Chapitre 8

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8

Vendredi 20 décembre 2019, 09h52

   Mehdi ravala sa salive, et termina de gravir les marches en lino jaune qui menaient au second étage de l'hôpital, du côté des soins pédiatriques. Les semelles de ses baskets usées grinçait sur le sol et semblaient énerver Vasco qui quelques mètres devant lui, n'avait de cesse de soupirer.

— Tu fais un de ces boucans, grogna t-il en le dévisageant.

— Tu crois que je le fais exprès ?

L'autre adolescent haussa les épaules, et rejoignit Amali en trottinant.

Comparé aux rues désertes et plutôt flippantes, l'hôpital était loin d'être désert. Le personnel médical s'agitait en tous sens, assisté des forces de l'ordre pour agir sur deux fronts : tenter de soigner les victimes de la violence extérieure d'une part mais surtout, empêcher les patients d'ores et déjà contaminés de franchir les portes de l'hôpital. Ils ne pouvaient rien pour eux, et le but n'était pas que la majorité de patients se retrouve contaminée à son tour.

Amali avait échangé quelques mots avec la standardiste à l'accueil de l'aile réservée aux soins pédiatriques, et avait appris que bien qu'il n'existait pas de test pour déceler une éventuelle contamination, elle pouvait tout de même se trahir par plusieurs singularités physiques : les pupilles dilatées, la chair de poule, une sudation importante, voir des visages aux traits déformés.

Ça ne restait que les premiers constats, les premières observations mais qui permettaient tout de même de faire un premier ''tri'', une première barrière de protection entre la vie et cette chose qui dévorait les hommes de l'intérieur.

Comme un automatisme, l'éducatrice et les deux enfants gagnèrent la chambre deux-cent-treize, où Elies les attendait, le regard vitreux, la peau terne. Le petit garçon, drapé dans un plaid douillet aux couleurs chaudes patientait sur son lit, les jambes en tailleur, les mains à plat sur les cuisses.

La télévision au mur était éteinte, et les volets roulant à peine ouverts.

— Je voulais pas voir ce qui se passe dehors, murmura t-il en tournant la tête vers eux.

Amali hocha doucement la tête, et vint le rejoindre d'un bon pas, avant de s'asseoir sur le rebord du lit bien trop blanc. De ses doigts, elle repoussa une mèche de cheveux qui retombait devant les yeux de l'enfant, et réhaussa ses lunettes avec un sourire.

— Comment ça va mon petit chat ?

— Je sais pas trop. Mieux maintenant que vous êtes là ? Ils ont pas arrêté de crier dehors, j'ai pas réussi à dormir.

Vasco se crispa, avant de rejoindre le lit à son tour. De sa main, il étreignit l'épaule du petit garçon, avant de lui glisser que leur venue était un peu un don d'une divinité quelconque. Malgré son ton humoristique, sa remarque ne fit pas rire Elies, qui se replia sur lui-même, le nez retroussé.

Vasco ne s'en formalisa pas : le petit assis là dans le lit, n'avait que huit ans après tout. Il avait le droit de ne pas avoir envie de parler.

Mehdi hésitait à rentrer, les pieds comme vissés au sol en lino. Il détestait les hôpitaux, et ne comprenait toujours pas pourquoi Elies y passait autant de temps. Pour lui, tout était trop blanc, trop propre, trop clean pour être réel. Et ce qui n'était pas réel, c'était effrayant.

Ses doigts couraient sur le rebord de la porte, tandis qu'il observait Amali rassembler les affaires de Elies avec peu d'entrain.

— On rentre au Phoenix ?

— Oui, répondit simplement Vasco. Ça te fait plaisir ?

Elies hocha la tête, ramena vers lui une peluche à l'effigie de la célèbre souris de Walt Disney, avant de darder ses profonds yeux noirs sur son éducatrice. Vasco songea que le petit faisait souvent ça, fixer les gens, analyser leurs faits et gestes, pour ensuite s'en désintéresser. Comme s'il menait une étude minutieuse dont il se lassait au bout de quelques secondes déjà trop longues.

