Douilles.

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Il apprit de cette expérience que quand tu rates un suicide, tu n'as pas le courage de recommencer, du moins pas tout de suite. Il devait toutefois comprendre pourquoi il était toujours en vie. Il ouvrit le barillet, les six balles étaient bien présentes. Il referma l'arme, visa un tronc d'arbre à environ cinq mètres et tira plusieurs fois d'affiliés en comptant dans sa tête. Les coups partirent dans un vacarme assourdissant. Un deux trois quatre cinq, clic, clic, clic, clic ! Il se retrouva enveloppé d'une fumée blanche, d'une odeur âcre de poudre et de l'écho des coups tirés. Le tronc n'avait pas un trou, il avait raté sa cible, encore une fois. Ça le mit dans une colère noire. C'était toute l'histoire de sa vie : rien ne se passait jamais comme prévu, un désastre ! Son mariage, sa vie professionnelle, ses finances, ses projets, ses espoirs, tout partait toujours en vrilles. Il poussa un énorme et long cri de rage. Ça le calma un peu. Il avait compté cinq coups et il y avait bien six balles. Sans réfléchir, il ouvrit à nouveau le barillet et fit tomber les douilles dans sa main gauche. Elles étaient brûlantes. Il se crama et les lâcha au sol. Il était décidément con. "Trop con pour être heureux !", se dit-il. L'homme se baissa et posa l’arme pour fouiller le tapis de feuilles. Il trouva cinq douilles fumantes et une balle entière. C'était celle qui aurait dû lui traverser la tête. "Il n'y a vraiment que moi pour tomber sur une PUTAIN de balle défectueuse ! " Il ramassa la balle, se releva et la mit dans sa poche. Puis il eût le vertige, vit la forêt tourner, ses jambes flageolèrent et il s'écroula dans l'humus. Etat de choc. Il ne perdit pas conscience mais ressentit une énorme fatigue. Allongé sur le sol humide et spongieux, entouré de grands arbres, il se dit qu'il n'était qu'un raté, un sacré trou-du-cul et il ajouta spontanément : "Tu ne peux pas dire un sacré trou-de-balle !" Malgré les circonstances, le rescapé de lui-même trouva ça drôle. Il ne put s’empêcher de s'esclaffer nerveusement. Sa pensée suivante fut : "C'est bizarre les phrases qui te traverse l'esprit quand tu échappes de peu à la mort !"… Moment de silence dans son esprit, comme s’il réfléchissait, puis il se répondit : "Tu me diras qu'une phrase qui te traverse l'esprit, ça fait toujours moins de dégâts qu'une balle !" Et là son cerveau craqua. Il ne put s'empêcher de partir dans un fou-rire hystérique qu’il devait plus au ridicule de sa situation et au relâchement brusque de sa tension nerveuse qu’au pouvoir comique de sa dernière pensée. Il se tordait par terre en se tenant le ventre. Des trucs durs lui faisaient un peu mal à travers ses vêtements. Dans le brouillard de ses yeux rempli de larmes il vit que c'étaient des glands. "Un gland parmi les glands !" et il hurla encore plus de rire. Il n'arrivait plus à se ravoir. "Si ça se trouve je vais être le premier suicidé mort de rire !" Et c'était reparti pour un tour... Ça dura un bon moment, il avait très mal au ventre, mais petit à petit il se calma et retrouva son souffle. Son rire se transforma d'abord en cris traînants de désespoir, puis en chagrin et enfin il pleura comme il ne l'avait jamais fait de sa vie, jusqu'à l'épuisement. Ça lui fit beaucoup de bien. Il était passé d'un extrême à l'autre. Du rire aux larmes, de la mort à la vie. Exténué, couvert de terre et de feuilles, les abdos en compote, les cheveux en bataille, il rampa jusqu'à une pierre moussue sur laquelle il s'assit tant bien que mal. Il était vidé et transi de froid. Posé au milieu de nulle part, frissonnant et reniflant dans le matin blême, il essuya ses larmes, posa ses coudes sur ses genoux et sa tête dans ses mains. Il n'était plus rien. Ni mort, ni vivant. Il n'avait plus d'émotion, plus de colère, plus de peur, plus d'angoisse. Il ne se sentait ni bien, ni mal. Il n'avait plus d'envie. Il était... Il ne savait plus ce qu'il était. Il était trop épuisé pour se lever et partir. Tout son corps était douloureux. Ses jambes n'avaient plus de force. Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire maintenant, il n’avait pas anticipé une suite éventuelle à sa mort. Alors il ferma les yeux et attendit sans savoir ce qu'il attendait. Il resta comme ça un long instant. Il était incapable de dire combien de temps s'était écoulé lorsque ce qu'il attendait arriva.

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