7. Le repos du voyageur

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 Ils arrivèrent avec deux jours d'avance à l'auberge. La lune gibbeuse éclairait timidement la nuit voilée de nuages. Dill avait été le compagnon de voyage le plus insupportable qu'il n'avait jamais eu. N'importe quels sujets donnaient lieu à des blagues salaces... Après qu'Arsen eût compris que le silence était sa meilleure option, le féetaud finit par se taire... Et c'est dans une quiétude relative qu'ils entrèrent dans Guersac. Le village semblait profiter d'un carrefour fort emprunté par les voyageurs. Quelques échoppes ainsi que l'auberge profitaient de cette manne…

Les deux compagnons de route s'arrêtèrent devant une bâtisse où une enseigne usée indiquait un manque cruel de créativité : Le repos du voyageur...

Le bâtiment en bois laissait échapper une lumière réconfortante ainsi que des discussions animées. A leur entrée, les têtes se tournèrent vers eux, le brouhaha ambiant faiblit un instant avant de reprendre son volume initial. La salle était éclairée par des candélabres rustiques, un chaudron en fonte suspendu au-dessus d'un feu ouvert laissait émaner les effluves d'un ragoût de mouton... Devant le bar, une dizaine de tables regroupaient des clients déjà bien égayés. Comme l'avait prédit Dill, personne ne le perçut, il semblait s'extasier de se tenir aussi près des humains, voletant d'individu en groupe, au gré de son émerveillement. Il finit par se poser sur l'épaule de la serveuse, lorgnant avec de grands yeux son maigre décolleté. Arsen se dirigea vers le tenancier afin de louer une chambre pour les prochains jours ainsi que de quoi se laver. Il ne parvint pas à diminuer le prix du séjour, mais contre représentation il obtint le couvert. Fourbu, il commanda une bière.

« Si ce n'est pas Zacharia ! L'homme à la table à côté de lui parla bien fort de telle sorte que tout le monde puisse l'entendre…

Arsen se figea, son sang se glaça. L'avait-on reconnu ? Il avait deux jours d'avance, il était trop tôt pour rencontrer ses cibles.

[ Fuis... Nous ne voulons plus souffrir… ]

Une voix derrière lui s'exprima, avant qu'il n'agisse.

– Tu n'en as pas assez Pauln ? Toujours cette vieille blague...

Quelques-uns retinrent leurs rires, mais le groupe de l'instigateur s’esclaffa à gorge déployée. L'homme, dans sa quarantaine, s'assit au bar seul et commanda son breuvage.

– Laissez-moi vous l'offrir. Proposa Arsen

– Pourquoi je me ferais payer ma bière par un inconnu ? Il le regarda d'un œil suspicieux.

– Mon père me disait toujours qu'une bière gratuite était toujours meilleure…

– Votre père était un homme sage ! Il esquissa un sourire. Je m'appelle Piet.

– Et moi Arsen. Excusez moi, mais à l'instant je n'ai pas compris ce qu'il y avait de drôle… Arsen se tourna examinant la table de Pauln et ses acolytes. Ceux-ci étaient retournés à leur beuverie sans plus se soucier de leur victime.

– Tu n'es pas sorti de ton trou pendant ces quinze dernières années ?

Arsen rapprocha son tabouret et sa bière de l'individu afin de mieux discuter.

– Je suis de Gran Real, mais j'ai vécu longtemps loin de l'Empire Confédéré, je ne suis revenu que récemment…

– Rassure-moi, tu es tout de même au courant de la Grande Guerre ?

– Oui bien sûr.

Piet but une gorgée afin d'humecter sa gorge, signe que l'explication serait longue.

– Eh bien, quand nous avons remporté de justesse la guerre contre les Bêtes Chaotiques, les Saints Guerriers qui sont revenus nous ont annoncé la mort du prince, due à la lâcheté de son lige, qui avait préféré fuir que de protéger notre héritier. Dès lors, Zacharia est devenu un synonyme de lâche…

Le jeune homme resta estomaqué, ils avaient changé les faits… La voix explosa.

[ Ce sont eux qui nous ont trahis ! Nous avons subi à leur place ! ]

L'homme continua.

– Pour ma part, quand ils ont recruté pour grossir l'armée, ma défunte femme était trop malade pour que je la délaisse… Maintenant, tu as les deux bouts de l'histoire. Son ton s'était aigri, il but une autre rasade de sa choppe. Tout le monde ici pense que je me suis servi de cette excuse pour éviter l’enrôlement dans l’armée. J’aimais sincèrement ma femme… Piet figea son regard sur le comptoir douloureusement.

Sans considération pour les sentiments du pauvre bougre, Arsen l’interrogea

– Personne n'a cherché à obtenir des explications de Zach ? Il s'exprimait avec circonspection.

