’était pas le bon moment pour en parler. Je ne pouvais tout de même pas confier à mon nouvel ami que je n’étais qu’une incapable qui ne méritait pas d’être aidée. Non, ce n’était certainement pas le moment. Aussi je lui répondis le plus vaguement possible, pour changer de sujet.

-Rien, laisses tomber, ça n’a plus d’importance. Je ne sais plus trop ce que je dis.

Sur ces paroles, je lui souris et il me proposa de me montrer la chambre d’ami pour que je puisse dormir et me rétablir de cette journée riche en émotions. Il emprunta l’escalier grinçant qui menait à l’étage du nuage et me conduisit vers l’une des cinq portes qui s’enchaînaient, le long d’une grande passerelle qui ouvrait sur le rez-de-chaussée. Ma chambre se trouvait du côté gauche de la passerelle, juste à côté de celle de Robin. Enora dormait déjà, du côté droit, non loin de la salle de bain. Je ne savais pas pourquoi mais cette coïncidence ne m’étonnait pas.

J’entrai dans la pièce, dont les murs étaient toujours faits de cet étrange métal brillant et suivaient les petits creux du nuage. La chambre était charmante. Il n’y avait que deux meubles, une armoire et une petite commode de bois vernis, recouverts de dizaines de bougies odorantes de toutes les couleurs et tous les aspects. Chaque bougie, en fonction de son odeur, prenait l’apparence d’une fleur ou d’un fruit lui correspondant. Un grand lit double prenait le centre de la pièce et paraissait digne d’une publicité pour matelas.

Robin m’expliqua que c’était la chambre de ses parents, avant le drame et qu’elle n’avait pas été utilisée depuis. Je remarquai également le petit écran accroché au mur de droite, exposé tel un cadre photo, mais je ne fis aucune remarque dessus. Robin me laissa seule après m’avoir souhaité une « bonne nuit » et je me mis sous les draps avec une sensation d’oppression, le sentiment de ne pas être à ma place, de ne pas être au bon endroit, celui où l’on avait réellement besoin de moi. Cet endroit pouvait-il même exister ?

Je m’endormis sur ces pensées et me laissai sombrer dans les profondeurs de la nuit.

Il faisait sombre, tellement sombre que j’eus peur d’avoir perdu la vue. Tout était noir et me recouvrait toute entière. Entière ais-je dis ? Je ne l’étais pas. Je ne sentais plus mon corps, seulement mon esprit qui dérivait dans le néant vers une direction inconnue. Je ne pouvais plus esquisser un mouvement. J’avais l’impression de dériver dans le vide, entraînée par le courant des ténèbres qui m’emportait avec lui. Que pouvais-je faire ? Rien ne viendrait me sauver cette fois-ci. Les apparitions divines, les miracles, ça n’existait pas. Il était inutile de croire et de se battre pour quelque chose qui n’existait pas. Au moins, je ne décevrai plus personne et ne causerai plus de problèmes à Robin. C’était fini pour moi. Je resterai dans l’obscurité à partir de maintenant.

Non. La vie n’en avait pas encore fini avec moi. Elle m’envoyait à nouveau des signaux du monde extérieur. Des murmures, des centaines de murmures m’entouraient. Une voix se distinguait. Elle murmurait plus fort que les autres et m’appelait.

Pourquoi ? Pourquoi ne peut-t-elle pas me laisser tranquille et m’abandonner à mon sort ? Je tentais de la repousser, mais elle ne s’éloignait pas. « Vas t’en ! », « Vas t’en ! », je tentai de lui crier. Je ne voulais plus revoir le jour, je voulais en finir avec tout ça. La voix persistait et m’emportait avec elle, tentant de m’arracher aux ténèbres. Soudain, tous les murmures cessèrent brutalement et je me retrouvai dans un silence complet. J’ouvris les yeux et vis la douce et pâle lumière de l’aube.

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