En cinq minutes, le sac fut fait, jeté sur l'épaule de Amali, et Elies habillé. Agenouillé devant lui, Vasco s'affairait à lacer ses chaussures, avant de se redresser pour l'aider à nouer son écharpe autour de son cou, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit dans un battement rapide. Dans l'encadrement de celle-ci, une jeune infirmière se tenait droite comme un i, les yeux écarquillés et le souffle court.

— Marie ? s'étonna Elies en avisant la jeune femme d'un air étonné.

Alerte, l'infirmière pénétra à l'intérieur de la pièce et attrapa le poignet de Amali. Son air n'était pas de ceux que l'éducatrice avait pu constater la veille, avec Théo lorsqu'ils avaient quitté le centre-ville. Ici, ce n'était pas le folie qui animait les traits de l'infirmière Marie, mais plutôt une peur grandissante de seconde en seconde. Ses traits étaient tirés, ses yeux rougis par les larmes qu'elle contenait visiblement avec acharnement depuis le début de la catastrophe.

— Ils sont en bas, souffla t-elle simplement, de façon à ce que seule Amali puisse l'entendre.

Effarée, Amali recula d'un pas, se défit de sa prise, et balaya les garçons d'un regard estomaqué.

Ils étaient en bas ? Mais qui exactement ? Les contaminés ? La police déployée en effectif massif sur le terrain depuis la veille ? Qui ?

Elle connaissait déjà la réponse, mais ne pouvait se résoudre à se dire qu'ils ne pourraient quitter l'hôpital sans avoir à se frotter aux créatures qui rôdaient là dehors.

Vasco s'était redressé, les sourcils arqués.

— Quoi ?

— Rien, claqua Amali en foudroyant l'infirmière du regard. Tout va bien.

S'ils apprenaient que ces choses avaient investis le rez-de-chaussé, aucun des trois jeunes ne pourraient se résoudre à quitter la pièce. Elle connaissait la peur, et savait ce qu'elle pouvait engendrer, encore plus chez des enfants de leur âge.

C'est pourquoi elle contourna l'infirmière, attrapa la main de Elies et l'aida à se relever, avant de lui indiquer de grimper sur son dos.

— Il doit exister une autre sortie, lança t-elle à l'infirmière par-dessus son épaule.

— Les escaliers de secours, mais il faut repasser par le hall des ascenseurs, et je ne suis pas certaine qu'il ne soit pas déjà investi par ces...

— On va passer par là alors. Guidez-nous.

La jeune femme battit des cils, mais hocha vivement la tête.

Amali connaissait cette jeune infirmière de vue : elle faisait partie de celles qui s'occupaient de Elies au quotidien. De ce fait, elle se doutait du lien privilégié que les deux entretenaient, et de la volonté dé qu'aurait Marie a faire sortir le petit garçon de l'hôpital sans égratignures. Si ce n'était pas le cas, elle ne serait jamais venu les trouver pour les prévenir.

Dans le couloir, les gens ne semblaient pas encore au courant de la portée des événements qui se jouaient pourtant sous leurs pieds. Les bras de Elies resserrés autour de son cou, la main de Mehdi au creux e la sienne et Vasco courageusement posté à ses côtés, Amali déboucha dans le long couloir du service pédiatrique avec un drôle de sentiment au creux du ventre.

La veille, elle avait réchappé de peu à la panique générale du centre-ville, à la véritable bataille qui s'y était jouée. Il fallait que ce soit à nouveau le cas, qu'ils arrivent à regagner le minibus sans encombres.

Marie marchait devant, saluait ses collègues et les visiteurs de sourires qui se voulaient rassurants, mais qui transpiraient une fausseté et une angoisse déconcertante. Comme si sous son masque était transparent, comme si chacun pouvait lire en elle la finalité de la situation.

— Amali... ?

— Oui Mehdi, qu'est-ce qu'il y a ?

— J'ai envie de faire pipi.

