Halte au complot !

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Bon, on vient de me le dire ! Je suis un de ces abrutis de complotistes qui voient le mal partout, alors que nos respectables zélus du Parle-et-Ment travaillent d'arrache-pied (nouveau modèle de LBD ?) pour sauver ce qui pourrait encore l'être de notre société et de son économie.

Eh oui, c'est moi, l'indigne, l'inepte et ignare individu sans diplôme qui fout la merde dans le pays en racontant à droite et à gauche que ceux de droite et de gauche luttent de concert pour éradiquer notre mode de vie actuel. Ceux-là nous préparent un avenir radieux où chômage et retraite, enseignement et commerce ne seront plus jamais un souci pour nous.

Mais moi, à moi tout seul, je sème la discorde et le doute dans les esprits simples des bovidés de cette contrée naguère gauloise !

Alors, puisque c'est aujourd'hui dimanche, que j'ai donc le droit de me rouler les rollmops après une longue semaine de travail et de stress, que dis-je, de stress... d'angoisse, oui ! D'angoisse totale, mortelle, macabre, sidérante ! Donc, j'ai le droit pour le moment de buller devant mon écran et de pianoter un paquet d'idioties scabreuses et sans aucune preuve pour accuser les anges de la raie-publique. Madame Irma est de repos, elle aussi. Je n'ai donc d'autre solution pour baver sur les costards de luxe que de me triturer les méninges pour inventer du super fake qui fera trembler les ahuris.

Et pourquoi pas, après tout ? adolf et sa clique se permettent tout, alors pourquoi pas moi ? Jalousie de ma part ? Bien sûr ! Perso, le mensonge, c'est tout ce qu'il me reste puiqu'ils ont tout raflé pour leur propre complot mondial.
Et puis, si ça peut les faire chier, moi, ça m'amuse et ça me fait passer le temps. Moi tout seul entre mes quatre murs de béton.

Pourtant, tel Socrate méditant sur l'art et la manière d'être juste et de tout faire pour ne pas sombrer dans l'iniquité, je me dois de regarder en moi pour déterminer à quel point je me suis fait l'apôtre des complotistes de ce monde en perdition. L'introspection est un art difficile et l'objectivité un horizon complexe à saisir. Seul, je ne pourrais jamais y arriver, me suis-je dit. C'est vrai que je suis pas assez malin pour ça.
Alors, j'ai invité le vieux buveur de cigüe à un petit casse-dalle et, à l'heure du pousse-café, on a entamé une de ces conversations qu'il aimait tant.
Imaginons-nous aux abords immédiats de sa prétendue prison du Pnyx, au-dessus de l'Agora et pas loin de l'Acropole, là où il finira ses jours, restant fidèle à ses principes et à la démocratie.

Il est donc là, mon adorable vieux barbu septuagénaire, sourire moqueur et regard perçant. Il m'attend au détour du bois, se pourléchant par avance d'une joute oratoire dont il sait déjà qu'il sortira vainqueur.

- Salut à toi, petit vaurien du troisième millénaire ! La rumeur publique est venue jusqu'à moi, sous les pierres calcinées d'Athènes, portant les cris d'indignation des descendants de Métélus. Nom de Zeus, aurais-tu sacrifié aux pires impiétés pour qu'Atropos et ses soeurs menacent ainsi la quiétude de tes jours sur Terre ?

- Salut à toi, Socrate ! Non, les Moires ne me cherchent pas. Ce sont d'autres fouteurs de merde qui s'attèlent à la tâche, trop heureux de se croire en train d'hurler avec les loups alors qu'ils ne font que braire comme des ânes !

- Et quels griefs te sont reprochés, mon ami ? Aurais-tu commis quelque acte impardonnable, tel que tuer un de tes contemporains ? Ou encore violer quelque règle imposée par les Dieux ? Je suis curieux de savoir ce qu'on peut encore reprocher au métèque d'une civilisation qui devrait être très largement supérieure à celle que j'ai connue de mon temps.

- Si tu savais à quel point nos mondes sont proches et semblables, mon cher Socrate ! A ton époque, tout reposait sur la richesse et la force. Apprends qu'aujourd'hui encore, seuls les riches sont au sommet du monde et dirigent des civilisations qui ne survivent à la fuite des Temps que par la violence des sbires qui obéissent aveuglément à une ploutocratie malfaisante !

- Comme tu y vas ! Voyons, ces rois ne veillent-ils pas, aidés de Zeus, à la sécurité et au bien-être de leurs peuples ? Leurs lois ne sont-elles pas les phares qui guident leurs pas dans l'obscurité d'un avenir toujours incertain ?

- Non, j'en ai bien peur. Les lois ne sont plus faites, aujourd'hui, que pour influer positivement sur les intérêts d'une minorité qui rêve d'un monde qui leur appartiendrait en totalité, débarrassé de la foule immense des gens qu'ils pensent inutiles à leurs projets.

- Veux-tu dire que la Loi n'est plus le bras armé de la Justice ? Et que la Justice n'est plus l'équilibre suprême de la Cité ?

- C'est exactement ce que je pense.

