9. En chemin pour Gran Real

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 La nuit avait été difficile... Ils avaient aidé les habitants à enterrer les corps des défunts et entassé les cadavres des bêtes chaotiques à l'écart de Guersac. Les rescapés s'étaient empressés d'y mettre le feu, afin d'éviter toute propagation de maladie et de conjurer le mauvais oeil... Sieur Alderic et Oliver semblaient épuisés, ils avaient subi de lourdes pertes, grâce à eux, beaucoup avaient survécu. Après le tumulte, les chevaliers restants laissèrent les survivants avec leurs peines. Le paladin avait annoncé leur départ pour le début de matinée, ne leur laissant que très peu de temps de sommeil. Arsen se retournait sur sa couche. Les horreurs de la nuit s'ajoutaient à celles vécues jadis. Contre toute attente, Alderic et les siens avaient remporté la bataille. Cinq hommes plus une poignée de villageois l'avaient remporté sur plus de vingt bêtes chaotiques armées jusqu'aux crocs. Sa réflexion l'avait menée à la conclusion que cette attaque avait été une ouverture offerte par ses maîtres pour rejoindre le groupe des chevaliers d'Azur. Tout comme Dill l'avait fait dans les marais, ils avaient créé une dette de sang envers les deux compagnons... Mais pour cela, fallait-il encore les convaincre de lui laisser le temps de les rembourser de cette obligation... Au petit matin, il empaqueta ses emplettes faites la veille et prit un petit déjeuner dans la cuisine de l'auberge. Le tenancier y avait les yeux cernés, la nuit avait été encore plus courte pour lui, et sans serveuse il se trouvait avec une surcharge de travail. Puis, à leurs tours, les deux chevaliers d'Azur descendirent, Arsen déposa deux assiettes de ragoût et s'assit à leur table.

« Je n'ai pas réussi à dormir... Je vous présente encore mes condoléances pour vos chevaliers.

– C'est triste pour la noblesse qui perd trois de leurs enfants. Et il est de mon devoir de l'annoncer à leurs familles, mais avant cela j'ai une mission plus urgente à Gran Real...

– À ce propos... Je souhaiterais vous accompagner.

– Si vous le souhaitez, il est vrai que les routes jusqu'à la capitale peuvent être dangereuses...

– Je me suis mal exprimé sieur Alderic. Cette nuit vous et sieur Oliver m'avez sauvé la vie. J'ai une dette envers vous et je dois m'en acquitter...

– C'est la responsabilité des chevaliers d'Azur que d'aider le peuple ! Il est gracieux de votre part de vouloir jouer les gentilshommes, mais je pense que vous seriez plus un poids pour nous... Les paroles semblaient dures, mais cela n'était que le constat des faits...

– Je comprends, néanmoins laissez-moi vous convaincre pendant le voyage… »

La discussion se finit là, il laissa les deux compères se rassasier. Arsen sortit à l'extérieur et se dirigea vers l'étable. Il lui fallait une monture et après les événements de cette nuit plusieurs se trouvaient orphelines. Il choisit une jument robuste à la robe baie, l'équipa de sa selle et de deux sacoches qui l'accompagnaient. Voler le cheval d'un mort était la chose la plus aisée qui lui avait été donné de faire. Et ses scrupules laissaient place à la nécessité. Même s'il ne semblait pas cautionner le vol, Dill paraissait morose et son habitude à faire des blagues salaces était absente. Le jeune homme fit quelques achats supplémentaires pour le trajet et retourna au Repos du Voyageur. A son retour, le reste des chevaliers d'Azur l'attendaient.

« Nous allions partir sans vous. Oliver le gratifia de son clin d’œil devenu familier.

– Excusez moi, je suis prêt.

Puis, le silence s'installa. Les rues de Guersac leur rappelaient la douleur trop récente et l'inconvenance de parler de futilité... Le temps gris mais sec laissait présager une amélioration dans l'après-midi. C'est lentement qu'ils quittèrent le village, empruntant le chemin vers la capitale. Dans l'optique de sa mission, Arsen se rapprocha d'Oliver, laissant le soin à sire Alderic d'ouvrir la marche.

– Cela fait longtemps que vous faites partie des chevaliers d'Azur ?

– Pas vraiment, j'entame ma dernière année… Au contraire d'Alderic, je ne souhaite plus continuer. Une trace de déception semblait marquer sa voix.

– Je ne comprends pas... On peut quitter votre ordre comme on le souhaite ?

– Ce n'est pas une secte, voyons ! Vous n'êtes pas de l'Empire ?

[ Attention... Dupe le, pour le maître… ]

– Si, mais j'ai énormément voyagé, ici et en dehors des frontières de l'Empire... Et dans les deux cas, on ne croise pas de chevaliers d'Azur à chaque coin de rue !

