Jour 1/Nuit 1

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Je suis couché dans mon lit, j’entends Manon qui dort profondément dans le lit d’a côté. Pourtant, rien à faire, je suis belle et bien réveillée… Je pousse un profond soupire et m’habille rapidement : ça ne sert à rien de rester allongé là pour ne rien faire. J’ai besoin de faire un tour dans les bois, me rafraichir l’esprit, c’est presque nécessaire. Je sais qu’il est tard mais c’est une nuit de pleine lune, elle m’aidera à m’orienter et puis je connais tous les chemins par cœur à force de les avoir parcourus depuis ma tendre enfance. Je sors discrètement de la maison, veillant à ne pas réveiller quelqu’un.

Dehors, un vent frais souffle tranquillement. Je descends le long de la rue sans problème, c’est très étrange de se balader dans les rues de sa ville sans aucun bruit. Sans m’en rendre compte, je force l’allure. Je suis vite arrivé à l’orée de la forêt mais quelque chose est différent. La forêt si accueillante où j’ai passé temps de temps à observer Mathias a changé. Et ce n’est pas à cause de l’obscurité, j’ai vraiment l’impression que quelque chose a changé, mais quoi ?

Soudainement, j’entends des bruits rauques. Je me précipite dans un buisson pour me cacher. Les voix sont proche, trop proche. Il me semble les reconnaitre mais, là aussi, quelque chose est différent. Les voix que j’entends ne me semblent pas… Humaines ? Oui, c’est le mot. On dirait une bête, un animal, qui découvre l’usage de la parole humaine. Le mélange est très étrange et vraiment effrayant. Je n’ai qu’une envie : retourner dans mon lit, entendre la respiration réconfortante de ma sœur et me rendormir. Mais je ne peux pas. Je sens que ces « choses » représentent un danger. Je me force à tendre l’oreille pour comprendre ce qu’elles racontent :

« … Faut les tuer. Tous les tuer.

-On est d’accord, mais il ne faut pas qu’ils nous découvrent.

-Bien, tuons Liana alors. Elle m’a toujours agacé et puis elle parle trop, elle pourrait nous découvrir. »

Une envie de vomir me prend d’un coup et je me retiens comme je peux. Il faut que je voie qui sont ces êtres. Je lève le plus silencieusement la tête et aperçois quatre loups gigantesques aux traits humains. J’étouffe un cri silencieux. La légende était véridique, quatre de mes amis c’étaient transformés en monstres et maintenant ils allaient tuer Liana ! C’en est trop pour moi, je sens des larmes silencieuses couler le long de mes joues.

Je vois les loups partir sans bruits vers le village pour accomplir leur sombre dessein. En sortant de la forêt un loup se retourne sans le savoir vers l’endroit de ma cachète et, grâce à la lueur de la lune, je reconnais ce visage. C’est Eliott, j’en suis certaine.

Dès que je suis sûre que la voie est libre, je cours aussi vite que mes jambes tremblantes le permettent, vers ma maison. A peine rentré, je ferme la porte à clé et pars aux toilettes vomir le reste de mon repas. J’ai si mal au cœur. L’épidémie à commencer et je ne pouvais rien y faire. Je suis juste la petite fille. Assez inconsciente pour être attiré vers le lieu de rassemblement des loups. J’étouffe les longs sanglots qui me prennent. Je suis si lâche. J’avais vu quatre tueurs devant moi et je savais parfaitement ce qu’ils allaient faire, pourtant, je n’ai rien fait. Les larmes coulent à flot. Ces monstres étaient si immenses qu’aucune arme ne pourrait leur faire du mal, alors moi, je ne leur aurai certainement fait qu’une malheureuse éraflure. Cela ne me remonte pas le moral pour autant… Epuisée, je m’endors, recroquevillé dans un coin de la salle de bain.

Je me réveille doucement avec un certain mal au dos, surement dû à la position inconfortable que j’ai prise. Mon esprit est embrouillé, j’ai du mal à me souvenir pourquoi je me suis endormi ici, mon lit est bien plus confortable !