– L'empereur, dans sa grande bonté, a laissé un délai pour que le lâche fasse part d'une explication, mais il n'est jamais apparu. Après cela, un avis de recherche a été placardé dans tout le royaume avec une belle somme, mais c'est resté sans succès. Pour ma part, je pense qu'il s'est allié avec les Bêtes. Et qu'il faut aller le chercher de l'autre côté de Dumbrall… Quelle idée de laisser la protection du prince à une engeance de sang mêlé… Il cracha au sol pour marquer son dégoût. De puis lors, les relations sont tendues avec les autres races, comme s'ils étaient les seuls à avoir perdu quelque chose. »

Arsen s'assura que ses oreilles étaient bien dissimulées dans sa chevelure. Après cela, la discussion dériva vers des nouvelles plus récentes. Des rumeurs de disparition à la frontière inquiétaient l'homme. Mais le jeune barde ne pouvait s'empêcher de ruminer les précédentes informations. Puis, il s'installa à l'écart et commanda du ragoût et une nouvelle bière. Il n'était plus d'humeur à chanter et paya comptant son repas. Dill avait quitté son perchoir et se trouvait maintenant au milieu d'un groupe de voyageurs qui jouait aux dés. La serveuse revint avec une bière bien servie, et il mangea nerveusement sous les regards insistants de celle-ci. Des exclamations retentirent, provenant de la table où se trouvaient les joueurs, les cris changeaient de camps selon les coups de pied que donnait le féetaud dans les dés... Arsen termina son repas rapidement avant que le tumulte ne se transforme en bagarre générale. Il rejoignit sa chambre à l'étage, où l'attendait un baquet d'eau chaude. Il fut à peine installé dans le liquide fumant que la serveuse fit son apparition, équipée d'une jarre et d'un petit pain de savon ocre.

« Voulez-vous de l'aide pour votre dos ?

– Non, merci je vais me débrouiller seul... Arsen se renfonça dans l'eau.

Elle s'avança pour déposer la jarre et lui tendit le petit carré brunâtre… Lorsqu'un plouf sonore éclaboussa les deux jeunes gens...

– Que je suis maladroite ! Laissez moi vous aider à le retrouver. Elle plongea sa main dans la baignoire. Je crois que je l'ai trouvé... Elle le fixait d'un regard coquin.

Dill choisit ce moment pour sortir sa tête de derrière la cruche.

– Ne fait pas attention à moi. Il s'installa bien à son aise et continua sa vicieuse observation.

– Mademoiselle, je crois vous avoir dit que je n'avais pas besoin d'aide. Veuillez me lâcher…

La jeune fille le regarda, surprise. Elle n'avait pas pour habitude de se faire congédier alors qu'elle était allée aussi loin. Vexée, elle le lâcha et essuya sa main avant de partir sans mot avec ses vêtements sales.

– Non ! Elle te mangeait dans la main ! J'aurais été à ta place, elle n'aurait plus su marcher…

– Je n'ai pas besoin de ta présence quand je me lave et encore moins de tes commentaires salaces.

– Tu voulais que j'aille où ? Tu n'as réservé qu'une seule chambre !

– Je ne vais tout de même pas te louer quelque chose alors que tu es aussi petit qu'une souris !

Le ton montait entre les deux compagnons.

– Attention Arsen, ne me pousse pas à bout… Il dégaina son épine. Son ton calme cachait les efforts qu'il mettait à contenir sa colère.

– Je ne sais pas pourquoi je discute avec toi... Je ne suis pas ton tuteur…

– Tu voulais que je fasse quoi ? Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je suis incapable de porter une bourse remplie de cids comme toi ! Et encore moins de me faire entendre des humains…

[ Ne te laisse pas amadouer... n'oublie pas la mission du maître… ]

Arsen resta silencieux se frottant la peau consciencieusement.

– Tu la trouve comment ? Elle est bonne ?

– J'espère sérieusement que tu parles de l'eau…

– Évidemment pour qui me prends-tu ?

Arsen, pris de remord, tendit le bras vers la jarre et remplit à moitié une timbale qui se trouvait sur la table. Dill papillonna, un grand sourire aux lèvres, pour finir dans le récipient.

– Ha ! Je comprends pourquoi vous aimez tant les bains…

Pendant que le féetaud se relaxait, les paillettes de son corps se diluaient dans l'eau fumante. Le jeune homme agrippa l’essuie et entreprit de se sécher.

– C'est une belle collection de cicatrices que tu as là.

– Oui, ça peut être difficile d'être barde… Trop fatigué pour mentir, il n'ajouta plus rien.

Dill s'extirpa de son bain, ébrouant sa tignasse échevelée et laissant de minuscules traces de pas humides sur la table. Le jeune homme se glissa sur le matelas de paille, tirant sur lui la couverture pendant que le petit être se posait sur le rebord de la fenêtre. De fins nuages laissaient passer la clarté de la lune, éclairant les rues vides du village. En dessous, le tumulte semblait s'être calmé, indiquant que la fermeture devait être proche.

– Arsen tu dors ? Seul le silence lui répondit. Je me moque de qui tu es vraiment… Je sais bien que tu ne m'apprécies pas... Dès que j'aurai retrouvé les miens, je te ficherai la paix. »

Le garçon fixait le mur opposé à la fenêtre, sa dualité se bataillant dans son crâne. L’innocence du féetaud répugnait sa démence. Finalement, le sommeil vint le cueillir, un sourire aux lèvres, heureux de dormir au chaud dans un lit moelleux…

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