- Mais alors, trouves-tu dans les rues, dans les temples, dans les champs des traces de ce que tu affirmes ? Vois-tu la confirmation physique de tout ceci ? Vois-tu, de tes propres yeux, des hommes se comporter de manière injuste ?

- Tous les jours ! Et pas des moindres ! Ce sont les pseudo-basileus sur leur trône qui rivalisent d'iniquité pour nuire à la sérénité de ceux qu'ils maltraitent ! Tout le monde en pâtit ; jeunes, adultes, vieillards ! La mauvaise foi n'a de meilleure complice que la sauvagerie des pensées de ceux qui pensent uniquement à nous nuire, usant d'une réthorique malsaine, apprise au prix de fleuves de sang versés trois générations plus tôt, pour expliquer les plans fumeux de stratèges de pacotilles qui combattraient une maladie imaginaire qui tuerait plus de gens que les Perses de Xerxès ne sauraient en tuer eux-mêmes !

- Tes rois disent qu'ils se battent contre un ennemi invisible, insidieux ? Une maladie, dis-tu ? Mais que connaîs-tu de cette maladie ? Asclépios t'aurait-il fait profiter de ses enseignements pour oser dire que c'est une maladie imaginaire ? Crois-tu que tu vivrais encore si tes chefs n'avaient pas décidé de te faire survivre ? Si je t'en crois, ils agiraient pour te sauver et tu protestes parce que tu voudrais peut-être mourir par ignorance ?

- Socrate... Peut-être qu'à ton époque on mourait de l'égratignure d'une rose ou d'une plaie mal pansée mais, de nos jours, seules les personnes les plus fragiles et déjà aux portes du royaume d'Hadès meurent d'un simple courant d'air ! Non, je dis que nos chefs sont des menteurs qui se servent du prétexte d'un ennemi invisible pour asservir leur peuple et précipiter l'arrivée d'un monde taillé à leurs seules envies !

- Mon ami, les Lois sont ainsi faites qu'elles préservent ta liberté. Ne le crois-tu pas, non plus ? Ainsi, pour protéger ta vie, ils estiment que tu dois absolument respecter des règles nouvelles, parfois contraires à tes habitudes. Si tu voulais vivre dans un monde sans loi, que crois-tu qu'il adviendrait de ta vie, de celle de tes proches, de ton vieux père et de ta vénérable mère ? Penses-tu que ta femme oserait aller au marché pour en ramener de quoi nourrir ta famille ? Sans loi, ton monde serait semblable à la forêt où les prédateurs tuent pour assurer leur suprématie sur un territoire qu'ils estiment être le leur.

- A moi de t'interroger, ô Socrate. Crois-tu qu'il faille nécessairement enfermer mon vieux père et ma vénérable mère, séparés l'un de l'autre, dans une chambre fermée à clé, n'ayant pas le droit d'aller réchauffer leurs membres vieillis au soleil réparateur d'un chaud printemps ? Estimes-tu vraiment que la Loi protège l'intérêt ou la survie d'un peuple auquel on impose des règles qui, d'un jour à un autre, vont à l'encontre les unes des autres ? Comment la Loi devrait-elle supplanter mon droit et mon devoir de père de protéger mes enfants, imposant à ces dernier de porter en permanence un masque qui, en plus de leur couper la parole, est inefficace contre la maladie imaginaire invoquée sans cesse ?

- La vocation d'un roi est de servir son peuple. Je te rappelle que la politique, c'est servir, pas se servir...

- Et n'as-tu jamais connu de ton temps de ces intrigants qui agissaient dans l'ombre pour s'arroger tous les pouvoirs pour leur seul usage, leur seul bon plaisir ?

- Si, bien sûr. La nature humaine est ainsi faite, que veux-tu ! Mais, au-dessus d'eux, il y a Zeus qui est l'ordonnateur du monde, et s'il a décidé que les hommes devaient échanger un peu de leur liberté pour plus d'années de vie terrestre, alors la Loi est bonne et faite pour leur bien-être. Te crois-tu supérieur aux Dieux et capable de faire mieux qu'eux ?

- Il n'est plus question de dieux, de nos jours, Socrate ! Ceux-là ont été placés dans la naphtaline et sommeillent tranquillement sur l'Olympe, bienheureux et enfin débarrassés du souci des hommes !

- Comment est-ce possible ? Alors le monde a sombré dans l'injuste ?

- Possible, en effet. Une chose demeure : les hommes cherchent par tous les moyens à devenir des dieux eux-mêmes. A ton tour, ne dirais-tu pas que certains hommes se sentent supérieurs aux dieux et capables de faire mieux qu'eux ?

Le vieillard aux pieds nus semble un peu perturbé...

- Je crois que j'ai besoin de réfléchir un peu, souffe-t-il après un long silence. Retrouvons-nous bientôt pour reprendre le fil de cette conversation, tu veux bien ?

- Comment refuser, mon cher Socrate ? Espérons seulement que Zeus n'aura pas décidé de nous rendre définitivement silencieux d'ici-là ?

- Petit vaurien complotiste ! rit-il doucement en me quittant.

A suivre...

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