Soudain, j’entends des cris provenant de la rue. Sans réfléchir, je me précipite au dehors pour vérifier la raison de ces bruits. Je dois vraiment posséder des réflexes de survie qui frôlent le néant…

C’est à la place du village que je trouve l’origine des hurlements. Tout le village semble être réuni là. J’essaye de pousser les gens pour pouvoir m’approcher et rejoindre Manon que je vois effondré dans les bras de Tom. Que se passe-t-il ? Un sentiment d’angoisse m’oppresse. Tout me revient en mémoire : les monstres d’hier soir, leurs plans de meurtre et le visage d’Eliott défiguré par des traits d’animaux. J’étouffe un hoquet de stupeur quand je parviens enfin à fendre la foule et que je vois un corps déchiqueté par de longues griffes, beaucoup trop grande pour être originaire d’un loup normal. Tout le corps est marqué par ses traces sauf le visage. Comme si les tueurs avaient voulu qu’on reconnaisse la victime : Liana.

Je me détourne vivement et pars vomir le peu qu’il me restait dans mon estomac. C’est tellement horrible…

« Ça va ? me demande doucement mon petit frère.

- Comment ça pourrait aller ? lui répondis je »

Me rendant compte que j’avais peut-être réagi de manière un peu brutale, je lui souris doucement et l’attire vers moi pour un petit câlin fraternel. Lorsqu’on se sépare, je vois à ses yeux rouges qu’il a pleuré. Ça me ronge encore plus, je déteste le voir dans cet état.

D’un hochement de tête il répond à ma question silencieuse : « oui, il tient le coup ». Il lance un regard vers notre sœur et Tom puis souris en chuchotant :

« Au moins, ils se sont rapproché ces deux-là ! Enfin ! »

Cette remarque m’arrache un sourire. En effet, Tom tient Manon serré contre son torse tout en lui caressant le dos : il la réconforte.

Mais ce sourire ternit vite quand j’entends une voix s’élever :

« Il faut croire que le vieux du village n’était pas si fou que ça : la légende s’est vraiment réalisée. Je propose qu’on vote pour éliminer quelqu’un : un loup garou. C’est le seul moyen d’en finir n’est-ce pas ? demande Eliott, sûr de lui. »

Un éclat de fureur me prend soudainement, cette ordure pensait qu’en se faisant passer pour un honnête paysan il serait lavé de tout soupçon.

On se rapproche de la foule. Dans un langage silencieux composé uniquement de signes, que nous avions inventé mon frère et moi il y a de longues années, je fais comprendre à Thomas que c’est Eliott le tuer. Il hoche fermement la tête. Je sais qu’il me fait confiance et qu’il va tout faire pour convaincre nos amis que c’est bien Eliott qui a participé au meurtre. Il est bien plus doué pour la parole que moi, je le sais. Seul lui pourra les persuader.

« Pourquoi cette soudaine envie de meurtre Eliott ? Tu ne prends même pas en compte la possibilité que celui qui sera désigné pourrait être innocent… » commence Thomas.

Je vois aux hochements approbateurs de plusieurs personnes que Thomas a réussit à les convaincre. Je me concentre, occultant la suite du discours de mon frère, pour réussir à me souvenir de chaque geste des personnes présentes : trois d’entre eux sont encore là. Mais ils doivent être futés, toutes les personnes que je vois ont un air triste.

Je me mordille la lèvre inférieure. Ce sont tous mes amis. Je les connais depuis toujours et trois d’entre eux se sont transformés en tueurs. Je m’attarde sur le magnifique visage de Mathias. Je refuse à croire qu’il fait partie de ceux-là ! Je reconnaitrai son visage partout : qu’il fasse nuit ou transformé. Du moins, c’est ce que j’essaye de me faire croire. La vérité, je le sais, c’est que je ne suis pas certaine d’arriver à le détester. Même s’il est en réalité un monstre…

« Louna ? me demande Thomas, me sortant brutalement de mes pensées. Quel est ton vote ?

-Eliott, lui répondis-je d’une voix que je voulais assurée.

-Alors à l’unanimité, sauf un vote. Eliott, tu es condamné à mort. »

Immédiatement, il devient fou, hurle et se débat en cherchant à s’échapper.

Furieux, il se dégage de la prise des autres garçons d’un bond puissant et se dirige vers moi toutes dents sortis. Je suis pétrifié. Je ne suis pas prête à mourir maintenant : j’ai tant de choses à faire, à dire ! Trop de « je t’aime » silencieux que je ne demande maintenant plus qu’à crier.