– Hé, bien... Laissez moi vous expliquer. L'ordre des chevaliers d'Azur a été créé par notre souverain Larissian 1er après la Grande Guerre. Il cherchait une confrérie qui apprenne l'humilité aux jeunes nobles ainsi que la droiture due à leur fonction. Une formation de deux ans est obligatoire, afin d'y apprendre la formation à l'épée, les tactiques militaires et la justice puis encore une année pour la mettre en pratique. C'est pour cela que leurs membres doivent parcourir le pays et aider là où ils le peuvent.

– Et donc, sieur Alderic n'a pas encore fini sa formation ? J'ai un peu de mal à comprendre...

– Non, lui, c'est encore différent. On peut continuer sa formation après les trois ans légaux. Plus on acquièrent de l'expérience en son sein plus les possibilités sont grandes. Obtenir un haut grade dans l'armée ou entrer en politique par exemple.

– Je vois, il doit être un petit noble de province qui cherche à se faire une place à la cour...

– Vous n'y êtes absolument pas ! Cela serait plus mon cas... Son père est très riche et très respecté. Il siège déjà au conseil de l'empereur ! Sieur Alderic est la droiture même doublé d’un excellent épéiste, certaine mauvaise langue disent même qu’il surpasse Le prince Andol en son époque. Pour lui, il s'agit d'une vocation ! »

Arsen avait de quoi réfléchir, son regard se posa sur le dos large d’Alderic. S’il surpassait Andol, il devait être terrifiant ... La discussion continua plus légère dérivant sur les femmes où le jeune sang mêlé appris qu'Oliver était amoureux d'une jeune aristocrate orpheline, la raison pour laquelle il avait fait deux ans de plus dans la confrérie d'Azur. Aux éclats de rire des deux compagnons, Alderic se laissa rattraper pour nourrir sa curiosité.

« Et vous sieur Alderic, y a-t-il une demoiselle qui vous attend quelque part ?

– Non, je n'ai pas le temps pour la romance et vous sieur Arsen ?

– Ho, vous savez une fille dans chaque port… Je voyage trop pour m'amouracher d'une donzelle.

– Ha bon ! Raconte ! La voix nasillarde du féetaud surgit, le sortant de sa passive observation.

– Vous devriez traiter la gent féminine avec plus de respect. »

Voilà qui ferma le caquet d’Arsen, lui qui espérait susciter l'envie chez les deux chevaliers et créer un lien de camaraderie. Il en avait reçu pour son compte.

[ Mal joué idiot... tu dois les séduire... pour le maître… ]

A la nuit tombée, ils firent halte aux abords de la route. Arsen se rendit utile au-delà du possible, les aidant à enlever leurs armures, installer le campement, bouchonner et nourrir les chevaux. Il leur laissa le soin d'installer leurs affaires et celui d'allumer le feu. Puis, il s'absenta pour chasser. Quand il fut assez enfoncé dans les bois, il détacha sa fronde et pista un sentier usité par du petit gibier.

« Que penses-tu de lui, Oliver ?

– Qui ça ? Arsen ? Ma foi, je pense qu'il fait un bon compagnon de route, il fait plus que sa part de travail et ses histoires sont excellentes. Et toi ?

– Je ne sais pas trop...

– Il est peut être trop exubérant pour toi.

– Oui ça doit être cela. Je suppose que cela fait partie du travail de troubadour…

– Hier, il n'a pas hésité à prendre une épée pour se défendre, même si je ne l'ai pas vu l'utiliser mais sa position n'était pas mauvaise…

– Je l'ai vu couper un jarret et achever une bête...

Un bruissement de feuille les stoppa dans leur conversation. Arsen sortit des fourrés, tenant victorieusement un couple de faisans.

– Laissez-moi vous inviter ! »

Il sortit son poêlon et entreprit un ragoût de volaille. En attendant le repas, les chevaliers décidèrent de s'entraîner. De temps à autre, Arsen leur jetait des coups d’œil tout en agrémentant le plat de sauge sauvage. Puis, tous dégustèrent le repas, vantant les mérites du cuisinier… A la fin, alors que la nuit était tombée, le traître sortit son luth et commença à jouer un chant elfique qu'il tenait de sa mère. Le chant lent et langoureux s'accordait parfaitement avec les accords difficiles, produits d'une main de maître par le garçon. Les dernières notes restèrent suspendues dans le ciel nocturne. Oliver essuya une larme.

– Je ne savais pas que vous connaissiez l'elfique.

– Normal, cela ne fait quelques jours que nous voyageons ensemble. Mais je connais aussi des mots en language chaotique... Des souvenirs déplaisants lui revinrent en mémoire. »

[ Pitié... nous ne voulons plus les entendre… ]

Cette nuit-là, les horreurs vécues dans les donjons de Sombrevie vinrent hanter son sommeil… Les semaines qui suivirent furent calmes, les deux chevaliers imposaient le respect et personne ne leur chercha querelle. Le paysage faisait place à des champs vallonnés, que l'air d'automne rendait maussades. Arsen donnait son maximum pour être utile et agréable sous les encouragements de sa dualité. Finalement ils arrivèrent à Gran Real.

Dès lors, Alderic, y délaissa ses deux compagnons pour rendre compte au prince régent.

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