La jeune femme lui coula un regard halluciné, mais ne releva pas. Ce n'était pas le moment et, de plus, elle savait que son envie pressante ne relevait que d'une chose : la peur. Il était tout simplement effrayé par la situation, par son air qu'elle devinait crispé, par les pas saccadés de l'infirmière Marie, débarquée sans prévenir dans leur chambre quelques minutes plus tôt.

Les doubles-portes du service pédiatrique se dressaient devant eux lorsqu'un cri retentit, encore assez loin pour que sa portée ne soit qu'un souffle, un lointain écho. Mais un écho plutôt clair, plutôt alarmant et surtout, révélateur de l'envers du décors, en bas des marches.

Le pas de l'infirmière Maris s'accéléra, tandis que Amali pressait également le sien. Le temps, le temps, toujours le temps, compté et décisif.

Mehdi avait du mal à suivre la cadence, et les doigts de Elies s'étaient resserrés autour des épaules de l'éducatrice.

Les doubles-potes s'ouvrirent, dévoilant un hall des ascenseurs déserts mais ampli par les cris désespérés du personnel et des visiteurs, juste en bas.

— J'ai vraiment envie de faire pipi, se plaignit Mehdi en secouant le bras de Amali.

— Et moi j'ai envie de boire, ajouta Elies.

Son cœur battait trop fort, faisait rugir le sang à ses oreilles. Les enfants se protégeaient comme ils le pouvaient, reléguaient le vrai problème au second plan afin de minimiser son ampleur.

En quelques secondes, ils traversèrent le hall et un instant, le regard de Amali croisa celui d'un homme, visiblement bloqué derrière les portes qui menaient aux escaliers qu'ils avaient empruntés quelques minutes plus tôt. Elle devinait ses mains s'acharner sur la poignée, son sentiment de trahison de constater la fermeture aux étages supérieurs.

— C'est vous qui avez fermé ?

— Mon métier est de protéger les enfants de cet étage, répondit simplement Marie en leur désignant une porte. Continuez tout droit, l'issue de secours sera sur votre gauche, je vais aller m'occuper des autres enfants et de leur famille.

— Ouvrez-nous !

Le hurlement de l'homme tétanisa Amali, quelques brèves secondes, mais très vite son instinct de survie reprit le dessus.

Sortir les enfants, absolument.

D'un hochement de tête, elle remercia Marie avant de partir à petite foulée dans le couloir décisif, celui qui les mèneraient à la liberté. Derrière eux, des coups commençaient à tonner contre les portes closes. Elles ne tarderaient pas à céder.

— Amali...

Le souffle court, elle laissa son regard couvrir Mehdi découvrit au ralenti la tâche humide qui ne cessait de s'agrandir entre ses jambes. Tout en continuant de trottiner, elle l'attira contre elle, déposa un baiser contre sa tempe et lui caressa la joue.

La porte d'accès aux escaliers de secours était en vue.

Un nouveau cri s'éleva derrière eux, et une seule réalisation s'imposa à elle : ils avaient atteins l'étage pédiatrique.

Un mètre, et enfin sa main libre se referma sur la poignée qu'elle abaissa d'un coup sec.

L'air glacé de l'extérieur lui balaya le visage, l'aveugla même un instant. Puis, ce fut la réalisation : la parking, ce fichu parking, était bondé, impraticable. Partout se pressaient des hommes, des femmes et des enfants dont elle doutait de l'état. Au milieu du chaos, leur minibus était là, fier et droit entre toutes ces voitures qui se rentraient dedans sans pitié.

Vasco inspira par le nez, tandis que la porte se refermait derrière eux. Elle venait de les enfermer à l'extérieur, avec aucune autre solution que de traverser cette marée humaine jusqu'au minibus.

— Qu'est-ce qu'on fait... ? s'enquit Vasco en passant une main dans se cheveux.

Amali ne répondit pas, plissa les yeux en observant le parking en bas des marches en métal.

Elle ne savait pas quoi faire. Seule, elle aurait peut-être eu une chance d'atteindre le minibus et de s'enfuir, mais avec Elies sur le dos, et Mehdi totalement apeuré à ses côtés, ça lui semblait tout simplement inconcevable de ne serait-ce que tenter la traversée.

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