Une flèche jaillit soudainement et touche mon agresseur en pleine tête. Il s’arrête d’un coup, reste figé un instant puis retombe lourdement en arrière. Il est mort. Son corps humain se dissipe pour révéler sa véritable identité : un grand loup noir. Nous avons réussi. Aujourd’hui, nous avons gagné une bataille : ils ne sont plus que trois. Certains laissent leur joie sortir mais, toujours choquée par la proximité de la mort, je ne peux me laisser aller à de telle effusion de bonheur. Je me retourne et aperçois Mathias, l’arc toujours en main : c’est lui qui m’a sauvé la vie.

Doucement, il range son arme et s’approche de moi avec un regard inquiet et me chuchote doucement :

« Ça te dirait un petit tour dans les bois avec moi ? »

Je hoche la tête. Depuis le temps que j’attends qu’il me propose quelque chose de pareil, je ne vais pas laisser la tristesse ou la peur m’empêcher d’accepter son offre !

Nous marchons silencieusement vers les bois, mon repère de toujours. Mais, lorsque nous passons devant le bosquet où j’étais hier soir, un violent frisson me parcoure et je sens mon estomac se retourner. Je m’arrête, revivant mes souvenirs d’hier soir. Je suis pétrifiée de terreur. Tout se brouille autour de moi, le soleil éclatant se transforme en pleine lune. Tout s’obscurcit soudainement. J’ai peur. Terriblement peur.

Tout d’un coup, je reviens au moment présent. Mathias est en face de moi, une main dans mon dos et… Ses lèvres posées sur les miennes !

Il se décale et passe une main dans ses cheveux, gêné. Il balbutie quelques mots, se justifiant :

« Je… Enfin, tu… Semblait pas-pas très bien, ta respiration était sifflante et je t’appelais mais tu... Répondais pas. On aurait dit une crise de panique. Alors je, bah… Voila. Thomas m’avait dit il y a quelques temps que le meilleur moyen d’en arrêter une était de retenir sa respiration, donc… »

Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire face à ces explications. Je lui lance un sourire éclatant et le remercie chaleureusement. J’aimerai bien l’embrasser à mon tour pour lui prouver mes sentiments… Je me rapproche de lui, me met sur la pointe des pieds et l’embrasse… Sur la joue. A la commissure des lèvres. Au dernier moment, j’ai changé de direction, trop effrayée à l’idée qu’il recule. Quelle idiote !

Je me racle la gorge et baisse rapidement la tête. S’il n’avait pas été là, je crois que je me la serai cognée contre un arbre jusqu’à sang !

« J’ai quelque chose à te dire, reprend-il en occultant notre malaise commun, à propos d’hier soir. »

Je relève la tête, plantant mes yeux dans ces abysses marrons en face de moi.

« Hier, j’ai eu… Quelque chose comme des visons. Je t’ai vu. A cet endroit même, cachée, observant les loups-garous. Un mot aussi m’est venu en tête : petite fille. Tu y comprends quelque chose ? »

Je reste interdite. Comment pouvais t il savoir ce qui c’était passé…

-Non. Une chose est sûre, ce que tu as vu, c’était la vérité. Je pense qu’il faudrait aller voir Thomas, il connaissait l’existence de cette légende, peut-être qu’il en sait plus sur ce qui t’arrives ? »

Il approuve et nous retournons au village qui est redevenu calme. Trop calme à mon goût… J’entraine Mathias vers chez moi et lui ouvre la porte. A peine rentré, Manon me saute dans les bras et me serre très fort. Elle me cris pas mal de chose : à quel point j’étais inconsciente de sortir seule alors que des loups garous sont dans la nature, qu’elle m’aimait énormément et que si j’osai mourir elle m’en mettrait une !

