Chapitre 11

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11

Vendredi 20 décembre 2019, 10h42

   Eden ne put reprendre son souffle, que lorsque la portière de leur minibus fut claquée derrière son passage. Le souffle court, les épaules secouées par le stress et l'adrénaline, il avait foncé tête baissée comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Lui qui avait l'habitude de réfléchir un minimum avant d'agir, il avait finalement agi par instinct de survie, par pure pulsion, et s'en réjouissait. Parfois, ne pas perdre de temps à trop réfléchir peut être la solution.

Nathan à l'avant, se retourna pour prendre connaissance de son état mais surtout, de celui de Jon.

Jason l'avait presque jeté à l'intérieur du véhicule avant de rejoindre son volant et de démarrer, mais l'état de l'adolescent restait préoccupant. Ailleurs, le souffle haché et les yeux dans le vague, il paraissait extérieur à la réalité, comme endormi, avec les yeux ouverts.

— Jon, lança Eden en se tournant vers lui.

Craintif, il effleura l'épaule de l'autre jeune du bout des doigts, avant de se rétracter à la vue des traits contractés de son voisin de chambrée.

Nathan échangea un regard avec lui, avant de retourner à la contemplation du plus jeune, roulé en boule sur son siège, les mains crispés sur son visage.

— Il s'est passé quoi dans la salle d'art plastique... ?

La question de Jason tétanisa les deux jeunes, qui se remémorèrent avec violence les quelques minutes de latence qui avaient séparées leur entrée dans la salle, jusqu'à l'arrivée de leur éducateur.

Et, si Nathan restait les sourcils froncés à réfléchir, Eden lui avait déjà mis le doigt sur le problème.

Le sang.

Une sensation de froid atroce le parcourut de part en part tandis qu'il réalisait au ralenti que Jon, son ami depuis des années, s'était reçu du sang sur le nez, et qu'avec le temps de réalisation, il avait eut le temps de couler jusqu'à ses lèvres.

— Jon ? répéta t-il en se tournant vers son ami.

— Eden, c'est quoi le souci ? s'enquit Jason, le regard grave à travers le rétroviseur.

— Jon, il a...

— Merde, siffla Nathan.

Lui aussi, venait de comprendre.

Les doigts de Jon se crispèrent un peu plus, s'enfoncèrent dans la peau de son visage, comme s'il souhaitait l'arracher, s'en débarrasser. Ses muscles étaient tous tendus, son souffle haché, il tremblait.

Nathan tendit une main pour tenter de toucher le jeune homme et ainsi capter son regard, mais Jon restait comme intouchable, dans sa bulle, replié dans son mal-être et son état de plus en plus préoccupant. Son front luisait d'une sueur qui partait de la racine de ses cheveux jusqu'à ses pommettes.

Eden se retint de glapir lorsque son ami poussa un râle douloureux, les yeux désormais clos, les ongles enfoncés dans la peau tendre de ses joues.

— Je dois m'arrêter ?

— J'en sais rien, murmura Eden, le souffle court. Il est en train de... ?

Jon se tordit à nouveau, courbant sa colonne vertébrale d'une façon qui n'avait presque plus rien d'humain. Nathan frissonna, en entendant les os craquer, les nerfs claquer. Sa respiration sifflante lui renvoyait avec force l'état abominable dans lequel se trouvait Jon, les dents serrées, le visage contracté par la douleur.

Jason balaya le plus jeune de son trio d'adolescents avant de donner un coup de volant pour se garer sur la bande d'arrêt d'urgence.

En quelques secondes, le contact était coupé, et il se trouvait sur la route, pour finalement ouvrir la porte coulissante du côté de Jon.

Aussitôt, l'adolescent le vrilla d'un regard acéré, les pupilles largement dilatées, les sourcils froncés.

— M'approche pas, siffla t-il en montrant les dents.

— Jon, qu'est-ce qui t'arrive, dis-nous.

Et alors qu'il approchait une main pour toucher la joue du jeune homme, ce dernier es mit à tirer sur sa ceinture, encore et encore, comme pour l'arracher, la faire sortir de son emplacement initial.

— Jon arrête, s'affola Nathan en quittant le véhicule à son tour.

Eden pour sa part, restait stoïque, les yeux braqués sur son ami, en train de se débattre sous la poigne de leur éducateur. Il s'arquait en tous sens, se débattait, grondait comme un animal, et ce comportement avait le don de tétaniser son voisin.

Il avait l'habitude d'un Jon souriant, amical, toujours joyeux et à prendre la vie du bon côté, sans violence, sans colère. Et pourtant, Dieu seul savait qu'il aurait pu être en colère, furieux même. Sauf qu'il avait décidé de ne pas se laisser submerger par ce sentiment terrible qu'était celui de vengeance, de revanche. Lorsque Eden lui demandait pourquoi il laissait toujours tout couler, pourquoi est-ce qu'il ne se rebellait jamais, Jon lui répondait qu'il avait assez perdu de temps dans sa courte vie à en vouloir à la Terre entière pour sa situation, et qu'il avait décidé de composer avec.

