17. L'affreux messager du temple

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 Le souvenir lointain d'un groupe uni lui apparut devant la longue allée simple qui menait au Temple des Mères. Ossements corrompus par une perfide trahison, il chassa se désagréable souvenir. Le groupe avait parcouru la côte pendant la journée, et tout comme à l'époque il y était parvenu sous un soleil déclinant. Trop tard pour se faire annoncer, les membres décidèrent d'installer le bivouac près des hautes herbes qui bordaient l'entrée du domaine. Le Temple des Mères tenait plus lieu de monastère que de temple. Les pèlerins venaient se faire dire la bonne aventure par les filles de la prêtresse mère contre quelques piécettes. L'histoire voulait que la prophétesse ait hérité son don d'Inera, déesse des oracles. Depuis lors, celui-ci se transmettait de mère en fille, même si avec le temps certaines femmes ayant le don de clairvoyance avec plus ou moins de talent avaient rejoint le sanctuaire... Arsen s'installa comme à son habitude en dehors du campement. L'expédition avait gagné en symbiose, et toutes les conversations étaient tournées vers la journée du lendemain et son lot de divinations. Chaque chevalier était un futur noble qui espérait l'expansion de ses terres ou un mariage profitable… Pour sa part, le jeune traître se rappelait que trop bien les paroles de la prophétesse. Il était entré dans la loge et s'était assis face à elle. La vieille femme avait pris ses mains dans les siennes et après une série de moues et de grimaces lui avait déclaré qu'elle n'avait rien vu si ce n'était une pièce trop sombre pour en tirer une conclusion, et un désespoir qui en découlait… A présent, il ne savait que trop bien ce que cela avait signifié... Se rappelant sa sinistre cellule.

Il s'était tenu loin des conversations pendant la journée, mais malgré sa morosité il profita du fait que Gregorias rejoigne sa tente pour s'immiscer auprès d'Oliver et du reste de l'équipe. Les regards se tournèrent vers lui.

« Hé bien, vous avez fait forte impression à Bangkhut ! Lui lança Ruben.

Il n'eut pour réponse qu'un grognement indistinct. Ce fut Oliver qui reprit.

– Quand nous l'avons rencontré, sieur Arsen nous a confié avoir une femme dans chaque port !

– Si vous avez des histoires graveleuses, faites-en profiter l'assemblée, sieur obscène !

Dill pouffa devant cette tirade de Jehain, intérieurement le barde bouillait.

[ Calme-toi... nous devons gagner leur confiance… ]

– Il n'y a pas de mérite ! Les filles d'auberge ont la réputation d'être "des marie-couche-toi-là " !

C'en fut trop ! En un bond, Arsen enjamba le feu et agrippa le jeune Solis par le col. Rapide comme l'éclair, Alderic dégaina suivi de près par Jehain. Le barde se retrouva avec deux lames sous la gorge. Nullement intimidé, il continua.

– Attention Solis ! C'est cette femme qui m'a permis d'endurer ma vie et je ne permettrais à personne de l'insulter. S'il le faut, je te briserai la nuque avant de mourir… Il y eut un effroyable silence, chacun retenant sa respiration.

– Solis, présente tes excuses à sieur Arsen.

– Mais Al !

– Pas de mais ! Et ne me fais pas répéter...

– Excusez-moi sieur Arsen d'avoir porté un jugement sans connaître cette dame…

Il relâcha son étreinte, et les deux épées furent rengainées.

– Arsen, n'oubliez pas que vous êtes seulement toléré parmi nous...

– Je ne le sais que trop bien, sieur de Sigismond... »

Sans rien ajouter, il fit demi-tour sous le regard stupéfait de l'assemblée et s'éloigna. Revenu près de son feu, il s'accroupit, saisit une branche pour tisonner les braises mourantes puis s'allongea pour s'enfermer dans un mutisme, ruminant sa colère. Peu à peu, le calme se fit remplacer par les bruissements de la faune et de la flore. Chacun alla se coucher au fur et à mesure de la lune croissante.

