On chante la messe

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Jour 6

Je me fais chier. Carrément. J'ai arpenté mon petit jardin de curé en long, en large et en travers. J'en connais chaque brin d'herbe. Je pourrais même donner un nom à chacun d'entre eux. J'ai observé avec attention les pruniers qui sont en fleurs depuis près de trois semaines, déjà. Je peux voir ce qui deviendra peut-être une belle récolte. Mais je ne vois quasiment pas d'abeilles... Les butineurs seraient-il aussi confinés ?

Depuis ce matin, mon ordinateur reste en veille permanente, connecté sur les réseaux. Je ne suis pas un afficionado du genre mais je dois bien avouer que c'est là que je tente de garder un pied dans la réalité. Le silence n'est pas une chose qui me dérange mais poussé à cette extrémité, à cette indigence qui se creuse de jour en jour, je reconnais sans difficulté qu'il me pèse. Mais, là non plus, il ne se passe rien de bien intéressant. Quelques célébrités tentent régulièrement de détendre l'atmosphère par le biais de quelques posts qu'ils veulent souriants mais le ton n'y est pas réellement. En attendant, cela me fait réfléchir sur ces forces intérieures qui poussent certains à penser qu'ils doivent absolument parler au nom des autres, pour les autres, mais sans jamais prendre le temps d'écouter ce que ces "autres" auraient à dire aussi.

Je relis pour la énième fois le roman de Camus, La Peste, histoire d'éclairer mes pensées sur ce qui pourrait bien se produire dans les semaines à venir. Certes, sept ans de réflexion ont mené à un chef-d'oeuvre mais, pour autant, je ne peux pas m'interdire de penser que cela reste quand même une fiction.
Et nous ? Ne sommes-nous pas tombés dans une hallucination globalisée ? Sommes-nous véritablement au coeur d'une pandémie qui, comme une grippe espagnole, menace d'emporter la moitié de la population mondiale ? Partagé entre la rancoeur contre ces journalistes qui se promènent librement dans les rues, ou encore ces politiciens propres sur eux qui tentent de conserver le cap vers je ne sais quelle belle reprise économique, je me dis que j'irais bien faire un petit tour ailleurs. L'air est frais, presque froid, ce matin. Il arrive de l'Est, ce qui est assez inhabituel, mais ce qui explique la chute rapide de la température. Dommage, j'avais bien aimé ces premiers jours de printemps ensoleillés et attiédis. Avril est bientôt là, aussi je dois penser à ne pas me découvrir d'un fil !

Au moins, jusqu'à la reprise économique. En parlant de reprise économique, je viens de comprendre la différence qui existe entre économie et finance, tout au moins la différence que les dirigeants font de ces deux notions. Je sais : je dois être le dernier des couillons de ne pas avoir compris ça plus tôt. Peu importe, je me dis qu'il n'y a pas d'âge pour comprendre, et tout enseignement arrive à celui qui veut bien apprendre.

L'économie, c'est nous. Les bosseurs, les ouvriers, les cadres, les vendeurs, les toubibs et tous les autres. La finance, c'est la bourse et tous ces enfoirés de capitalistes qui se font du blé avec une flopée d'algorithmes qui bossent jour et nuit à la vitesse de la lumière. Et c'est la finance que les dirigeants tentent de sauver d'abord, et avec une incroyable pugnacité. La seule chose qui compterait vraiment serait donc cet univers virtuel qui pourrit la vie du monde entier ? Et si on laissait sombrer ce système merdique et porteur de guerres, le monde n'en sortirait-il pas grandi ? Bien entendu, les super prédateurs de la finance s'y opposeraient de toutes leur force, arguant que le monde reviendrait à l'âge de pierre si on y touchait. La perversité de tous ces maquereaux nous mènera au pire carnage, probablement. Pour ne pas perdre leurs fortunes, les milliardaires finiront un jour par décider de jeter les peuples les uns contre les autres. Compte tenu du fait que l'Hitoire montre qu'un conflit se montre toujours plus meurtrier que le précédent, combien faudra-t-il de massacres pour calmer les pauvres angoisses de milliardaires perdus dans des théories à l'humanisme macabre et décharné ? Tout cela pour une malheureuse grippe un peu plus corsée que les autres...

Je mourrais peut-être de cette infection venue des confins de la Chine. Le plus terrible, c'est que les maladies, les virus, les microbes et toutes les autres saloperies de cet acabit ne sont pas visibles. Comme une armée conventionnelle confrontée à une guérilla ne peut se battre avec efficacité, nous sommes tous là à nous renifler le fion sans savoir si notre voisin sera notre assassin ou non. Je me réjouis quand même, non sans sarcasmes sociaux de bas étage, que les pestes de tout genre sévissent sans tenir compte des classes. Les pandémies tuent à tour de bras, moissonnent les riches et les pauvres sans distinction, torpillent les puissants et les faibles, rongent les hommes autant que les femmes, les jeunes comme les vieux. La Nature, cette entité à laquelle on se réfère encore puisque les dieux seront éternellement absents, agit sans frémir, sans compassion. Sans méchanceté non plus. Elle agit, c'est tout.

J'ai du mal à prendre la mesure du danger. La mort, c'est toujours pour les autres, comme les lois. On nous dit pourtant qu'elle est à notre porte, et si cette dernière s'entrouvre, un simple courant d'air la portera à nos lèvres, calice fatal. Boire la mort jusqu'à la lie...Parce que je ne comprends pas vraiment que je pourrais disparaître, emporté par un truc infime, je n'ai pas peur. La peur est pourtant un moteur efficace pour manipuler les peuples. Et c'est bien ce que les maîtres du monde s'acharnent à faire, assistés par une armée de médecins férus d'humanisme à deux balles.

J'ai pas peur, mais je m'fais chier comme un rat mort. Un de ces rats morts à la Camus, justement. Alors, ce matin, quand j'ai allumé mon ordinateur, j'ai vogué sur la Toile, genre radeau de la Méduse. Et, avec un gros sourire, je suis tombé sur une caméra branchée sur la Place St-Pierre de Rome. En message, il y avait marqué que le Pape assurerait son office dominical bien calfeutré dans son église Rolls-Royce. Quelle farce ! L'énormité de l'église romaine, sa place gigantesque tragiquement vide me rappellent que les fariboles chrétiennes disparaissent au premier virus venu, prenant prétexte d'une épidémie pour se terrer et diffuser sans risque que la mort n'est rien, puisqu'un Paradis attend ses ouailles depuis toujours.
L'intelligence humaine me semble aussi chimérique que ces dieux que des milliards de gens vénèrent plus ou moins. J'ai encore zappé pour d'autres images du monde mais, à présent, la plupart des rues sont vides, désertées, seulement arpentées par des flics trop heureux de jouer aux survivants (qui se rappelle du film Le Survivant ?) et ces éternels cloportes de journalistes qui continuent de nous promettre la fin du monde.

Le Pape se terre, les flics déambulent, les journalistes chassent... Et tous racontent leurs convictions. A chacun sa messe, donc...

Allons, mes chères soeurs, mes chers frères, reprenons en choeur et chantons la messe !
Au moins, ça fera passer un peu le temps.

A suivre...

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