— Jon, souffla t-il en se décrochant à son tour.

Mais, au lieu de sortir du minibus comme Nathan venait de le faire, il se rapprocha de son ami, et posa une main sur son cou brûlant. Le rythme cardiaque du jeune homme était bien trop élevé, Eden pouvait le certifier à la simple pulsation du sang sous ses doigts.

— Me touche pas !

Jason lui coula un regard, l'incita à se reculer, à s'éloigner de Jon qui à nouveau, venait de se tordre dans une position étrange, à mi-chemin entre le contorsionniste et le monstre de film d'horreur.

— Eden, rajouta Nathan en l'attrapant par la capuche de son sweat.

— Lâche-moi. Vous voyez pas qu'il a juste mal... ?

D'une drôle de façon, les regards de Nathan et Jason convergèrent sur le jeune homme toujours en proie aux grognements et aux torsions sur son siège, avant d'interroger Eden d'une œillade surprise.

— Jon, répéta Eden en lui attrapant le poignet. Tu as mal quelque part ?

L'autre jeune patinait dans le vide, les pieds tordus dans une position défensive, les mains crispées sur le tissu de son jean. Dans un geste un peu plus brutal que les autres, sa main libre alla heurter Jason au visage, avec une puissance qui étonna l'éducateur. Penaud, il recula d'un pas, toucha sa joue, à l'endroit où Jon venait de le frapper, et haussa les sourcils. Une chance qu'il avait un minimum vu venir l'impact car, la force qui portait le coup aurait pu lui casser le nez s'il n'avait pas dévié de sa trajectoire.

— Jon ! Calme-toi ! Eden recule !

— Non. Moi je sais éviter les coups, par rapport à d'autres.

Jason siffla entre ses dents, mais n'insista pas : si il devait élire le jeune le plus têtu du groupe des grands, Eden serait le grand vainqueur alors, autant ne pas perdre son temps en discussion inutiles avec lui.

Les doigts enroulés autour du poignet de Jon se resserrèrent légèrement, tandis que Eden se rapprochait encore un peu plus.

— Jon. Tu dois m'écouter.

Quelques instants, il sembla à Eden que son ami n'avait pas entendu ses mots, mais lorsque les yeux de Jon se rouvrirent péniblement, il put enfin capter son regard, s'y accrocher.

La main qu'il avait posée sur son cou raffermit sa prise, tenta de l'apaiser. Et pourtant, il détestait avoir à toucher les autres, le peau à peau le répugnait au plus haut point.

Les dents de Jon grincèrent, il se débattit encore un peu, avant de retomber contre le dossier de son siège, à bout de souffle. Son torse se soulevait rapidement, et malgré ses vêtements, Nathan, Jason et Eden pouvaient clairement discerner la sueur qui lui coulait du cou jusqu'aux pectoraux.

— Dis-moi où tu as mal, reprit Eden, la voix ferme.

— … partout.

Jason battit des cils, halluciné : Eden avait vu juste.

Le plus jeune continuait de s'agiter, comme s'il cherchait une position plus agréable à supporter, comme si la douleur pouvait s'atténuer en bougeant.

— On est là, tout va bien, souffla Jason en passant une main dans les mèches trempées du jeune homme. Regarde, Eden prend soin de toi, c'est pas un luxe ça ?

Le concerné lui retourna un regard blasé, avant de retourner à sa première préoccupation.

— Ça brûle...

— Qu'est-ce qui brûle ?

— Tout, souffla Jon en se tendant une nouvelle fois.

Eden se recula, attrapa une bouteille d'eau dans la portière, et commença à en vider une partie dans le cou de son ami : rien à faire qu'il soit trempé, le plus important était de faire baisser la fièvre qui semblait le terrasser. Aussitôt, un frisson parcourut le corps brûlant de Jon qui, de surprise, glapit et fit tomber la bouteille par terre. Peu déstabilisé par ce sursaut, Eden appliqua sa main gauche sur le front de son ami, et concerta sa propre température avec sa main droite.

Il était brûlant, c'était une évidence.

— On doit rentrer au foyer, lança Nathan. Il faut lui donner quelque chose.

— Les enfants il...

Jason voulait poursuivre sa phrase, vraiment, mais comment pouvait-il balancer à la figure des deux jeunes que leur ami était en train de muter en ces monstres qu'ils avaient croisé au collège, une vingtaine de minutes auparavant ? Il ne le pouvait pas, non.

— Je t'interdis de terminer ta phrase siffla Eden en indiquant à son ami de rester tranquille.

— Eden tu...

— Tais-toi. On y va.

Jason ouvrit la bouche pour contrer, rappeler à l'adolescent qu'il n'avaient pas à lui parler de la sorte, mais se ravisa. Pour le moment, Nathan et lui avaient raison : l'important était de ramener Jon au Phoenix, puis d'aviser.

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