Alors que l'astre nocturne se trouvait haut dans le ciel étoilé, une indéfinissable mais désagréable sensation tira le traître de son sommeil. Il entrouvrit un oeil, scrutant les ténèbres. Le veilleur de garde se tenait dos à lui, les épaules voûtées, se relevant et s'affaissant d'un rythme lent et régulier, signe distinctif d'une personne dormant. À l'arrière du campement, les stridulations des sauterelles s'étaient tues. À la faveur de la nuit, Jehain se déplaçait furtivement jusqu'à arriver derrière la tente de Solis... Pourquoi le guerrier épiait-il le jeune homme ? Au loin, il put distinguer l'homme porter sa main à son entre-jambe… Voilà ce qu'il en était. Dans les camps de mercenaires lors de guerre, il était coutumier qu'un jeune garçon, bien souvent un orphelin, serve de "pot de chambre" rémunéré pour les tâches ingrates mais aussi parfois pour assouvir les besoins des hommes contre leur gré… Jehain y devait peut-être ses penchants malsains… Maintenant, qui était le sieur obscène des deux ? Il ravisa son jugement, après tout cela ne le concernait pas, et son indéfinissable sentiment n'était pas dû au guerrier. Il continua son observation, mais rien d'autre ne lui indiquait d'où venait son malaise. Il se leva discrètement, faisant bien attention de ne pas se faire remarquer par l'homme de main et quitta le groupe.

Il marcha vers la mer. Masquées par le temple, trois petites masures jouxtaient celui-ci. Il continua, se détournant des habitations. Son malaise augmentait au fur et à mesure de son avancement. Plus loin se devinait une falaise avec un village de pêcheur en contre bas. Un breuil éparse s'étendait au-dessus face à la mer, réponse à son angoisse naissante… Arsen se dirigea vers ces arbres avec inquiétude. À peine arrivé, il remarqua l'immonde créature suspendue à la branche basse d'un pin. Un flagelleur mental ! Répugnante bête chaotique, ressemblant à une grosse chauve-souris avec un cerveau disproportionné que l'on pouvait deviner aux méandres laissés sous la peau de sa calotte crânienne. Ces bêtes avaient été l'un des meilleurs outils de ses tortionnaires, capables de s'insinuer dans son esprit affaibli, lui causant des supplices tels que des piques insidieuses perçant son crâne et faisant flancher sa volonté. Avant même que le monstre ne délivre son message, il se prosterna, soumis.

« N'est-ce pas mon cher Arsen ?

La voix d'Azqueghak résonna dans son esprit par l'intermédiaire de l'immonde bête.

– Maître... Son ton servile dégoulinant de tous ses pores.

– Comment avance ta mission ?

– Malgré votre intervention à Guersac, ils ne me font toujours pas confiance...

– Imbécile ! Une foudroyante douleur vrilla son cerveau, le faisant se tenir la tête à deux mains. Tu crois que les occasions ainsi se créent facilement ? Tu crois que je te t'ai sorti de ton cloaque puant pour que tu te promènes ? Chaque phrase était ponctuée d'une douleur insoutenable, le barde se roulait au sol, geignant et pleurant. Maintenant, je vais devoir demander une faveur à Arlenoth, et tu apprendras que j'ai horreur d'être redevable, surtout pour toi ! Les pupilles orangées du flagelleur roulèrent dans leurs orbites et une dernière vrille lancinante enserra son esprit, plus puissante que les précédentes. Arsen hurla de douleur, un filet de sang coulant de son nez, puis il s'écroula haletant.

– Bon, je ne n'ai pas le choix... Je te créerai une nouvelle occasion dans les jours à venir. Après tout, entre amis on s'entraide n'est-ce pas ? Je suis convaincue que cette fois-ci sera la bonne, reprit-il de sa voix mielleuse. Et n'oublie pas, il me faut ces pierres ! »

Le jeune homme acquiesça fébrilement, et la bête chaotique prit son envol, portée par ses ailes membraneuses.

Il resta un long moment inerte, tentant de recouvrer l'usage de ses membres puis avec difficulté il se mit à quatre pattes avant de réussir à tenir debout, l'équilibre vacillant à la manière d'un homme ivre… Difficilement, il fit demi-tour, s'arrêtant pour s'assurer que personne ne se tapissait quelque part dans les fourrés mais aussi pour reprendre des forces. Avant de rentrer dans le campement, il essuya le sang qui s'était répandu sur sa bouche. Puis, il se coucha, aspirant à s'endormir au plus vite afin de rejeter cette douleur résiduelle qui subsistait dans son crâne…

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