Je me détache gentiment de son étreinte, laissant ainsi entrer Mathias qui était resté sur le bas de la porte. Elle me lance un sourire complice et l’invite à entrer. Nous rejoignons Tom et Thomas qui sont dans la chambre de ce dernier, entouré par des dizaines de livres. En nous entendons rentrer, ils lèvent les yeux de leur travail. En apercevant Mathias, Thomas fronce les sourcils et se lève : lui bloquant ainsi l’entrée à sa chambre. Il croise les bras et, d’un ton déterminé lui dit :

« Excuse-moi Mathias mais tu comprends que l’on ne peut pas faire confiance à tout le monde ! Je te prierai donc de rentrer chez toi, je ne crois qu’en ma famille ! »

Je vois à l’air triste et résigné de Mathias que Thomas l’a blessé. Je m’interpose entre eux deux et dit :

« Il est avec nous Thomas. Fais-moi confiance frangin. »

Il fronce encore plus les sourcils et me défit du regard, m’enjoignant à revenir sur ma décision. Mais non, je ne cède pas. Voyant ma détermination, il se pousse et se laisse tomber dans son lit.

« Thomas. Dis-moi, est ce que dans tous ces livres, il y en aurait un qui parle de… Visions ? lui demandais-je. »

Il relève les yeux, soudain très intéressé.

« Pourquoi me demandes-tu ça ? rétorque t’il. »

Après un regard lancé à Mathias, lui demandant son accord, je lui raconte tout. Il ne m’interrompt pas une seule fois. Quand j’ai fini il prend enfin la parole :

« Je n’ai pas tout raconté hier soir. Il n’y a pas que des villageois et des loups garous. Il y a aussi des personnes dotées de pouvoirs particuliers. Comme toi Mathias. Selon ce livre, tu es devenu la voyante. Chaque nuit, si tu te concentres sur une personne, tu découvriras sa véritable identité. C’est un pouvoir très important. Si nous l’utilisons bien, nous découvrirons ainsi les personnes en qui nous pouvons avoir confiance. Toi, Louna, tu es l’insomniaque. Aussi appelée petite fille. Tu es la seule qui puisse observer les loups pendant qu’ils commettent leurs méfaits. Mais il ne faut pas qu’ils te surprennent. Vraiment pas… »

Un silence pesant emplit la pièce, je prends conscience à quel point mon rôle est cruciale, mais aussi dangereux… Puis Thomas reprend la parole :

« Moi, je suis ce qu’appelle le livre, Cupidon. Hier j’ai fait un rêve très étrange où je devais lier deux êtres pour toujours. C’est le seul pouvoir que je possède… »

Il se tourne alors vers Manon et Tom qui sont tous les deux dans les bras l’un de l’autre. Je souris grandement, il avait bien fait : un peu de bonheur dans tout ce massacre, ça ne peut faire que du bien ! Nos deux tourtereaux se retournent, se sentant observés. Ils rougissent ensemble, me donnant une furieuse envie d’illustrer ce moment pour toujours !

« Euh… Moi, si j’ai bien compris je ne possède rien de particulier, dit Manon en essayant de faire abstraction de tous les regards braqués sur elle. Je me suis juste réveillé pour voir Tom cette nuit…

-Mais tu dis n’importe quoi ! Tu es unique Manon, répond Tom en la regardant droit dans les yeux. »

S’ensuit alors un long baiser amoureux. C’est légèrement gêné que Thomas reprend la parole :

« Tom est aussi un salvateur. Il peut protéger quelqu’un chaque nuit de l’attaque. Si on alie vos pouvoirs à tous les trois, continu t’il en nous regardant : Mathias Tom et moi, on devrait réussir à éliminer les monstres. On était en train de faire des recherches sur les autres personnes spéciales qui existait. Mais souvenez-vous, il ne faut faire confiance à personne d’autre ! »

Nous passons alors le reste de l’après-midi tous ensemble dans la chambre de mon petit frère : Manon et Tom collés l’un contre l’autre sur le lit, Thomas dans un fauteuil et Mathias et moi assis au pied du lit, par terre. Nous sommes entourés de piles de livres pour découvrir des indices indispensables pour la suite mais nous n’avançons pas vraiment. Une triste remarque me saute aux yeux. Nous sommes cinq. Cinq personnes en qui je peux avoir confiance aveuglément. Mais un tel groupe fait peur. Très peur même. Nous n’arriverons jamais à tous survivre à ces attaques à répétitions… Je n’arrive pas à imaginer ma vie sans aucune des personnes qui se trouvent ici. Un étau me serre le cœur, je suis effrayée des pertes que je vais subir. Encore plus peur que de mourir moi-même.

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